Sujet: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Lun 30 Nov - 12:16
La symphonie n° 103 en mi bémol majeur Roulement de timbales fut crée le 2 mars 1795 et fut donc composée lors du second voyage de Joseph Haydn en Angleterre. Mi bémol majeur est une tonalité aimée de Haydn qui annonce toujours de grandes choses (symphonies n° 91 et n° 99). L'instrumentation correspond à l'orchestre classique au complet que nous avons détaillé à propos de la symphonie n° 99, comportant à la fois clarinettes et hautbois. Les clarinettes se taisent dans le mouvement lent.
L'Adagio introductif est très spectaculaire. Le roulement de timbale solo pianissimo, indiqué sur la partition, a fait couler beaucoup d'encre et a marqué les esprits (1). Récemment Nikolaus Harnoncourt a proposé une lecture toute différente de ce début: le timbalier assène des coups fortissimo régulièrement espacés se terminant par un rythme martial, ce schéma est répété à l'identique et le solo se termine par un roulement pianissimo. Le tout évoque quelque marche funèbre (2). Ce caractère est accentué par l'intervention des contrebasses et des bassons qui jouent le début du Dies Irae. L'introduction s'achève par un mystérieux unisson sur un sol. L'allegro con spirito 6/8 qui suit frappe par son thème asymétrique au rythme très particulier. Le thème est exposé piano et est suivi par un tutti orchestral à la sonorité éclatante culminant sur un fortissimo de tout l'orchestre (mesure 70) d'où émergent les trompettes dans leur registre aigu et les roulements de timbales. Un second thème visiblement issu du premier est énoncé piano par le premier violon doublé par le hautbois et termine l'exposition. Alors que les sonorités brillantes abondaient dans l'exposition, les nuances piano dominent dans le développement. Ce dernier est basé sur le thème principal qui fait l'objet d'imitations et de jeux contrapuntiques subtils (superbe contrechant de la flûte). Brusquement le motif du Dies Irae reparaît au violoncelle mais le rythme 6/8 le métamorphose en lui donnant un caractère dansant tout à fait inattendu. Le premier thème revient au devant de la scène pour faire l'objet de modulations expressives et de beaux échanges avec les bois. La réexposition, condensée est encore plus véhémente que l'exposition et s'achève sur un point d'orgue. Chose exceptionnelle chez Haydn, on assiste au retour de l'introduction, avec successivement les coups de timbales solo, le Dies irae aux basses mais cette introduction est fortement condensée et le retour de l'allegro con spirito se traduit par une puissante péroraison de tout l'orchestre et une conclusion lapidaire.
L'Andante piu tosto Allegretto 2/4 en ut mineur est un double thème variéalla Haydn. Le thème en ut mineur, sorte de marche lente aux accents d'Europe centrale, donne lieu à cinq variations dans lesquelles les modes majeurs alternant avec les modes mineurs. Aucune ne s'écarte notablement du thème. Dans La deuxième variation en ut mineur, le thème est repris sans changement mais un contrechant très simple du hautbois puis de la flûte en change complètement l'expression et donnent à ce passage un caractère très émouvant. On notera l'orchestration très claire et transparente de ce passage. La troisième variation majeure, confiée au violon solo est une délicate broderie sur le thème. La quatrième variation en ut mineur contraste violemment avec ce qui précède, elle consiste en un puissant tutti orchestral, le thème fortissimo aux violons est accompagné par les doubles croches des basses et les fanfares des cuivres et des timbales. Dans la cinquième variation majeure, les bois se taillent la part du lion, les hautbois dessinent le thème et sont accompagnés par de gracieuses arabesques de la flûte. Le thème réduit à sa plus simple expression(trois notes seulement) et partagé entre hautbois et flûte, donne ensuite lieu à de superbes modulations. Cette poétique coda s'achève par quelques accords vigoureusement sabrés par tout l'orchestre.
Le Menuetto doit son rythme et son allant particulier au grupetto de son thème. Le trio est un chant ravissant du premier violon doublé par la première clarinette, l'accompagnement très original fait alterner, deuxième clarinette, basson et cor. La seconde partie du trio, confiée au quatuor à cordes et discrètement accompagnée par la clarinette est presque de la musiqe de chambre.
Le finale Allegro con spirito C barré, un rondo sonate, dépasse en puissance et complexité le premier mouvement. Strictement monothématique, ce rondo fait preuve d'une invention et d'une fantaisie époustouflantes; la présence d'un thème unique n'engendre aucune monotonie car cette apparente austérité est largement compensée par la diversité des tonalités, de couleurs, de timbres, de volume sonore et la polyphonie. Le début du mouvement est bien caractéristique, il débute par un solo des deux cors auquel se superpose la première partie du thème aux violons. Les clarinettes avec leur sonorité moelleuse accompagnent la seconde partie du thème. A la mesure 110, on a un prodigieux exemple de la manière avec laquelle Haydn renouvelle complètement l'atmosphère sans changer quoi que ce soit au matériel thématique: le thème apparait aux basses en si bémol majeur accompagné par de simples batteries aux autres cordes, il module en si bémol mineur puis en ré bémol de façon très romantique. L'orchestration de ce passage dans lequel seuls un basson et une flûte interviennent en plus des cordes est d'une transparence et d'une délicatesse merveilleuses. Avec des moyens très simples, Haydn nous émeut profondément. Ce passage se reproduit deux fois, dans le développement puis dans le troisième couplet avec une expression chaque fois renouvelée. Ce mouvement, un des plus beaux finales de symphonie de Haydn, montre bien l'efficacité de la structure rondo sonate qui du fait de l'absence de reprises donne l'impression d'un développement continu et d'un renouvellement perpétuel.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1312-5. (2) Dans la dixième symphonie en fa# majeur de Gustave Mahler, la transition entre le quatrième et le cinquième mouvement est assurée par des coups de grosse caisse solo assénés ff à intervalles réguliers. Mahler aurait entendu de tels coups de grosse caisse à New York lors d'une cérémonie funèbre en hommage à des pompiers morts au feu.
Dernière édition par Piero1809 le Sam 27 Mar - 11:22, édité 1 fois
Benoît
Messages : 267 Points : 230 Date d'inscription : 21/08/2007 Age : 60 Localisation : Basse-Normandie
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Mar 1 Déc - 23:20
Un DVD remarquable de J-F Zygel est consacré à l' analyse de cette symphonie;je le conseille pour approfondir la connaissance de ce chef-d' oeuvre.
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Mer 2 Déc - 10:43
Merci Benoît pour cette information précieuse. Bien mieux que les mots, voilà le genre d'initiative permettant de faire vraiment aimer la musique géniale de Joseph Haydn.
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Ven 4 Déc - 17:50
Cette symphonie n° 103 est vraiment très connue et une des plus enregistrées de Joseph Haydn. J'ai pu comparer les versions Nikolaus Harnoncourt, Adam Fischer et Antal Dorati.
Evidemment l'Introduction de Nikolaus Harnoncourt est de loin la plus spectaculaire et la plus sinistre. Malheureusement les mouvements suivants me déçoivent un peu. Il faut dire que cette symphonie pose d'emblée un problème complexe aux chefs. Après une telle introduction quelle attitude choisir sachant que les deux allegro con spirito en première et quatrième position évoluent dans une sphère très différente de l'introduction. Le seul mouvement qui pourrait résonner avec cette introduction serait l'Andante piu tosto allegretto en ut mineur mais la version Harnoncourt de cet andante manque de relief, à mon humble avis.
Adam Fischer aborde différemment cette redoutable équation. Son introduction est certes beaucoup moins chargée d'émotions que celle d'Harnoncourt mais l'allegro qui suit n'en rebondit que mieux et jamais le terme con spirito n'a été aussi bien interprété. Fischer nous régale avec une version lumineuse, intimiste à certains moments et puissante dans les tutti. Si l'Andante n'est pas totalement convaincant, par contre le génial quatrième mouvement me semble le plus tendu et le plus projeté vers l'avant. Quand résonnent les derniers accords de ce mouvement dans l'interprétation de Fischer, j'entends le début de la sinfonia Les Saisons, portique grandiose de ce qui aurait pu être une ultime symphonie en sol mineur.
C'est, à mon humble avis, Antal Dorati le meilleur dans l'Andante. Avec lui ce mouvement devient vraiment le coeur et le centre de gravité de l'ouvrage. Les variations mineures sont inquiétantes et le trouble n'est pas dissipé par les intermèdes majeurs, surtout le dernier qui module sans cesse pour affirmer à la fin un clair ut majeur immédiatement démenti par le mi bémol majeur du menuet.
Quelle version avez-vous entendue et comment l'avez-vous trouvée?
J'ai assisté récemment à un concert où était interprétée la symphonie n° 103 en mi bémol majeur Roulement de timbales de Joseph Haydn dans la transcription de Johann Peter Salomon pour six instruments: un pianoforte, deux violons un alto, un violoncelle et une flûte.
C'était très beau. Malgré le changement complet d'effectif, la musique de Haydn s'adapte parfaitement à ce traitement (le talent d'arrangeur de Salomon y est peut-être aussi pour quelque chose) et l'auditeur perçoit dans cette version de musique de chambre des détails qui lui échappent dans la version orchestrale. Les variations mineures de l'Andante (en ut mineur) étaient très émouvantes. Le contrepoint raffiné du finale était particulièrement bien mis en lumière. Un complément très intéressant pour tous ceux qui, comme moi, aiment particulièrement cette magnifique symphonie.
Interprètes: Les solistes du Parlement de Musique de Strasbourg, le trio AnPaPié.
pianiste.2008
Messages : 98 Points : 52 Date d'inscription : 26/05/2008
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Mer 31 Mar - 14:27
Le lendemain du concert de création, le 3 mars 1795, paraît dans le " Morning Chronicle " la critique suivante (extrait):
" Une autre nouvelle symphonie par un Haydn inspiré et enchanteur nous fut présentée. Aucun des traits de génie mélodique et harmonique auxquels il nous a habitués ne manquait. L'Introduction a capté l'attention la plus profonde, l'Allegro a charmé, l'Andante a été bissé, les Menuets et, en particulier le Trio, étaient joyeux et délicieux, et le dernier mouvement était égal sinon supérieur au précédent. "
Un Andante " bissé " ? Visiblement l'ambiance dans les concerts symphoniques n'était pas la même que celle d'aujourd'hui !
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Jeu 1 Avr - 9:18
pianiste.2008 a écrit:
Un Andante " bissé " ? Visiblement l'ambiance dans les concerts symphoniques n'était pas la même que celle d'aujourd'hui !
Vous avez bien raison de souligner ce point. Je suis émerveillé par la perspicacité et la sensibilité de ce public anglais qui a reconnu la splendeur de cet andante en ut mineur à la fois grandiose et épique.
pianiste.2008
Messages : 98 Points : 52 Date d'inscription : 26/05/2008
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Jeu 1 Avr - 14:48
Ce qui m'intéresse surtout dans cette note, c'est qu'on se permettait de bisser, PENDANT l'INTERPRETATION DE L'OEUVRE, et non après. Nous sommes devenus beaucoup plus sages !
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Lun 31 Mai - 15:30
Un point très important concerne le finale de la symphonie n° 103.
Vingt mesures avant la brillante péroraison finale, après l'accord de septième de dominante, Haydn avait prévu un passage mystérieux pianissimo en ut mineur. Par la suite il le biffa, pensant peut-être que ce passage coupait l'élan du morceau.
Quelques chefs ont rétabli ce passage substantiel, c'est le cas de Frans Brüggen à la tête de the Orchestra of the 18th century, je l'ai écouté et c'est magnifique car cela insiste sur les ombres présentes dans ce finale apparemment joyeux qui en devient plus complexe et profond.
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Mer 22 Fév - 13:38
A signaler un concert qui eut lieu le 16 janvier dernier à l'Auditorium de la Maison de la Radio par l'Orchestre National de France dirigé par Sir Roger Norrington, un spécialiste incontesté de la musique baroque et classique.
Au programme;
La symphonie n° 103 en mi bémol majeur Roulement de Timbales Le concerto en la majeur n° 23 K 488 de Mozart La symphonie n° 5 en si bémol majeur de Schubert (dont nous avons parlé dans le fil consacré à ce compositeur).
Un programme que je trouve idéal car il relie trois compositeurs qui, au delà des époques et des styles, parlaient le même langage.
Chipstouille
Messages : 30 Points : 32 Date d'inscription : 30/09/2013 Age : 43 Localisation : Chateaugiron (35)
Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales" Dim 13 Fév - 2:03
Bonjour et de rien ! Comme je vois que l'erreur se reproduit, je me permets de corriger, c'est ChipStouille, avec un S! Ca vient des gâteaux apéritifs, je patouille rien du tout moi, en général je garde même les mains dans les poches !
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Sujet: Re: Symphonie n°103 "Roulement de timbales"