Des trois sonates de 1784 dédiées par Joseph Haydn à la Princesse Marie Eszterhazy, la sonate n° 56 en ré majeur (HobXVI.42) est, à mon avis, la plus profonde et la plus novatrice.
Le premier mouvement, Andante conesspressione, est un thème varié. Le thème, d'une grande noblesse et richesse expressive, est en deux parties, encadrées par de doubles barres de reprises. La troisième mesure de ce thème figure, au huitième de soupir près, à la mesure 9 de l'Adagio du quintette en ré majeur KV 593, composé en 1790 par Mozart. L'identité ne peut être fortuite; Mozart connaissait cette sonate, c'est une évidence, et fut impressionné par elle. La première variation suit les contours du thème en brodant de belles arabesques. Au contraire, l'admirable seconde variation en ré mineur ne conserve que l'ossature du thème. La deuxième partie, étonne par sa violence quand le thème est attaqué fortissimo par les basses alors que la main droite accumule les dissonances. Trois mesures de transition amènent la troisième variation. Comme dans le finale de la sonate n° 55 en si bémol, les barres de reprises ont disparu et les deux parties du thème sont tour à tour variées avec grâce, une variation à l'intérieur de la variation en somme!
Ce mouvement et un très bel exemple de la manière dont Haydn concevait ses thèmes variés. Comme dans nombre d'oeuvres précédentes, les variations sont en petit nombre (trois ou quatre), la variation mineure, par ses dimensions, s'apparente à un couplet de Rondo. En 1786, Mozart compose un rondo en fa majeur KV 494 qui, malgré son titre de Rondo, peut être lu également comme un thème suivi de variations. Cette structure, exceptionnelle chez Mozart jusqu'à cette date, mais fréquente chez Haydn, suggère une influence de ce dernier sur Mozart, peut-être par le truchement de cette sonate.
Le second mouvement, Vivace assai, est une des plus énigmatique création de Haydn. Son thème est composé de deux éléments: un motif chromatique descendant de 8 croches et une arabesque de huit doubles croches. Ces deux éléments vont circuler tout au long du morceau, écrit en contrepoint à trois voix pour donner un prodige de science et d'invention qui, de plus, est un régal pour l'oreille. Marc Vignal a renoncé à décrire ce mouvement à cause de sa complexité (1). Je ne me risquerai donc pas à ce jeu. Mouvement perpétuel, développement continu? Ce morceau génial ne se coule dans aucun moule et ne correspond à aucune structure décrite. Si effectivement Mozart a connu cette sonate, ce mouvement dut le bouleverser. Il me semble retrouver l'esprit de la sonate n° 56 de Haydn dans la sonate n° 15 en fa majeur KV 533, indiscutablement la plus savante et la plus avancée au plan harmonique des 18 sonates de Mozart.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.