Ce n'est qu'en 1790 que J
oseph Haydn eut la possibilité de monter à l'opéra d'Eszterhazà
Il Barbiere di Siviglia ovvero La Precauzione inutile, dramma giocoso de
Giovanni Paisiello, composé à Saint Petersbourg et crée le 15 septembre 1782 dans cette même ville. Le livret, très habile de
Giuseppe Petrosellini s'en tient assez éroitement à la comédie du même nom de
Beaumarchais (1,2).
Synopsis. Le
comte Almaviva, sous le déguisement de
Lindoro, attend
Rosina qui apparait toujours à sa fenêtre à heure fixe; situation archétypique du folklore napolitain, mis en musique des centaines de fois au cours des âges dans le chant traditionnel. Rosina par hasard laisse tomber un billet sur lequel figure un extrait de l'opéra "
L'inutile Precauzione".
Figaro vient déranger le comte dans sa démarche sentimentale et lui raconte sa vie aventureuse tandis que le comte lui apprend qu'il est épris de Rosina mais veut passer pour le pauvre Lindoro. Figaro lui confie que Rosina doit épouser contre son gré son tuteur
Bartolo. Lindoro déguisé en militaire arive à s'introduire chez Bartolo et échange à grand peine quelques mots avec Rosina. Comme ce plan échoue, Lindoro se fait ensuite passer pour un professeur de musique; dans cet exercice, il obtient la confiance de Bartolo ce qui lui permet d'arranger un plan d'évasion de Rosina. Bartolo qui finalement se méfie arrive à déjouer une fois de plus ce projet. Sur de sa victoire, il va quérir un notaire pour le mariage. Pendant ce temps Figaro et Lindoro en profitent pour s'introduire chez Rosina et Almaviva dévoile sa véritable identité. Le notaire arrive en avance, et quand Bartolo et l'Alcade arrivent à leur tour, il est trop tard, le mariage de Rosina et Almaviva est déjà conclu. Toutes les précautions ont donc été prises pour rien (1).
Le style.
Il Barbiere di Siviglia fait partie, avec
Socrate immaginario (1775),
Il Re Teodoro in Venezia (1784),
La Molinara (1788),
Nina (1789), des quatre ou cinq opéras les plus réussis du
compositeur napolitain. Compte tenu de sa date de composition antérieure aux chefs-d'oeuvre à venir de Martin i Soler, Mozart et Salieri,
Il Barbiere di Siviglia étonne par ses audaces. Il possède des caractéristiques qui en font un
opéra d'avant garde et en particulier:
-
une grande brièveté et concentration. L'action est menée tambour battant. Les récitatifs secs sont assez courts, les airs et les ensembles également, il n'y a que peu de redites, pratiquement aucune virtuosité vocale et ainsi le spectateur bénéficie de beaucoup de musique et d'action dans un laps de temps inférieur à l'heure et demie. Les recettes de l'opéra bouffe sont utilisées avec brio et les ensembles sont nombreux ce qui tend à densifier l'action dramatique et à amplifier les effets. Il est certain que Haydn apprécia cet opéra car il ne lui fit subir aucun changement contrairement à la plupart des autres opéras italiens où il raccourcit souvent des airs jugés trop longs quand il ne les fit pas disparaître complètement.
-
une instrumentation audacieuse faisant un usage généreux des instruments à vents et en particularité des
clarinettes qui brillent dans trois airs au moins.L'orchestre régulier d'Eszterhazà ne possédait pas de clarinettes ce qui devait poser problème pour l'exécution de l'opéra; il est possible que pour une fois, Haydn remplaça les clarinettes par des hautbois, on peut aussi imaginer qu'il fit appel, comme pour son
Armida montée en 1784, à la musique militaire du château qui, elle, comportait des clarinettes.
Les
temps forts. Il est difficile de faire un choix car tous les morceaux sont réussis.
Le duo entre Rosine et Bartolo (scène n°4) est incisif et dynamique. Les syncopes de l'orchestre sur les paroles de Bartolo "
Via favorite d'entrar Signora..." sont particulièrement impressionnantes.
La cavatine du Comte "
Saper bramate..." (scène n°5) est très célèbre. L'accompagnement de
mandoline nous indique qu'il s'agit d'une sérénade. La sonorité rêveuse et pure de la clarinette donne beaucoup de caractère à cet air.
La scène n°7 débute par un
terzetto qui connut un succès triomphal. Bartolo se dispute avec ses deux serviteurs Giovinetta (Jeunette) et Svegliato (Dégourdi) tous deux victimes d'
éternuements irrépressibles. Si personellement je ne suis pas tellement sensible à ce type de bouffonnerie, cette scène fait toujours son effet auprès du public. Lorsque Gioacchino Rossini produisit son Barbier de Séville en 1816, il évita habilement cette scène dans son opéra, estimant probablement que le terzetto de Paisiello était insurpassable (1).
L'aria de Basilio "
La Calunnia, mio Signore..."(scène n°
est à mon avis un
sommet de l'opéra. Basilio, professeur de musique de Rosina, explique comment la
calomnie pourra venir à bout du comte Almaviva. La calomnie débute doucement puis le diable la fait passer de bouche en bouche, elle enfle, gonfle, tourbillonne et devient un tumulte universel. Un orchestre très entreprenant participe activement à cette description d'un étonnant cynisme. Certains motifs de cette orchestration seront repris avec bonheur dans le prélude "
Temporale" (l'orage) précédant l'acte IV.
La cavatine de Rosina "
Giusto ciel, che conoscete quanto il cor..."(scène n° 11) termine l'acte II en douceur avec de très belles arabesques des vents auxquels les clarinettes donnent une coloration d'une grande suavité.
La "
Seghidiglia spagnuola" (scène n° 14) est très comique. Plutôt que la
couleur locale espagnole, Paisiello a cherché à railler Bartolo en le faisant chanter un air aux accents un peu archaïques, désuets et un tantinet grotesques.
Le
quintette (scène n° 15) qui termine l'acte III est sans doute le
sommet dynamique de l'opéra. Décrire la vie et l'agitation de cette scène désopilante est une tâche impossible: les personnages entrent et sortent, les onomatopées fusent. Le comique grotesque de Bartolo ou Basilio jouxte l'inquiétude de Rosina qui doute de la sincérité de son Lindoro et se perd dans les déguisements successifs de ce dernier. Les protagonistes voulant se débarrasser de Basilio, envoient ce dernier "
al letto" (au lit) en lui faisant croire qu'il est malade. Un
comique irresistible résulte de la prononciation du vocable "al letto" successivement par le Comte, Bartolo, Figaro et Rosina!
(1) Daniel Brandenburg, Il Barbiere di Siviglia, notice, Putbus Edition, Arte Nova, 1997.
(2)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/haydn-et-l-opera-italien-t97.htm message du 25:12:08