Seconde des trois symphonies dédiées au Comte d'Ogny la symphonie n° 91 en mi bémol majeur, composée par Joseph Haydn en 1788, est peut-être la moins jouée. Sans doute la célèbrissime symphonie n° 92 en sol majeur Oxford lui fait de l'ombre. C'est pourtant une oeuvre passionnante qui montre la diversité d'inspiration de Haydn en cette féconde année 1788 qui vit naître, outre deux des trois symphonies d'Ogny, deux admirables trios pour piano, violon et violoncelle en mi bémol (HobXV.11), en mi mineur (HobXV.12), six quatuors à cordes opus 54 et 55 géniaux etc...Rappelons ici que le groupe des symphonies d'Ogny fait suite aux deux symphonies n° 88 et 89 composées en 1787 dans le sillage des six Parisiennes terminées au cours de l'année 1786.
Après une introduction lente Largo assez courte et discrète, l'allegro assai séduit par sa sonorité moelleuse et riche, typique de cette tonalité de mi bémol majeur, aimée de Joseph Haydn et Wolfgang Mozart. De façon très originale, Haydn commence son allegro avec deux thèmes énoncés simultanément par les violons (thème a, ascendant) et les basses (thème b, descendant). On ne sait pas quel est le thème principal car les deux sont aussi beaux l'un que l'autre. Afin qu'il n'y ait pas de jaloux, violons et basses échangent ensuite leurs thèmes (1). La combinaison des deux thèmes, agrémentée de contre-chants variés monopolise l'exposition, le thème a est ensuite exposé fortissimo en si bémol par tout l'orchestre et conduit à une modulation de si bémol à ré bémol majeur incroyablement schubertienne. Ce passage magique aboutit à un thème nouveau (thème c) très expressif. Lors du développement les thèmes a et b toujours combinés se taillent la part du lion, il sont accompagnés par un contrechant nouveau aux bois produisant un effet sonore particulièrement merveilleux évoquant une fois de plus Schubert. Lors de la réexposition et comble de la subtilité les thèmes a et b sont exposés cette fois inversés: le thème b aux violons devient ascendant et le thème a aux bois descendant.
Ce mouvement est à la fois un des plus séducteur et architecturé de Haydn, c'est un régal pour l'oreille et l'esprit.
Après un premier mouvement d'une élégance aristocratique, l'Andante qui suit est de caractère populaire. C'est un thème suivi de quatre variations. Le thème est une sorte de marche lente qui s'assombrit curieusement du fait d'un sforzando assorti d'une modulation fugace des basses. La première variation est un solo goguenard du basson. La variation mineure qui suit est émouvante, à la mesure 76, on note un admirable contre-chant de la flûte qui donne à ce passage une troublante poésie. Lors des troisième et quatrième variations, le rythme de marche devient plus énergique et prend un caractère presque militaire. A la fin le thème est énoncé par les bois et les cors et accompagnés par une avalanche de trilles aux violons et Marc Vignal évoque à ce propos certains passages grotesques de symphonies ou de lieder de Gustav Mahler (2).
Le thème du menuetto Allegretto, à mon humble avis, a une saveur archaïque et me fait penser aux menuets de sonates pour piano d'avant 1770. Le trio est une charmante petite valse chantée à l'octave par deux solistes, le basson et le violon. A la fin du trio une flûte solo apporte un piquant contrepoint au basson et au violon.
Le finale vivace est bâti sur un thème gracieux auquel l'intervalle de sixte entre les deux premières notes donne une physionomie particulière. On note l'accompagnement piquant staccato du violoncelle, indépendant des contrebasses lors du second exposé du thème. Le thème principal remplit presqu'entièrement l'exposition et ne laisse au second thème qu'un rôle secondaire. Le développement est bâti sur le thème principal dont l'intervalle entre les deux premières notes devient une septième augmentée (mesure 118) ce qui lui donne une allure bien plus agressive.. Le thème est ensuite progressivement fragmenté dans la suite du développement et est réduit à trois notes seulement. La réexposition est semblable à l'exposition. Comme dans le premier mouvement il n'y a pas de coda. L'orchestration de la symphonie est remarquable, les violoncelles sont souvent distincts des contrebasses ce qui à l'époque est une innovation et les vents très indépendants forment souvent un bloc s'opposant au groupe des cordes au lieu de doubler ces dernières comme cela pouvait être le cas dans des symphonies antérieures.
Le groupe des symphonies d'Ogny terminent la production symphonique de Haydn avant le grand voyage à Londres. D'aucuns pensent que la perfection formelle, la concentration, l'originalité et la profondeur des symphonies n° 88 (1787) et 92 (1789) seront égalées mais non dépassées par les symphonies ultérieures pour l'essentiel composées à Londres.
(1) Bien que les thèmes soient très différents, ce début me fait penser à celui de l'allegro initial de la symphonie n° 39 en mi bémol de Mozart.
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1207-8. Mahler n'hésite pas à faire exécuter à son groupe de quatre cors des trilles, extrémité à laquelle Joseph Haydn ne s'est jamais livré, du moins à ma connaissance.