La Frascatana, dramma giocoso, musique de Giovanni Paisiello et livret de Filippo Livigni fut crée à Venise en 1774. Le succès de cet opéra fut phénoménal et cette musique retentit sur toutes les scènes européennes jusqu'en 1808. Rien qu'en 1776, la pièce fut représentée dans 27 théâtres européens (1)! Joseph Haydn monta l'oeuvre à Eszterhazà en 1777. A cette occasion et pour les reprises de 1778 et 1779, Haydn composa un air avec solo de hautbois:"D'una sposa meschinella", destiné au personnage de Donna Stella.
Synopsis. Au début de l'action, le chevalier Giocondo en route pour rejoindre sa fiancée (Dona Stella) s'arrête en chemin au domicile de Violante (la Frascatana c'est à dire la fille de Frascati, ville du Latium) dont il est amoureux. Violante est jalousement gardée par son tuteur Don Fabrizio, un barbon qui projette de l'épouser. Violante aime Nardone, un berger et est aimée de lui. Le rusé Don Fabrizio fait croire à Violante que Nardone est marié et a des enfants; il arrive à convaincre Nardone que Violante va épouser il Signor Mortadella (grands éclats de rire garantis dans la salle!). Les nombreuses brouilles et quiproquos qui s'ensuivent sont dénoués et les machinations de Fabrizio démasquées. Ce dernier décide de séquestrer Violante dans une tour. Giocondo s'allie à Nardone pour délivrer Violante, on décide de l'enlever et de la remplacer par Lisetta, une servante d'auberge. Une fois Violante libre, Giocondo s'arrange avec Don Fabrizio pour la récupérer moyennant l'effacement d'une dette de 1000 écus que Don Fabrizio a contactée. Violante déjoue ce marché en annonçant à la compagnie: "....e solo di sposar prometto il mio caro Nardone, vile ed abietto" (je promets seulement d'épouser mon cher Nardone, humble et misérable). Trois mariages sont finalement projetés: Violante et Nardone, Giocondo et Dona Stella, Lisetta et Pagnotta, serviteur du chevalier Giocondo. Don Fabrizio connait le triste sort des vieillards amoureux dans la comédie italienne, il reste seul.
Une intrigue invraisemblable mais très amusante. Les conventions sociales, les arrangements entre personnes, les rapports de force et les intérêts économiques ont peu de poids lorsque l'amour véritable est en jeu. Cette morale eut l'heur de plaire au public du dernier quart du 18ème siècle.
Le Style. Si on la compare avec Socrate immaginario, une comédie de Paisiello contemporaine, on constate que La Frascatana est très différente. Alors que Socrate avec ses nombreux choeurs et ensembles regarde du côté de Gluck, et plus généralement de l'opéra réformé, la Frascatana qui consiste en une suite d'airs entrecoupés de récitatifs secs est dans la lignée de La Cecchina de Niccolo Piccinni. Les airs sont ici très courts et manquent un peu de relief ce qui ne favorise pas la caractérisation des personnages.. Heureusement il y a les ensembles et surtout celui qui clot le second acte et celui qui constitue l'essentiel au plan dramatique du 3ème acte.
Les Hits.
Les airs
-Au premier acte: l'air de Don Fabrizio "Obbligato dell'aviso..."donne une bonne idée de la fourberie du personnage.
-l'air de Dona Stella "D'una sposa meschinella..." fut remplacé par Haydn par un air de son cru. Il est clair que Haydn jugea l'air de Paisiello peu adapté à la situation et composa sur les mêmes paroles un air magnifique exprimant bien mieux le dépit et le courroux de Dona Stella bafouée par son malhonnête fiancé. L'air de Haydn est précédé d'une superbe introduction avec hautbois obligé. Beaucoup plus développé que l'air prévu par Paisiello, il comporte deux parties, une première partie lente très lyrique et une seconde rapide remarquable par ses mélismes censés exprimer la colère de Dona Stella.
Les ensembles
-finale du second acte "Vieni pur carina mia...". Il est précédé d'une merveilleuse introduction par le quatuor à cordes scandée par les notes détachées des cors. Ce finale comporte six parties et peut être considérée comme un des premiers prototypes de finale à la chaine. Le deuxième épisode "Bricconcella, Malandrina..." très agité décrit une bataille rangée entre les protagonistes qui en viennent aux mains. Le troisième épisode "Or che in placido silenzio..." revient au lyrisme du début alorsque Nardone et Violante sortent de la tour et se moquent gentiment de Don Fabrizio. Quatrième épisode "Io colto per Bacco..." est de nouveau très agité. Le chevalier Giocondo demande des explications à Fabrizio et Dona Stella exprime vigoureusement son courroux. On revient ensuite au magnifique début dans le cinquième épisode. Superbe sixième épisode réunissant tous les protagonistes "Son confusa, io son di gelo..." et l'acte se termine dans la confusion générale.
-quintette du troisième acte " Son deriso ed avvilito..." Un des sommets de l'opéra: le chevalier Gioconde, Don Fabrizio, Pagnotta, Violante et Nardone expriment à tour de rôle leurs états d'âme accompagnés par un merveilleux dessin descendant fait de rythmes pointés des cordes. Fabrizio se compare à un tambour résonant en réponse aux événements qu'il a vécu et du coup le personnage acquiert une humanité inattendue. Tous les autres protagonistes reprennent à leur compte la métaphore du tambour et l'orchestre termine avec une discrète fanfare militaire cette scène d'une grande poésie.
(1) Francesco Gatti, Notice de La Frascatana, Incisione Bongiovanni, 2004.