La Cecchina (La Buona Figliuola) de
Niccolo Piccinni (1728-1800) fut crée en 1760 au
Teatro delle Dame de Rome. Son succès fut immédiat et l'oeuvre fit rapidement le tour de l'Europe.
Joseph Haydn monta l'opera à Eszterhazà en 1776 (Vignal 1988). La Cecchina triomphera à Paris; invité dans cette ville, Piccinni devint le héros involontaire d'une
querelle historique entre les tenants de l'
opera italien (piccinnistes) et ceux de la
tragédie lyrique à la française (gluckistes). Ce furent finalement ces derniers qui l'emporterent alors que
Gluck s'imposait comme le rénovateur de l'opera français en produisant chef d'oeuvres sur chef d'oeuvres et en particulier sa géniale Armide (1778).
Le livret de La Cecchina est de
Carlo Goldoni.
Cecchina, la jardinière du
marquis de la Conchiglia, ignore ses origines*. Elle aime secrètement le marquis. Ce dernier lui révèle qu'il est amoureux d'elle mais les conventions sociales empêchent Cecchina de le prendre au serieux. Dans un contexte d'hostilité générale ambiante vis a vis de Cecchina, les choses en restent là jusqu'a la venue inopinée de
Tagliaferro, un soldat allemand. Ce dernier raconte au marquis que, 20 ans auparavant, son colonel et baron avait perdu une petite fille appelée Mariandel au cours de la retraite de ses troupes. La petite fille serait reconnaissable à une petite tache de vin sur son sein. Le marquis se persuade que la fille perdue est en fait Cecchina et que cette dernière est donc noble.Les deux hommes trouvent Cecchina endormie et pendant que le marquis s'eloigne, Tagliaferro s'approche de la jeune fille afin d'identifier sa marque. Le marquis annonce à la cantonade sa décision d'épouser une dame allemande de noble lignage au grand dam de Cecchina. Il finit par révéler à celle-ci qu'elle s'appelle en fait Mariandel, qu'elle est baronne et que rien ne s'oppose plus à leur mariage.
Sur cette trame tirée de la Pamela de Richardson, Piccinni tissa un chef d'oeuvre. Cecchina porte sur ses épaules fragiles la pièce, elle a les airs les plus émouvants et bénéficie d'une
caractérisation tres poussée. Le marquis est aussi subtilement decrit, il propose en effet le mariage lorsqu'il est en mesure d'affirmer que Cecchina est baronne bien que rien n'indique qu'il en ait la preuve.
Les temps forts de l'opera sont très nombreux. Au
premier acte on relève l'air splendide de Cecchina "
Una povera ragazza...", qui dut arracher des larmes au public de l'époque.
Le
finale de l'acte est particulièrement
dramatique: alors que tous les protagonistes accusent Cecchina, elle se défend désespéremment, implore la pitié puis décide de quitter le château. Toute la puissance dramatique réside dans les alternances de tonalités majeures (les accusations des personnages du château) et mineures (les supplications de Cecchina).
Le
deuxième acte est le point culminant de l'opéra du point de vue de l'action et de la force dramatique. Il commence de façon tonitruante par l'arrivée de Tagliaferro dont le premier air est une "
aria di guerra" avec trompettes et tambours. Le comique reside dans le texte, écrit dans un
mélange d'italien et d'allemand, procédé qui devait amuser beaucoup le public de cette epoque, on trouve en effet le même type de situation dans l'"
Infedelta delusa" de J.Haydn (1773), dans
Falstaff de Salieri (1796)...chaque fois avec un effet comique irresistible.
Dans l'air "
Alla larga...", Cecchina manifeste sa fierté ainsi que sa lucidité face aux entreprises du marquis et se montre à l'opposé des héroïnes rouées de l'epoque (Serpina). Le
point culminant de l'opera est atteint avec la scene XII d'importance capitale: Cecchina s'endort en espérant savoir qui est son père* avant de mourir alors que Tagliaferro s'approche d'elle dans l'espoir (peut-être deçu) d'apercevoir la marque. Le recitatif et l'air admirables évoquent par leur sensualité le
chant populaire napolitain. Pour souligner cet aspect l'accompagnement comporte plusieurs instruments traditionnels napolitains (le colascione, la mandoline, le mandolone ...). Vingt ans plus tard, une scène presque identique prendra vie sous la plume de
Cimarosa dans "
Il Fanatico Burlato" (1787), le sommeil de Doristella, un moment magique de ce remarquable opéra.
Dans le finale du deuxieme acte la confusion est à son comble, Cecchina est encore pointée du doigt par tous les habitants du château tandis que Tagliaferro essaye sans succès d'expliquer le pourquoi de sa venue. Devant l'assemblee medusée, le marquis et Tagliafero prennent chacun une main de Cecchina et déclarent: "
via, tacete, disgraziate, rispettate questa qui" (attention, malheureux, taisez-vous et respectez cette personne là").
L'acte 3 n'est plus qu'un appendice car tous les fils de l'intrigue sont déja dénoués. On remarque toutefois un deuxieme
aria di guerra de Tagliaferro qui probablement plut beaucoup à J.Haydn car il composa pour son "
Incontro improviso" (1775) un air tout aussi irrésistible avec les mêmes effets comiques (imitation du bruit du canon).
Bibliographie
Pierfranco Moliterni, Michèle Sajous D'oria, Vito Paternoster, La Cecchina ossia La buona figliuola, Incisione Bongiovanni 2000.
Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
http://www.operanapolitain.com/index.htm*La recherche du père est un thème recurrent dans le cinéma recent:
Elisa de Jean Becker avec Vanessa Paradies et Gerard Depardieu, 1995