Sujet: Symphonie n° 99 en mi bémol majeur Mer 18 Nov - 11:27
La Symphonie n° 99 en mi bémol majeur, composée en 1793 à Vienne entre les deux voyages en Angleterre, fut crée à Londres le 10 février 1794. Première de la deuxième série de symphonies Londoniennes (n° 99 à 104), c'est à cette date la plus richement orchestrée de ses symphonies car pour la première fois, deux clarinettes figurent dans l'effectif orchestral (1).
Dès le premier accord fortissimo de l'introduction Adagio, on perçoit un changement frappant de sonorité par rapport aux symphonies précédentes, un gain de puissance et de moelleux apporté par les deux clarinettes sans aucun doute. Ces dernières jouent parfois à l'unisson dans leur registre aigu et ressortent très nettement de la masse orchestrale (mesures 46 et 47 par exemple). On a dit de cette symphonie (comme de la précédente, la n° 98 en si bémol) qu'elle était un hommage à Mozart. Effectivement dans l'Adagio introductif, on entend un motif très semblable à un motif de l'Adagio (deuxième mouvement) du quintette en ré majeur KV 593 (2). Ce motif aboutit à un unisson de tout l'orchestre sur un do bémol et un point d'orgue mystérieux. Le do bémol devient si bécarre par enharmonie et le thème initial reparaît au hautbois soutenu par un accord de septième de dominante de si majeur des cordes. Le Vivace assai qui suit est un des premiers mouvements les plus volontaires et dynamiques de Haydn. Le premier thème, énergique tout en étant souple domine toute l'exposition. Le second thème très original, léger et spirituel est exposé piano par les premiers violons doublés par la clarinette, il termine l'exposition. Le développement donne une part à peu près égale aux deux thèmes, le premier donne lieu à une lutte acharnée prodigieusement beethovénienne quant au second il fait l'objet d'une merveilleuse conversation entre pratiquement tous les pupitres. Lors de la réexposition, le second thème discret lors de l'exposition prend de plus en plus d'importance pour atteindre à la fin un sommet de puissance lorqu'il est énoncé par les violoncelles et contrebasses au dessous d'un fortissimo de tout l'orchestre.
L'Adagio en sol majeur est une structure sonate à deux thèmes également très différenciés. Le premier thème est méditatif avec un sentiment presque religieux, il est d'abord exposé par les cordes, puis en imitations par les bois seuls (flûtes, hautbois, bassons), passage sublime qui conduit au second thème, un des plus beaux chants de Haydn, exposé par les violons et richement harmonisé par tout l'orchestre. Dans le développement très dramatique, basé en partie sur le second thème, les cuivres et les timbales interviennent avec force. La réexposition est d'abord similaire à l'exposition: le thème I est exposé par les violons mais avec une harmonisation un peu différente. Le second exposé du thème appartient aux cordes et non plus aux bois. Le second thème donne lieu à une extention très intense, une marche harmonique conduisant à un fortissimo scandé violemment par les trompettes et les cors. Un dernier exposé du second thème, devenu prépondérant dans cette reprise, met un point final à ce magnifique adagio.
Le menuetto, Allegretto, très original débute sur l'accord parfait descendant de mi bémol. Au début énergique et tendu, le mouvement s'assouplit et prend à la fin de la première partie le rythme d'une valse. Le trio débute ex abrupto en ut majeur qui après le mi bémol majeur du menuetto surprend. Pendant tout le trio, le hautbois double le premier violon. Une transition de plusieurs mesures permet le passage en douceur cette fois de la tonalité d'ut majeur du trio au mi bémol majeur du menuetto.
Le finale Presto est un rondo sonate. Le refrain comporte un double exposé des deux parties du thème, il est suivi par un intermède comportant un second thème. Ce dernier est une des créations les plus originales et raffinées de Haydn, il se compose de très courts motifs circulant très rapidement à travers des instruments souvent solistes, de tessiture et de timbres souvent aux antipodes: successivement: clarinettes, flûtes et bassons, hautbois et cors, violoncelles et violons, bassons et hautbois, flûtes et clarinettes, violons et cors, violoncelles, etc..chaque fragment n'a pas de sens mélodique et c'est leur juxtaposition et leur superposition qui crée la mélodie. L'exposé du refrain aboutit au couplet central qui est un formidable développement contrapontique sur les deux premières mesures du refrain d'une virtuosité à couper le souffle. Les entrées canoniques se succèdent à tous les pupitres mais malgré la complexité de l'écriture, la lisibilité est parfaite et ce mouvement vertigineux aboutit à un nouvel exposé du refrain clamé cette fois forte par tout l'orchestre puis s'arrêtant sur un point d'orgue. Une brillante péroraison de l'orchestre enchaine sur le magique second thème et ce mouvement à la fois rigoureux, spirituel, plein d'humour s'achève sur un fortissimo. La structure du rondo sonate adoptée ici est particulièrement harmonieuse, elle évite toute répétition et permet une invention continue et un développement perpétuel.
(1) 2 clarinettes en plus des 2 hautbois, 2 flûtes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et cordes. (2) Mozart et Haydn se virent à la fin de 1790. A cette occasion il est possible qu'ils déchiffrèrent ensemble le quintette à cordes avec deux altos en ré majeur KV 593 inscrit dans le catalogue personnel de Mozart en décembre 1790.
Dernière édition par Piero1809 le Jeu 6 Oct - 21:03, édité 3 fois
Sujet: Re: Symphonie n° 99 en mi bémol majeur Jeu 19 Nov - 10:25
La symphonie n° 99 est probablement la moins jouée des six dernières Londoniennes. J'avais à ma disposition les versions d'Antal Dorati (orchestre de chambre de Lausanne), Adam Fischer (Orchestre Austro-Hongrois) et Nikolaus Harnoncourt (Concertgebouw d'Amsterdam, 1990).
Premier mouvement. C'est Harnoncourt qui donne au portique Adagio toute sa noblesse et sa grandeur. Dans le Vivace assai, Harnoncourt adopte un tempo un peu plus retenu que Fischer et Dorati et donne ainsi une plus grande puissance et majesté à ce splendide mouvement. C'est lui qui donne au second thème la plus riche palette d'expression. Léger, quasiment Rossinien au début, ce thème acquiert de la profondeur dans le développement pour supplanter le premier thème dans la conclusion. Net avantage à Harnoncourt dans ce mouvement.
Le tempo adopté par Harnoncourt dans le second mouvementAdagio est un peu plus lent que chez ses deux concurrents. Il m'est difficile de les départager, chacun proposant une lecture très convaincante. Toutefois les bois (excellent basson) de l'orchestre austro-hongrois m'ont semblé plus émouvants et plus intenses dans ce mouvement. Avantage à Fischer.
Haydn a indiqué Allegretto pour le Menuetto et trio. Harnoncourt le joue arbitrairement Allegro assai sinon Presto. Au lieu d'un menuetto nous avons là un scherzo beethovénien comme Haydn en écrira cinq ans plus tard dans ses quatuors de l'opus 76 et 77. Le résultat n'est pas choquant mais musicalement discutable. Dans le trio, les premiers violons pratiquent un léger portamento, quasi glissandoallaMahler. La filiation Haydn-Mahler a plusieurs fois été évoquée dans la littérature et dans ce forum. Dans le cas de ce trio au charme agreste suffisamment évocateur per se je ne suis pas convaincu par l'initiative de Harnoncourt. Avantage à Fischer et Dorati.
Le finale Vivace est un des plus éblouissant de toutes les symphonies de Haydn et Harnoncourt est vraiment à la hauteur de la situation. Il propose une lecture puissante, souple musclée d'une merveilleuse clarté dans le deuxième thème à l'articulation si subtile et dans les prouesses contrapuntiques du développement. Avantage à Harnoncourt.
Harnoncourt prend plus de risques que ses collègues et prend la tête du trio dans deux mouvements sur les quatre.
Dernière édition par Piero1809 le Jeu 6 Oct - 21:01, édité 1 fois
Sujet: Re: Symphonie n° 99 en mi bémol majeur Mar 24 Nov - 10:40
Parmi les six dernières symphonies Londoniennes, la symphonie n° 99 en mi bémol majeur est sans doute la plus abstraite. Si elle est la seule à n'avoir pas de surnom c'est qu'aucun détail pittoresque, aucune anecdote, aucun programme ne semblent avoir présidé à sa naissance (1). A cause de cela, elle est peut-être,la plus dense, la plus concentrée des six tout en ne sacrifiant rien à la beauté mélodique.
Avec la symphonie n° 102 en si bémol majeur, c'est ma préférée des six. Quel est votre avis sur la question?
Je sais que certains parmi vous sont réticents aux comparaisons qu'ils jugent oiseuses. Je suis d'accord avec eux, toutes les symphonies de Joseph Haydn ont leur charme spécifique et il serait présomptueux et vain de donner des jugements de valeur sur chacune d'entre elles. Il me semble toutefois permis de donner un point de vue totalement subjectif.
(1) Rappelons ici les surnoms des six dernières Londoniennes:
99 Pas de nom 100 Militaire 101 Horloge 102 Miracle La chute d'un lustre eut lieu durant l'éxécution de la n° 102 et non pas de la n° 96 en ré majeur comme on le dit généralement. 103 Roulement de timbales 104 Londres.
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Sujet: Re: Symphonie n° 99 en mi bémol majeur Lun 2 Aoû - 21:15
L'article étant en anglais, je me permets d'effectuer une tentative de traduction:
Symphonie n° 99 de Haydn en mi bémol majeur : entraînante et ravissante
Le deuxième voyage triomphal de Franz Joseph Haydn à Londres a commencé en trombe.
Le 10 février 1794, six jours après le retour du célèbre compositeur dans la capitale anglaise, la Symphonie n° 99 en mi bémol majeur fut créée aux Hanover Square Rooms. Une critique du concert dans le Morning Chronicle est publiée,
L'incomparable Haydn a produit une nouvelle Ouverture [Symphonie] dont il est impossible de parler en termes communs. C'est l'un des plus grands efforts de l'art que nous ayons jamais vu. Elle regorge d'idées, aussi nouvelles en musique que grandioses et impressionnantes ; elle éveille et affecte toutes les émotions de l'âme. – Elle a été reçue par des applaudissements enthousiastes.
En effet, cette œuvre, ainsi que les autres Symphonies de "Londres" de Haydn (Nos 93-104), ont déclenché un nouveau genre de musique qui était plus fort, plus audacieux et plus intensément dramatique. Fini l'élégance aristocratique des premières symphonies de Haydn, écrites pour la cour du prince Esterházy où le compositeur a été heureusement employé pendant 30 ans. L'ère industrielle avait commencé. La révolution était dans l'air. Cinq ans plus tôt, la Révolution française avait éclaté, déclenchée par les proclamations américaines de la liberté en 1776. Les Hanover Square Rooms de Londres représentaient la naissance de la salle de concert publique, donnant «une expression architecturale à la sacralisation croissante et puissante de la musique». (Blanning, The Triumph of Music). Un concert de Haydn en 1792 aurait attiré un public de 1 500 clients dans la salle, qui en accueillait généralement 800. Peut-être que Haydn, qui avait près de 60 ans lorsqu'il a été amené à Londres pour la première fois par l'imprésario Johann Peter Salomon, a été l'un des premiers compositeurs à atteindre une telle célébrité publique.
Le premier mouvement (Adagio, vivace assai) débute par une introduction à la fois monumentale, mouvementée et mystérieuse. Nous sommes confrontés à des dissonances étranges et déchirantes (0:22) et à des virages harmoniques soudains et errants (1:07). C'est la première symphonie dans laquelle Haydn inclut des clarinettes. L'ajout élargit la palette de couleurs des bois et suggère l'influence de Mozart, décédé en 1791. L'exposition est dominée par un seul thème jubilatoire, ponctué de trompettes et de timbales. À 3:31, écoutez la façon dont un si bémol soutenu prend de la force avec l'ajout de nouvelles voix instrumentales. Le développement aventureux se poursuit à travers la récapitulation jusqu'à la fin du mouvement.
Le deuxième mouvement (Adagio cantabile) se déroule dans la tonalité distante de sol majeur. Il ouvre la porte à un drame vaste et sublime de voix conversantes. Par moments, la musique de Beethoven semble être au coin de la rue. Comme avec tant de mouvements symphoniques de Beethoven, nous obtenons un sens de la musique qui ne peut être contenu dans les limites habituelles. Des fanfares de trompettes flamboyantes émaillent les sons du champ de bataille. Le bref deuxième thème émerge comme un choral majestueux rempli d'un sentiment de gratitude sereine. Le mouvement se termine par une noble reprise de ce thème au grand orchestre. L'accord final est tonitruant et révolutionnaire.
Haydn titre le troisième mouvement : Menuetto, Allegretto. Pourtant, cette musique farouche, remplie d'interruptions nerveuses et de conflits rythmiques, semble plus proche des scherzos de Beethoven. La section trio apporte un changement surprise en do majeur.
Le mouvement final (Vivace) éclate en une célébration joyeuse et bruyante. Ce qui commence comme une mélodie batifolante et communicative explose en un feu d'artifice contrapuntique, culminant en un vigoureux fugato. La coda livre une espièglerie enjouée avant d'arriver à une résolution triomphale.
Voici l'enregistrement de Frans Brüggen avec l'Orchestre du XVIIIe siècle :