La sonate n° 30 en ré majeur (HobXVI.19), appelée Divertimento, a été composée en 1767, peu avant la sonate n° 31 en la bémol (HobXVI.46). Encore plus développée que la sonate n° 29 en mi bémol, la sonate en ré est une des plus brillantes et spectaculaires de Joseph Haydn. Elle est remarquable par des recherches de sonorité et de timbres. Haydn explore le clavier sur toute son étendue d'une manière que l'on ne retrouvera que dans ses trois dernières sonates.
Le premier mouvement, Moderato, débute avec un thème tout à fait étonnant. Marc Vignal évoque à son propos le finale de la deuxième symphonie de Brahms. Le second thème est très curieux avec ses doubles croches pointées répétées à la main droite et ses tierces descendantes à la main gauche, motifs qui seront ebsuite échangés entre les deux mains, les tierces devenant alors descendantes. Ce passage, selon HC Robbins Landon (cité dans 1) serait inspiré d'une des sonates Wurtembourgeoises de Carl Philip Emmanuel Bach, Wq 49/3. Le développement est essentiellement basé sur le second thème qui prend de plus en plus d'ampleur et qui donne lieu à des harmonies de plus en plus acerbes.
L'Andante en la majeur est, à mon humble avis, le sommet de la sonate par son originalité et ses sonorités étranges. Le thème principal, d'une grande séduction mélodique avec son rythme ¾ très dansant, m'évoque la manière de Luigi Boccherini qui se produisait en tant que violoncelliste à Vienne jusqu'en 1764. La suite se situe dans le registre grave du piano pour la main droite et dans l'extrême grave pour la gauche, toutes deux notées en clé de fa. Ce registre est exploité pendant presque tout le morceau, c'est pourquoi certains ont vu dans ce morceau une transcription pour clavier d'un concerto pour contrebasse malheureusement perdu (cité dans 1). En tout état de cause ce morceau est unique, à ma connaissance, dans toute la production pianistique de Haydn.
Le finale, Allegro assai, a une forme très originale intermédiaire entre le Rondo et le Thème varié, forme que Haydn utilisera dans nombre de ses sonates et symphonies futures. Le thème du refrain, au caractère nettement humoristique, est constitué de croches piquées alternant entre les deux mains de l'exécutant. L'intermède mineur survient ex abrupto et frappe par ses brusques oppositions majeur, mineur. Après un retour du refrain varié avec fantaisie, un second intermède en la majeur est constitué de puissants accords évoquant le son du tambour, enfin une nouvelle broderie de doubles croches autour du refrain et un retour de ce dernier en octaves met un point final à ce spirituel mouvement qui n'est pas sans rappeler une célèbre marche turque composée bien plus tard (1783) par un musicien agé de onze ans quand cette superbe 30ème sonate vit le jour.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988