Les opéras seria de Domenico Cimarosa sont pratiquement oubliés de nos jours. Seul
Gli Orazii ed i Curiazii (1796) a continué de jouir d'une certaine popularité. Pourtant Cimarosa en a composé beaucoup d'autres tels que
Giunio Bruto (1781), l'
Olimpiade (1784),
La Vergine del Sole (1788) ,
Cleopatra (1789),
Artemisa, Regina di Caria (1797) etc....
Joseph Haydn monta à Eszterhazà
Giunio Bruto en 1786. Cette oeuvre n'étant plus représentée de nos jours, il était impossible d'avoir une idée du type d'opéra seria "cimarosien" en vogue à Eszterhazà. Heureusement
Cleopatra vient tout juste d'être enregistrée et peut donner une idée de ce que le prince Nicolas I Esterhàzy put entendre sous la direction experte de son "Maître de Chapelle".
Cleopatra (libretto de Ferdinando Moretti, musique de Domenico Cimarosa) fut crée en 1789 à la cour de Catherine II de Russie. Deux ans après Cimarosa faisait route vers Vienne où il fit halte le temps de représenter son
Matrimonio segreto, qui comme chacun sait, triompha au Burgtheater en 1792.
Synopsis: Antoine se prépare à quitter l'Egypte pour guerroyer en Italie contre les armées d'Octave. Alors qui'il est prêt à embarquer, il rencontre Cléopatre. Aveuglé par l'amour, il est prêt à renoncer à son devoir de soldat et à son honneur malgré les injonctions de Domizio, capitaine de la garde; déchiré entre l'amour et le devoir, il décide quand même de partir pour une guerre qui, il le sait, sera terrible. Cléopatre, suivant une intuition subite, décide de partir avec Antoine, solution qui semble acceptable pour Domizio et Arsinoe (suivante et confidente de Cleopatre). Ainsi Antoine sera mieux armé pour vaincre son ennemi car "De la victoire, Antoine prendra les auspices dans les beaux yeux de Cleopatre et il sait qu'il ne sera pas vaincu tant qu'il pourra les voir".
Antoine, Cleopatre, Domizio et Arsinoë montent sur un navire tandis que les troupes, après d'émouvantes scènes d'adieu avec leurs proches, embarquent à leur tour.
Il y a très peu d'action dans cette trame et Michelangelo Zurletti (1) considère que les deux amants sont aveuglés par l'amour et ne réagissent pas aux événements extérieurs, ne se projettent pas dans l'avenir. Ce rôle est dévolu à Domizio et Arsinoë.
Style. La musique, presque continuellement, est mise au service de l'expression du sentiment amoureux que se portent mutuellement Antoine et Cleopatre. Cet opéra consiste principalement en arias interrompues par des récitatifs secs qui souvent évoluent en récitatifs accompagnés. Un duetto survient en fin d'acte I et un court quartetto à la fin de l'opéra. Plusieurs choeurs assez courts interviennent au début de l'oeuvre, le premier d'entre eux qui donne la morale de l'histoire, sera repris quelques années plus tard dans
Gli Orazii ed i Curiazii. Les arias sont simples et essentiellement axés sur la beauté mélodique, un seul air est de style napolitain avec da capo. La plupart sont d'une grande suavité et
morbidezza.
Hits. Les airs indiscutablement. Le plus beau de tous est peut-être l'air d'Antonio (Acte I n°6) "
La veggo, la ascolto...". La voix se mêle à un violon solo et les tenues des clarinettes forment un ensemble enchanteur d'une suavité inegalée peut-être dans la musique du siècle.
L'air de Cléopatre (n°12)"
Al mio foco è forse infido?" est plus virtuose. Cet air avec de très nombreux ornements et mélismes annonce plus Rossini que tout autre air de Mozart ou Paisiello.
Le duo d'amour (n°15) de la fin de l'acte I "
Ferma o cara" est particulièrement émouvant. Basé principalement sur le charme mélodique, il contient peu de vocalises et ressemble assez par sa construction au duo qui termine le premier acte d'Armida de Haydn avec laquelle le présent opéra présente des analogies à la fois sur le fond et la forme.
L'air de Domizio (Acte II, n°5) "
Vieni, vieni l'onor t'addita..."est une aria di guerra avec trompettes et timbales, seul air de la partition qui se réfère au vieil opera seria.
L'air d'Antonio (n°
"
Da quel labbro o dolce amore" est très développé. Antonio donne libre cours à sa douleur de voir Cleopatra irritée contre lui; il trouve des accents d'une inoubliable sincérité et émotion. Un orchestre discret mais très efficace (belles clarinettes) nous comble.
La
sinfonia qui ouvre le drame est très originale, elle est basée sur l'opposition de deux motifs, un premier motif très léger et d'une élégante maigreur et un second plus dense d'une écriture contrapontique néobaroque qui surprend dans le contexte. Ces deux motifs se succèdent pendant tout le morceau, tout en étant habilement variés.
En résumé, un opera seria i
ntimiste, tout en
douceur et
élégance. On est loin du grand spectacle d'
Idoménée de Mozart avec ses naufrages et ses monstres marins ou d'
Antigona de Tommaso Traetta avec ses grandioses scènes de foule. Il est possible aussi que la scène de Saint Petersbourg ne permettait pas de mise en scène coûteuse.
(1) Dans l'enregistrement Bongiovanni, le rôle d'Antonio est confié à une soprano (Patrizia Morandini), celui de Cléopatre à une soprano légere (Luisa Giannini), Arsinoë est une mezzo (Maria Pia Moriyon) et Domizio un ténor (Luca Favaron). Notice de Michelangelo Zurletti. Direction musicale Franco Piva.
Luca Favaron et Patrizia Morandini sont excellents. Paria Pia Moriyon est très bonne. Luisa Giannini a beaucoup de mal à faire passer ses aigus dans un rôle qui visiblement ne lui convient pas.