Sujet: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Jeu 9 Oct - 17:35
Nettement antérieure aux sonates en ut mineur (1771) et sol mineur (1771-3), la date de composition(1768-70) de la sonate n°31 en la bémol majeur (HobXVI.46) est suggérée par son titre "Divertimento" qui ne sera plus donné à aucune sonate postérieure. Curieusement cette sonate ainsi que la sonate n° 28 en ré majeur (HobXVI.5a), mais pas les suivantes, figurent dans l'Entwurf Katalog (catalogue personnel de Joseph Haydn) (1). La sonate en la bémol majeur est une oeuvre d'une signification musicale considérable, figurant, avec les sonates postérieures à 1789, parmi les plus grandes de Haydn.
Le thème initial du premier mouvement, Allegro moderato, se grave instantanément dans la mémoire; toutefois la suite, faite de nombreux motifs et de rythmes très divers, possède un caractère improvisé et est plus difficile à assimiler. Un motif caractéristique, fait de croches piquées à la main droite, et de triolets de doubles croches à la main gauche retient l'attention, il jouera un rôle essentiel dans le développement. Ce dernier est très original, il débute avec le premier thème exposé deux fois mais le motif caractéristique, cité plus haut, va monopoliser la scène: les croches piquées et les triolets de doubles croches vont être constamment échangés entre les deux mains et passeront à travers un arc en ciel de colorations. L'ensemble très long, est d'une fantaisie époustouflante dont je ne connais que peu d'exemples, y compris chez Haydn. La réexposition, un peu condensée, est plus grave que l'exposition.
Selon de nombreux commentateurs, le sublimeAdagio en ré bémol majeur, est le sommet de l'oeuvre. La tonalité rare de ré bémol majeur, est tout à fait exceptionnelle, même chez Haydn, qui pourtant utilise une palette tonale très étendue. Ce morceau est une merveille d'écriture contrapuntique aux harmonies très audacieuses. L'écriture est constamment à trois, voire à quatre voix. A la fin du mouvement, une admirable modulation de ré bémol à si double bémol majeur porte l'émotion à son comble. Il est dommage qu'une transcription pour quatuor à cordes de cet adagio n'ait pas été réalisée.
Après la fantaisie un peu débridée du premier mouvement, Haydn choisit la rigueur d'une structure sonate strictement monothématique pour son finale, Presto, et le résultat est superbe; avec son développement magistral, c'est à mon humble avis, le plus puissant finale de Haydn, à cette date.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
Dernière édition par Giuseppe1732 le Ven 10 Oct - 9:26, édité 1 fois
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Jeu 9 Oct - 23:24
Merci beaucoup pour le lien. J'ai écouté la version Buchbinder. Les tempi sont sensiblement plus rapides que chez McCabe, les contrastes sonores sont plus marqués. La version Buchbinder me semble plus brillante surtout dans ses mouvements extrêmes. La version McCabe me semble à la fois plus austère et plus mystérieuse. Je vais maintenant écouter Glenn Gould.
pianiste.2008
Messages : 98 Points : 52 Date d'inscription : 26/05/2008
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Jeu 9 Oct - 23:29
Une des plus grandes réussites de Joseph Haydn fut sa façon de développer et de faire évoluer subtilement la perfection de la forme de la sonate. Comme souvent, le compositeur apparaît comme l’élégance incarnée; dans le dédale des reprises et da capo de cet opus, il nous emmène d’une main sûre et amicale, en vrai gentleman. Mais loin d'être superficiel, cet Haydn-là n’est pas que charme et brillance: Les moments de tension feutrés sont émouvants et les frottements harmoniques laissent entrevoir une âme plus tourmentée qu’il n’y paraît.
Je retiens surtout de cette sonate le troisième mouvement, très rococo et enlevé. C'est une écriture très fine et brillante. Il me semble qu'il ne faut pas être grand clerc pour discerner à quel point Mozart va lire attentivement cette partition...
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Ven 10 Oct - 18:27
Merci, pianiste2008 pour votre commentaire pénétrant sur cette très belle 31ème sonate de Haydn.
J'ai maintenant écouté la version Glenn Gould (merci CD-man). Je suis vraiment conquis. Pour une fois il n'en fait pas trop* et respecte rigoureusement le texte. On peut discuter de son choix de nuances mais l'ensemble est très réussi. J'ai particulièrement aimé l'Adagio très émouvant sous ses doigts, mouvement dans lequel il a ajouté une belle cadence de son cru.
* J'avais un peu d'appréhension car je l'ai entendu massacrer la sonate en ut mineur KV 457 de Mozart en y ajoutant des ornements tout à fait incongrus.
pianiste.2008
Messages : 98 Points : 52 Date d'inscription : 26/05/2008
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Ven 10 Oct - 21:45
Giuseppe1732 a écrit:
J'ai maintenant écouté la version Glenn Gould (merci CD-man). Je suis vraiment conquis. Pour une fois il n'en fait pas trop* et respecte rigoureusement le texte. On peut discuter de son choix de nuances mais l'ensemble est très réussi....
C'est tout le problème avec Glenn Gould: pour moi, d'une sonate à l'autre, d'un mouvement à l'autre, voir d'une séquence à l'autre, il peut plaire comme il peut prodigieusement agacer ! J'ai toujours eu l'impression que c'était un expérimentateur et qu'il jouait plus pour les autres que pour lul ! :oohhh: Mais je suis peut-être un peu sévère... :doute:
pianiste.2008
Messages : 98 Points : 52 Date d'inscription : 26/05/2008
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Ven 17 Oct - 0:23
Il est possible de télécharger gratuitement la sonate (fichier MP 3) à l'adresse suivante:
Le site « Piano Society » regorge d'enregistrements, disponibles en libre téléchargement. Tous ces fichiers sonores ne sont pas forcément excellents, mais pour une première approche, c'est toujours intéressant !
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Ven 17 Oct - 22:27
Merci beaucoup pour ce lien passionnant.
Je me permets de signaler à propos de la 31ème sonate en la bémol majeur (HobXVI.46) que ce n'est pas elle qui est jouée par Zhaolei Xie mais la 62ème sonate en mi bémol (HobXVI.52).
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Sam 7 Nov - 10:24
Il est possible d'écouter sur France Musique, jusqu'au 18 novembre, la retransmission en différé de la Tribune des Critiques de Disques du 18 octobre 2009 consacrée à la sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46).
VERSION NO 1 Paul Badura Skoda, pianoforte Johann Schantz, Vienne, ca. 1790 [Enregistré au Musée des instruments de musique du château de Kremsegg en octobre 2008] ARCANA A 352
VERSION NO 2 Jérôme Hantaï, pianoforte Taskin, Paris, 1788 [Enregistré à la Cité de la Musique, en novembre 2004] AMBROISIE AMB 9975
VERSION NO 3 Ivo Pogorelich, piano [Enregistré à Hanovre en juillet 1991 DGG 435 618
VERSION NO 4 VERSION INTERESSANTE *** Sviatoslav Richter, piano [Enregistré vers 1986] DECCA 436 455
VERSION NO 5 Jean-Efflam Bavouzet, piano [Enregistré à l’abbaye de Fontevraud en octobre 1991] HARMONIC RECORDS H/CD 9141
VERSION NO 6 VERSION INTERESSANTE *** Alain Planès, piano [Enregistré à la Salle modulable de l'IRCAM à Paris, en août 2001] HARMONIA MUNDI HMC 901761 Vol. I
VERSION NO 7 VERSION INTERESSANTE *** Marc André Hamelin, piano [Enregistré à Londres en décembre 2005] HYPERION CDA 67554
VERSION NO 8 VERSION EXCELLENTE**** Emmanuel Ax, piano [Enregistré à New York en juin 2000] SONY SK 89363
Classement final: 1. Emmanuel Ax 2. Alain Planès 3. Slatoslav Richter et Marc André Hamelin ex aequo.
Les deux versions sur pianoforte d'époque ont été trop vite éliminées à mon humble avis. Des différences sensibles dans l'utilisation et l'exécution des ornements (trilles en particulier) me sont apparues mais le jury ne semble pas en avoir tenu compte.
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Ven 13 Nov - 23:24
Attention il ne reste plus beaucoup de temps (dead line le 18 novembre) pour écouter La Tribune des Critiques de Disques consacrée à la sonate n° 31 en la bémol (HobXVI.46) de Joseph Haydn.
Emission très intéressante qui montre assez clairement les limites de l'exercice. L'audition de huit versions pose problème car il est difficile, à l'écoute des dernières versions, de mémoriser les premières en vue d'une comparaison équitable.
De plus il y a de tels changements de tempo(1) entre versions qu'il me semble parfois écouter des oeuvres différentes. Pourtant les indications de tempo de Haydn sont précises, Allegro moderato pour le premier mouvement, Adagio pour le second, Presto pour le dernier. A mon humble avis, jouer le sublime deuxième mouvement avec un tempo Largo (le plus lent en musique classique) est une erreur et une telle version devrait être disqualifiée. Or c'est justement cette version qui figure parmi les mieux classées.
Sujet: Re: Sonate n° 31 en la bémol majeur (HobXVI.46) Sturm und Drang Lun 30 Oct - 18:54
Dans la continuité de mon commentaire précédent proposant une interprétation d'Haydn au clavecin je fais me faire ici le chantre du clavicorde.
Instrument intime et très personnel (tout au plus adapté à un petit salon) le clavicorde a toujours eu un certain succès auprès des compositeurs (Bach, Mozart par exemple) du fait de son incroyable expressivité (c'est un instrument qui permet sans doute un jeu beaucoup plus nuancé que les tous premiers pianofortes). Sans doute dans son rejet des premiers pianofortes Bach pensait-il que l'instrument n'apportait rien que d'un côté le clavecin et de l'autre le clavicorde ne pouvait faire mieux. Le timbre atypique du clavicorde, sans véritable équivalent, apporte peut être une sorte de mélancolie à la musique. De surcroît le clavicorde a en commun avec le pianoforte viennois que la violence est retranscrit par un son très différent du jeu doux (beaucoup plus métallique et crispant) ce qui est adapté à une époque où les nuances, de mon point de vu, doivent être assez nettes, presque exacerbées (cela ne dérange nullement car les instruments sont par nature très délicats). L'instrument utilisé ici, avec une prise sonore d'une excellente qualité, a un timbre exceptionnel de mon point de vu.
À titre personnel après avoir écouté plusieurs interprétations de cet homme qui dispose d'une chaîne Youtube passionnante (AuthenticSound, y sont abordées aussi des question d'interprétation, d'enregistrements, de tempo, de musicologie, c'est un travail sérieux d'une immense qualité) je suis de plus en plus fan du clavicorde et, entre autre, je donne un grand oui aux interprétations d'Haydn sur ce genre d'instrument. On pense spontanément à changer d'interprète quand on écoute une sonate, rarement envisage-t-on de changer d'instruments. Disons que cela change de l'ordinaire.