Il Marito Disperato, dramma giocoso, musique de
Domenico Cimarosa, livret de
Giambattista Lorenzi fut crée en 1785 au teatro dei Fiorentini de Naples.
Joseph Haydn le monta et le fit représenter à Eszterhazà en 1788. Il n'y eut que quatre représentations, ce qui est très peu quand on sait qu'
Armida de Joseph Haydn fut représentée 54 fois et que l'
Isola di Calipso abbandonata de Luigi Bologna fut représentée 41 fois (1)! Il semble donc que cet opéra n'eut pas l'heur de plaire au Prince Nicolas le Magnifique.
Argument.
Don Corbolone, un riche napolitain serait un homme comblé s'il n'était pas victime d'une jalousie obsessionnelle. Sa belle et vertueuse épouse
Gismonda, est excédée par ce comportement. La soubrette
Dorina persuade Gismonda d'exciter la jalousie de son mari en accueillant le
comte Fanfaluchi, homme prétentieux et stupide, amoureux de Gismonda.
Eugenia, une jeune veuve sémillante, accompagnée de son amoureux
Valerio, vient rendre visite à Gismonda et lui promet son appui. Corbolone prend à témoin le
marquis Castagnacci, père de Gismonda pour constater l'infidélité de Gismonda en la surprenant avec le comte. Chaque fois les femmes rusées trouvent un stratagème pour ridiculiser Corbolone. Une dernière trouvaille des trois femmes, lorsque Don Corbolone surgit inopinément, est de dire que le Conte est en fait tombé amoureux d'Eugenia. Valerio, fou de jalousie et le marquis, furieux qu'on bafoue l'honneur de sa fille, décident de tuer le comte et Corbolone. Ces derniers terrorisés se déguisent en statues. Les deux justiciers, voyant les statues parler sont également terrorisés et prennent la fuite. Gismonda décide de prendre le parti de son mari et, avec l'aide des autres protagonistes réconciliés, d'attirer le Comte dans un piège. Au moment où ce dernier entame sa sérénade devant Gismonda, il est attaqué par des bandits qui lui volent ses vêtements, un orage éclate et le comte en piteux état, demandant asile à la compagnie, apparait à moitié nu devant Gismonda et ses complices horrifiées. Il est chassé à coups de bâton. La compagnie fête par des réjouissances la paix retrouvée du ménage.
Le style. Le thème de la
jalousie avait été déjà traité dans
Giannina et Bernardone mais les deux livrets diffèrent du tout au tout. Tandis que dans
Giannina et Bernardone la jalousie et la maltraitance sont traitées de façon plutôt dramatique, nous sommes conviés ici à une
farce burlesque. Les quatre personnages masculins sont de pitoyables bouffons. Trois sont des aristocrates (le comte, le marquis et Valerio), Corbolone est un bourgeois, il est le seul à s'exprimer en dialecte napolitain. Les
femmes ont indiscutablement le beau rôle, elles tirent toutes les ficelles et manipulent les hommes comme des pantins. Des trois c'est la servante Dorina la plus douée. Le titre
Il Trionfo delle Donne m'a semblé convenir particulièrement à cet opéra (2).
De cette trame, Cimarosa tire un parti exceptionnel. Si on compare
Il Marito Disperato avec
I due Baroni di Rocca Azzurra de 1783, on constate que la musique de Cimarosa a beaucoup évolué en l'espace de deux ans. Voici quelques caractéristiques de cet opéra:
-
beaucoup d'ensembles et peu d'airs; en plus des deux copieux finales d'actes, l'acte I comporte deux grands ensembles et l'acte II un seul très développé;
-
plus de polyphonie, harmonies plus hardies, modulations nombreuses;
-
orchestration beaucoup plus dense et plus symphonique, rôle beaucoup plus important des violoncelles et contrebasses, instruments à vents plus en dehors. Ces détails prennent de l'importance quand on songe que
Il Marito disperato fut composé en même temps que La
Grotta di Trofonio de
Salieri (1785) et avant les gransds opéras de
Mozart (Noces de Figaro, 1786) et de
Martin i Soler (
Una Cosa rara, 1786).
Les hits. Tous les airs et ensembles seraient à citer dans ce magnifique opéra.Acte I
-Cavatine de Gismonda "
Dove mai, dove si vide", un concentré de
charme mélodique et de vocalité, typiques de Cimarosa.
-Aria de Dorina "Che bella innocenza" qui médite sur l'innocence des femmes et la fourberie des hommes. Un air plein de verve et d'humour qui caractérise la rusée soubrette.
-
Magistral ensemble "
Nota di mastro Antonio..." Corbolone croit avoir saisi un billet doux du Comte Fanfalucci mais Dorina a subtilisé ce dernier et l'a remplacé par la facture du tailleur Antonio.
-Le finale de l'acte I est également éblouissant et contient de
superbes envolée lyriques. La confusion engendrée par les statues parlantes atteint son paroxisme. Le tutti final reprend la métaphore de la rumeur qui commence comme un ruisselet, qui enfle et devient un fleuve bouillonnant qui avait été utilisée avec bonheur dans
Il Barbiere di Sevilla de
Paisiello (1782).
Acte II
Trois airs seulement mais deux ensembles dont la durée dépasse la moitié de l'acte entier.
-Le premier ensemble "Ah Fermate Oimé Son morta" est particulièrement agité. Corbolone a vu Gismonda avec un officier et tient la compagnie en joue avec son fusil. L'officier alors paraît et n'est autre que....Eugenia! Le morceau se termine par de superbes envolées lyriques.
-Le finale de l'opéra est un
chef-d'oeuvre vocal et instrumental. Il commence par un superbe prélude animé par un violoncelle et une flûte solo, une petite symphonie concertante en fait.
Au centre nous trouvons un "temporale" (orage), brillante pièce orchestrale, pendant d'une page analogue du Barbier de Séville de Paisiello (3). Un climat très agité règne dans tout ce finale mais à la fin tout se calme avec un
superbe terzetto entre Gismonda, Corbolone et le Marquis réconciliés.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 232-3.
(2) Il Trionfo delle Donne est le titre de la contredanse KV 607 de Mozart. On peut lire à ce propos:
http://www.mozartforum.com/Lore/article.php?id=349(3)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/le-barbier-de-seville-un-chef-d-oeuvre-de-paisiello-t186.htm(4) N Rossi and T Fauntleroy, Domenico Cimarosa, Greenwood Press, 1999, pp 187-188.