Les travaux récents de divers musicologues ont établi une liste de treize trios pour piano, violon et violoncelle authentiques composés par Joseph Haydn avant 1765. Parmi ces treize trios, deux sont perdus. Les onze trios restants ont été numérotés suivant un ordre chronologique. Les considérations concernant l'authenticité et la chronologie sont détaillées par Marc Vignal (1). Les sept premiers trios ont été composés vraisemblablent avant 1760, ils possèdent des "résidus" de continuo attestant bien les racines baroques (sonate en trio) de ce genre musical. Les enregistrement disponibles usant généralement de numérotations fantaisistes, il faut utiliser la classification Hoboken pour se repérer. Ces trios ne sont presque jamais joués et m'ont révélé une facette très attachante du génie de Haydn
Le trio n° 1 en mi bémol majeur (HobXV.36) possède des caractères archaïques (présence du continuo) justifiant sa position en première place. Personnellement je le trouve un peu atypique par ses tournures mélodiques mais on peut le comprendre puisque le jeune musicien (âgé peut-être de 24,25 ans) évoluait dans une époque de transition: le baroque s'estompait et laissait la place à de nouveaux styles.
Le premier mouvement Allegro moderato est construit sur un thème unique très séduisant. Le thème passe très vite à la dominante ce qui est rare chez Haydn. Le magnifique développement par contre est bien typique de Haydn, le contrepoint sérré, les imitations entre clavier et violon de motifs issus du thème principal donnent une ampleur insoupçonnée à ce très beau mouvement.
Le second mouvement en ut mineur est appelé "Polones". C'est un exemple magnifique d'utilisation de mélodies et de rythmes d'Europe centrale (Pologne en l'occurence). Ce mouvement spectaculaire et d'une véhémence étonnante annonce les mouvements de l'avenir basés sur le folklore, les fameux rondos alla zingarese des trios n° 32 en la (HobXV.18) et n° 39 en sol (HobXV.25).
L'allegro molto final à 3/4 est aussi très original. L'intermède central en ut mineur est un cantus firmus de huit mesures joué par le violoncelle et la basse au dessus duquel on entend des figuration en filigrane du violon et de la main droite du clavier. Ce passage est tout à fait impressionnant. Dans la seconde partie de l'intermède le cantus firmus est répété dans plusieurs tonalités pour revenir au ton d'ut mineur.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 783-8.