Comme la sonate n°34 en ré majeur et la sonate n° 53 en mi mineur, la sonate n° 35 en la bémol (HobXVI.43) fut publiée à Londres en 1783-84, probablement sans l'accord de Joseph Haydn. En l'absence de toute source authentique, la date de composition de cette sonate est inconnue. Par son style on peut suggérer le milieu des années 1770 mais des analogies avec la sonate n° 55 en si bémol de 1784 ont été signalées et suggèrent une date plus tardive (1). Cette sonate partage avec la sonate n° 31 (HobXVI.46) de 1768 la tonalité rare de la bémol mais les analogies s'arrêtent là. De dimension beaucoup plus modeste que sa devancière, elle n'en a ni la profondeur, ni le côté révolutionnaire. C'est toutefois une oeuvre très agréable, axée sur la beauté mélodique, bénéficiant toujours de l'imagination inépuisable de son auteur.
Le premier mouvement, Moderato, joue sur l'opposition entre un premier thème de marche au pas cadencé et un second thème très chantant. Curieusement le second thème est énoncé dans le ton principal du morceau et c'est le premier thème qui réapparait fugitivement à la dominante pour être définitivement remplacé par le second qui alors monopolise la scène. Le développement est presqu'entièrement basé sur le second thème qui passe alors par toutes les couleurs de l'arc en ciel à travers les modulations les plus expressives. La reexposition est notablement condensée et le morceau s'achève tout doucement dans le grave du clavier.
Le menuetto en la bémol qui suit est très original. Si j'avais dégusté ce morceau à l'aveugle, ne connaissant pas encore les sonates de Haydn, j'aurais certainement cité Beethoven, tant ces rythmes pointés évoquent une Bagatelle du plus illustre disciple du maître d'Eszterhazà. Le trio, dans la même tonalité que le menuetto, chose inhabituelle chez Haydn (1) bien qu'il existe un précédent avec le menuet de la sonate n° 9 en ré majeur (HobXVI.4), contraste au plus haut point avec ce qui précède. C'est une petite valse d'une grande élégance qui rappelle un peu celles en si bémol (KV 606) que Mozart écrira en février 1791.
La mention Rondo, Presto, est inscrite pour le Finale. Le refrain joyeux et insouciant est encadré par de doubles barres de reprises. C'est le début du refrain qu'on entend à l'orée du premier couplet, mais la suite s'en écarte notablement. On entend ensuite une ingénieuse variation sur le thème du refrain. Le second couplet en fa mineur n'a cette fois que peu de rapport avec le refrain, il est suivi par un nouveau retour de ce dernier varié de façon encore plus radicale. Le troisième couplet nous offre la surprise d'une fantaisie très excitante sur des motifs issus du premier couplet. Enfin le refrain réapparait avec de curieux sauts d'octaves aux deux mains qui apportent une note franchement humoristique. Un accord brillant scelle ce finale particulièrement spirituel et inventif, merveilleuse combinaison de Rondo et de variation.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.