Nous abordons maintenant la dernière ligne droite avec les trois trios pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, en mi majeur et en mi bémol majeur (HobXV.27, 28, 29 respectivement). Ces oeuvres composées par Joseph Haydn en 1794-5, furent dédiées à la pianiste virtuose Thérèse Jansen-Bartolozzi. Par leur vastes dimensions et leur difficulté d'exécution, Ils constituent un aboutissement dans ce genre musical et une source d'inspiration pour le jeune Beethoven.
Le Trio n° 43 en ut majeur (HobXV.27 est peut-être le plus grandiose des trios de Haydn. Il s'ouvre par un spectaculaire premier mouvement Allegro auquel la tonalité d'ut majeur donne un brillant et une puissance extraordinaires. Le thème principal est d'un dynamisme et d'un élan qui emporte tout sur son passage. Après le thème énoncé énergiquement par les trois instruments, on entend la réponse dolce du piano qui avec ses secondes majeures laisse pressentir un rôle important dans le développement. Ce dernier est un des plus élaborés et intenses de Haydn, il est construit d'abord autour de ce fameux motif dolce du piano dont les secondes devenues mineures sont maintenant beaucoup plus sombres et menaçantes. Le thème principal reparaît forte en la bémol et la réponse en secondes va initier un nouveau développement contrapuntique très serré, donnant lieu à de magnifiques modulations. La transition amenant la rentrée est d'une fantaisie et inventivité tout simplement géniales.
L'Andante est de forme lied. La tonalité de la majeur de ce mouvement, très éloignée de l'ut majeur initial, déroute un peu mais c'est un trait assez constant dans les oeuvres de Haydn postérieures à 1790. La première partie débute avec un thème d'une grande ampleur et richesse mélodique. L'intermède mineur d'une grande violence contraste vivement avec ce qui précède d'autant plus que son thème est issu mystérieusement du thème principal du morceau. La rentrée achève ce morceau dans un climat apaisé et quelque peu mélancolique.
Le génial Presto final par ses dimensions équilibre le premier mouvement. Le thème principal de cette structure sonate renoue avec le schéma ascendant du thème du premier mouvement et, ici, le mouvement ascendant est encore plus incisif. On est sidéré pendant ce début par la vitesse des modulations à la main gauche du pianiste et au violoncelle dont les figurations semblent se dérober sous les autres voix. Un second thème plus lyrique clot l'exposition. Le développement est axé sur le thème principal qui passe par toutes les couleurs posssibles, c'est ensuite le second thème qui est développé, puis le début de second thème passe au violon tandis que la main gauche du pianiste s'empare de bribes du premier thème: l'effet produit par cette combinaison est particulièrement riche et intense. Lors de la reexposition, le second thème donne lieu à une extension syncopée, martelée par les trois instruments, d'une puissance extraordinaire. Dire qu'un tel morceau préfigure Beethoven est presque un lieu commun, il serait plus exact de dire que dans de nombreuses oeuvres de musique de chambre, le jeune Beethoven s'inspire de Haydn! En tout état de cause, ce Presto enthousiasma Felix Mendelsohn qui écrivit à sa soeur: Les gens n'en revenaient pas d'étonnement qu'une chose aussi belle puisse exister et pourtant elle est imprimée depuis longtemps chez Breitkopf et Härtel. (1).
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.