- Marcus a écrit:
- Il est difficile voire impossible de faire un classement parmi les symphonies Londoniennes, qui sont toutes géniales. Mais après les avoir réécoutées récemment, je dois dire que j'ai vraiment eu un coup de coeur particulier pour cette formidable 98ème. Le mouvement lent est un des plus beaux de Haydn (avec le 99ème), j'avoue que je n'avais pas fait le rapprochement avec Mozart je la réécouterai plus attentivement. Quant au finale, il est absolument irrésistible avec son solo de clavecin à la fin.
Nous avons déjà pas mal discuté des mérites de cette symphonie n° 98. J'ai quand-même tenu à faire un petit topo sur elle afin de contribuer à compléter ce sujet inépuisable.
La
symphonie n° 98 en si bémol majeur a été créée le 2 mars 1792 à Londres. Sa date de composition se situe probablement au cours des semaines qui suivirent le décès de
Wolfgang Mozart. Plusieurs musicologistes ont relevé que cette symphonie contenait plusieurs allusions à Mozart sous forme de citations et que l'atmosphère de ses deux premiers mouvements, plus grave que de coutume, suggérait que peut-être
Joseph Haydn l'avait composée en pensant à son ami.. L'instrumentation de la symphonie comporte le quintette à cordes, une flûte, deux hautbois, deux bassons , deux cors, deux trompettes et timbales. Un clavier (probablement un clavecin) intervient dans la dernière partie du finale. Certains auteurs ont suggéré que ce solo de clavecin constituait la marque de la présence du continuo tout au long de la symphonie (1). Marc Vignal voit dans cette symphonie la première d'une lignée d'oeuvres aux vastes proportions pour grand orchestre en si bémol majeur aboutissant à la symphonie n° 5 de Bruckner (2).
L'introduction
adagio en si bémol mineur est brève et donne d'emblée une couleur sombre à l'oeuvre. L'
allegro 2/2, alla breve, reprend le thème de l'introduction transposé en si bémol majeur. Un second thème formé d'un dessin ascendant de quatre noire apparaît en fa majeur. Peu avant les barres de reprises, un troisième thème est joué par le hautbois solo et donne lieu à une admirable suite modulée au caractère romantique d'une grande intensité. Le développement est construit principalement sur le premier thème qui donne lieu à des entrées de fugue à une mesure de distance tandis que se développe aux violons un accompagnement en croches très tourmenté engendrant des dissonances acerbes. Le thème initial se modifie en dramatiques sonneries des cors et des trompettes.
Tout ce développement est unique dans les symphonies de l'époque par son contrepoint serré et son caractère sévère. Le second thème passe par des modulations mineures et c'est la reexposition qui affirme triomphalement le thème principal.
L'
adagio cantabile s'ouvre par un thème ayant un caractère de cantique, présentant aussi une ressemblance avec l'air de la comtesse "
Dove sono..." des Noces de Figaro. La suite est assez similaire à un passage de l'andante de la symphonie n° 41 Jupiter de
Mozart comme cela a déjà été dit (2). Chez
Haydn ce passage débouche sur un "minore" particulièrement émouvant dans lequel le thème, du fait de sa transposition dans le mode mineur, devient chromatique: sol, la bémol, fa#, sol puis do, re bémol, si bécarre, do (3). Ce thème est joué principalement par les basses dans différentes tonalitées mineures et accompagnés par les violons
staccato et par les bois dans leur registre aigu.
On croit entendre des sanglots dans cette musique désespérée. Dans la réexposition très modifiée, le thème aux violons est maintenant accompagné par un violoncelle solo. Les deux hautbois s'emparent du thème à leur tour et sont également accompagnés par les sextolets du violoncelle solo. Après un magnifique passage confié aux bois, le mouvement se termine pianissimo dans une ambiance apaisée.
Comme dans toutes les symphonies Londonniennes, le menuetto
allegro est un brillant morceau symphonique aux vastes proportions.
Le finale
presto 6/8 est une structure sonate de près de 400 mesures. Le thème spirituel au rythme caractéristique est joué d'abord piano aux violons, il fait bientôt l'objet d'une puissante élaboration symphonique.
Le second thème encore plus léger et aérien de caractère quasi Rossinien donne lieu à de jolis échos des flûtes et bassons. Ce second thème fera les frais du développement, il est joué piano timidement au premier violon solo en ré bémol majeur et par
enharmonie (4) passe en ut dièze mineur, tonalité très éloignée du ton principal provoquant une curieuse sensation chez l'auditeur. Un thème nouveau basé sur un arpège descendant apparaît
fortissimo aux cordes, thème très voisin d'un motif apparaissant à la même place dans la symphonie Prague de
Wolfgang Mozart! Le contraste est vif entre ce puissant tutti symphonique et le second thème que le violoniste soliste fait passer par les tonalités les plus variées. Les deux thèmes s'opposent ainsi pendant toute la durée du développement. La reexposition, d'abord voisine de l'exposition, aboutit à un point d'orgue et à un changement de tempo qui de
Presto passe à
moderato: le premier thème reparaît, nettement modifié car agrémenté d'une gamme chromatique, il est suivi par un
passage à l'orchestration massive impliquant abondamment les trompettes et les cors de caractère très beethovénien. Enfin un dernier retour du thème principal piano au violon se produit avec cette fois un
magnifique accompagnement de clavecin, surprise soigneusement ménagée ou dernière facétie du génial maestro? Ainsi une symphonie qui avait commencé dans le drame se termine dans l'allégresse.
(1) Anthony Hodgson, The Music of Joseph Haydn, The Symphonies, The Tantivy Press, London, 1976, pp. 137-8.
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
(3) La remarquable partie centrale en sol mineur du second mouvement du trio en mi bémol majeur pour clarinette, alto et piano K1 498 de Mozart est basée sur un motif identique.
(4) Haydn transforme une séquence re bémol mi bémol en do# re# voir aussi
http://fr.wikipedia.org/wiki/Modulation_(musique)