Le court et très beau
quatuor opus 42 en ré mineur, achevé en 1785, se caractérise par une écriture en imitations où les éléments des thèmes sont constamment réutilisés dans l'accompagnement selon le "principe nouveau" invoqué par Haydn à propos de l'opus 33, principe issu selon Charles Rosen de "l'accompagnement obligé" apparu depuis peu dans l'opéra, et qui atteint ici une géniale maturité. L'atmosphère de ce quatuor n'est ni dramatique ni enjouée. Il sonne comme une pause avant de nouvelles aventures, et c'est à mon avis son écriture d'une maîtrise accomplie qui lui donne tout son charme.
Le
premier mouvement porte l'inscription
"andante ed innocentemente", ce qui peut paraître paradoxal pour un mouvement en ré mineur. A mon avis cette notation sous-entend une interprétation assez détendue, donnant une sorte de balancement un peu désabusé et peu d'activité à l'élément rythmique principal qui est entièrement compris dans la première mesure.
Ce premier motif est le constituant essentiel du premier thème exposé sur huit mesures. Un deuxième motif apparaît aux mesures 5 et 6.
Le thème est ensuite réexposé en faisant voyager les motifs d'un instrument à l'autre, puis réapparaît en fa majeur, en lieu et place du deuxième thème, affirmant le caractère
monothématique de ce mouvement. L'exposition est conclue par huit mesures de caractère humoristique. Le
développement assez court (26 mesures) répète inlassablement le premier motif dans de nombreuses configurations pendant 16 mesures, souplement et en évitant toute exaspération, puis utilise le second motif pour conclure.
Le
menuet qui suit reste dans un caractère "innocent", évoquant un cheminement tranquille. Comme dans le premier mouvement des motifs thématiques sont sans cesse réutilisés en imitations dans l'accompagnement. Le
trio a un caractère plus statique, ses deux sections étant écrites sur un même schéma contrapuntique.
Le sublime
adagio en si bémol majeur est remarquable, d'abord par son thème hiératique et recueilli exposé sur 12 mesures, évoquant un hymne, et aussi par le traitement que Haydn lui applique. Dans cette forme lied de type ABA, l'élément B est constitué par des motifs issus de A sur lesquels le premier violon superpose d'abord une superbe ornementation,
puis le discours devient modulant, plus dense et plus tendu, la tension culminant sur un sol à l'unisson des quatre instruments qui se résout en un la bémol également à l'unisson, d'où Haydn va retrouver si bémol majeur en quatre ingénieuses mesures, pour réexposer le thème initial.
Le
finale commence par un motif piano suivi d'une réponse emportée :
Le premier motif est ensuite utilisé dans un énergique fugato. La figure rythmique de la troisième mesure devient obsessionnelle et nous rapproche du premier mouvement dont ce finale semble être le revers déterminé et volontaire, et non plus innocent, la répétition rythmique se faisant cette fois jusqu'à l'exaspération.
Par maints côtés, et notamment la tendance à l'économie thématique et à l'emploi de figures rythmiques répétitives pour asseoir une atmosphère expressive, ce magnifique quatuor préfigure à mon avis Beethoven.