On pourrait discuter longuement pour savoir lequel des grands trios pour piano, violon et violoncelle en mi bémol majeur: n° 45 (HobXV.29), n° 36 (HobXV.22), n° 24 (HobXV.11), n° 23 (HobXV.10), est le plus beau. Ce qui est certain c'est que tous ces trios ont un air de famille, une sonorité particulière faite de force, noblesse, lyrisme, gravité...Le trio n° 42 en mi bémol majeur (HobXV.30) n'échappe pas à cette règle.
Le premier mouvement Allegro moderato est une puissante structure sonate pleinement épanouie d'une grande richesse thématique, on peut distinguer, sans compter les nombreux motifs secondaires, au moins quatre thèmes, tous généreusement développés. Les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes thèmes sont subtilement issus du premier. L'admirable troisième thème en si bémol mineur est incroyablement romantique. Le quatrième théme très virtuose évoque une ritournelle de concerto pour piano. Le développement très intense est construit à partir des premiers, seconds et quatrièmes thèmes. Lors de la réexposition, profondément remaniée, on remarque une extension très dramatique du second thème. Le troisième thème est modifié également de façon inattendue ce qui le rend encore plus expressif. On a ici sans aucun doute un des plus grandioses premier mouvements de Joseph Haydn.
Le très bel andante con moto en ut majeur offre un vif contraste avec ce qui précède. De forme lied, il débute avec un thème merveilleusement harmonisé qui par son caractère recueilli m'évoque le sublime Andante du quatuor à cordes en fa majeur opus 77 n°2. L'intermède central, très court, reste dans l'ambiance de la première partie tout en l'approfondissant et dans la troisième section, le thème initial est réexposé avec de légères modifications. Une émouvante transition enchaine ce mouvement au suivant.
C'est avec une fois de plus un finale, Presto, énigmatique que se termine l'oeuvre. D'une extrême concentration comme beaucoup de mouvements de cette période, ce morceau est un mouvement perpétuel sans la moindre pause pour reprendre son souffle. Il n'y a pas une note de trop, juste l'essentiel. La première partie est encadrée de doubles barres de reprises. Le thème anguleux exposé par le piano n'est pas facile à mémoriser mais les contrepoints du violon en facilitent la compréhension. La deuxième partie est un vaste et véhément intermède mineur. Le thème, d'abord au violon est accompagné par une partie de pianoforte massive et agressive, il se partage ensuite entre clavier et violon avec une violence accrue; à la fin de l'intermède, on entend à la main gauche du piano un écho en mineur du thème initial. La troisième partie est d'abord une récapitulation de la première partie avec quelques modifications. A la fin le contrepoint devient de plus en plus serré et le morceau se termine avec la plus grande énergie mais de manière interrogative. Après un pareil chef-d'oeuvre, dernier né d'une liste de quarante cinq que peut-on faire de plus??