La Sonate n° 58 en ut majeur (HobXVI.48) fut terminée le 5 avril 1789 suite à une commande de Breitkopf.
En 1784, Joseph Haydn décide d'arrêter la composition d'opéras et de se consacrer à la musique instrumentale. Il écrit alors les trois sonates n° 54, 55, 56. Pendant la période (cinq ans) qui sépare ces dernières de la n° 58, Haydn compose les six symphonies Parisiennes (82 à 87), les trois symphonies Tost (n° 88 et 89), deux des trois symphonies d'Ogny (n° 90 et 91, la 92ème Oxford étant en chantier), trois séries de quatuors (treize en tout), opus 42 (un), opus 50 (six), opus 54 (trois), opus 55 (trois), douze trios pour piano, violon et violoncelle, Les Sept Dernières Paroles du Christ sur la Croix etc...
Cette période exceptionnellement féconde correspond à un immense effort créateur de la part de Haydn tant les oeuvres composées entre 1785 et 1790 sont novatrices: à titre d'exemples la 88ème symphonie en sol est une des plus grandes parmi toutes ses symphonies, le trio n° 27 en la bémol majeur (HobXV.14) le plus génial de tous ses trios pour piano, violon, violoncelle, le quatuor opus 55 n° 2 en fa mineur un monument...
A mon humble avis, la sonate n° 58 domine de haut les sonates précédentes. Elle sera égalée mais pas dépassée par les quatre grandioses chefs-d'oeuvre à venir. Si on fait une sèche analyse de l'Andante conespressione qui ouvre cette sonate, on peut dire qu'il s'agit d'un nouvel exemple de double variation de type ABA'B'A", A en ut majeur, B en ut mineur. En fait, à l'écoute attentive et à la lecture, on constate que les choses sont moins évidentes:
-Le thème A est en deux parties entourées de doubles barres de reprises. Sa profondeur est extraordinaire. Très remarquabes sont aussi son instabilité tonale, son irrégularité métrique, ses éloquents silences...
-Les variations mineures prennent également le thème initial comme point d'appui mais la variation est ici plus libre et ne suit plus la trame harmonique du thème de départ.
-Les variations majeures A' et A" n'ont plus de barres de reprises, les reprises deviennent en réalité de nouvelles variations à l'intérieur de la variation...Pour ce faire Haydn invente des accompagnements d'une sonorité inouie, des rythmes nouveaux, des contrastes sonores impressionnants...
Il s'agit du thème varié le plus complexe et intense que je connaisse dans la musique composée à cette date par Haydn (je ne mets pas en ligne le Largo de la symphonie 88 qui n'est généralement pas considéré comme un thème varié bien qu'AMHA il en soit un).
Le finale Presto est en fait un Rondo sonate strictement monothématique. Le thème du refrain est encadré par de doubles barres de reprises, son énergie latente est considérable,son rythme soutenu de la première à la dernière mesure. Le premier couplet est en fait un premier développement sur le thème du refrain, il s'achève par des cascades de doubles croches à la main droite accompagnées par d'impressionnants octaves brisés dans l'extrême grave du piano, passage d'une sonorité somptueuse ayant un caractère conclusif évident. Après un retour du refrain, le couplet central est un nouveau développement encore plus complexe et plus polyphonique que le précédent et auquel la tonalité d'ut mineur donne un caractère plus sombre. On assiste ensuite à un dernier retour du refrain et du premier couplet notablement modifié et l'oeuvre s'achève par les octaves brisés des basses qui affirment violemment la tonalité d'ut majeur et scellent l'unité d'airain de ce mouvement. Les mots sont impuissants pour décrire la vie qui règne dans ce finale endiablé, son rythme impitoyable sans la moindre pause. Le caractère puissamment symphonique de ce finale nous rappelle que Haydn était plongé dans la composition de son immortelle symphonie n° 92 Oxford dont le finale n'est pas sans analogies avec le présent Presto.
Marc Vignal a fait une magistrale analyse de cette sonate (1). J'ai veillé à ne pas la lire avant d'écrire ce commentaire afin de ne pas la paraphraser.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1145-8.