Une oeuvre majeure de Nicolà Porpora a été donnée au Festival international d’opéra baroque de Beaune 2011Nicola Porpora 1686-1768Semiramide riconosciutaDramma per música en 3 actes, créé au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise en 1729
Livret de
Pietro MetastasioOrchestre Accademia BizantinaDirection musicale:
Stefano MontanariSemiramide
Delphine Galou, contralto
Scitalce
Blandine Staskiewicz, mezzo-soprano
Mirteo
Teodora Gheorghiu, soprano
Tamiri
Maria Hinojosa Montenegro, soprano
Ircano
Juan Sancho, tenor
Sibari
Mary-Ellen Nesi, mezzo-soprano
Coproduction Festival Via Stellae Santiago de Compostelle
Vendredi 8 juillet, 21 heures Basilique Notre-Dame de Beaune
Semiramide riconosciuta, dramma per musica, musique de
Nicola Porpora, livret de
Metastasio, fut crée au Teatro san Giovanni Grisostomo de Venise en 1729. Le rôle titre fut confié à une alto, Lucia Facchinelli, comme le réclamait le personnage ambigu de Semiramide qui joue le rôle d’un homme pendant la plus grande partie de l’oeuvre, jusqu’au dénouement où elle dévoile sa vraie identité. Le rôle de Scitalce fut confié au castrat Nicolo Grimaldi. Antonia Negri joua le rôle de Tamiri. Le rôle d’Ircano fut confié à la basse Giuseppe Maria Boschi. La vedette du spectacle fut évidemment Carlo Broschi, dit Farinelli, castrat soprano, qui tint la partie de Mirteo. Le résumé de l’action qui suit est inspiré de celui d’Olivier Rouvière (1,2).
Synopsis. Acte I. Au debut de l’action Semiramis a pris l’apparence de son jeune fils Nino, afin de régner à sa place. Tamiri, princesse de Bactrie, se rend à la cour de Nino afin de rencontrer le prétendant qui doit l’épouser. Cers derniers sont au nombre de trois: Mirteo, prince d’Egypte et frère ignoré de Semiramide, le scythe Ircano et Scitalce, un prince indien que Semiramide connût autrefois sous le nom d’Idreno. Tamiri montre bientôt sa préférence pour Scitalce, elle ignore le lien qui unit ce dernier à Semiramide et ne sait rien de la fausse identité de cette dernière. Tamiri se désole de la froideur de Scitalce qui a reconnu en Nino son ex amante. Scitalce commet la faute de se confier à Sibari, un diplomate égyptien. Scitalce demande quand même la main de Tamiri. Nino (Semiramide) jaloux(se) met en garde cette dernière et va même jusqu’à encourager Mirteo et Ircano à courtiser la belle Tamiri.
Acte II. Sibari qui aime secrètement Semiramide trame la mort de son rival Scitalce. Il trouve dans cette tâche un allié en la personne d’Ircano. Scitalce sera empoisonné par la coupe nuptiale. Lors du banquet, Scitalce encore amoureux de Semiramide, refuse la coupe. Tamiri veut se venger de l’affront, elle se donnera à celui qui tuera Scitalce. Nino admire le geste d’amour de Scitalce et sauve ce dernier des intentions criminelles des uns et des autres. Il promet son soutien à Mirteo qui ne sait pas que Nino est en fait…..sa soeur. Nino finit par révéler son identité à Scitalce et ce dernier est partagé entre joie de retrouver son ex amante et douleur d’avoir été trahi par elle (du moins le croit-il).
Acte III. Sibari manipule Mirteo pour le convaincre de tuer Scitalce. Mirteo part accomplir sa vengeance. Scitalce pensant toujours que Semiramis a été infidèle, veut exciter sa jalousie en nouant une promesse de mariage avec Tamiri. Survient Mirteo qui défie Scitalce en duel. Tamiri affolée court prévenir le roi Nino (Semiramide). Le duel commence, Tamiri essaye de l’empêcher mais Mirteo revendique son droit de tuer le ravisseur de sa soeur. Scitalse se justifie en montrant la lettre écrite par Sibari accusant faussement Semiramide d’infidélité. Sibari révèle alors l’identité de Nino dans l’espoir que le peuple se révolte contre son faux roi. Le peuple au contraire acclame sa nouvelle reine. Scitalse demande et obtient le pardon de sa reine bien-aimée, Mirteo reconnait sa soeur et obtient la main de Tamiri. Sibari est démasqué mais dans un grand geste de clémence, Semiramide accorde au traître son pardon.
Ce livret presente une galerie variée de caractères. Ces derniers, le doux Mirteo, le traître Sibari, le brutal Ircano, sont souvent quelque peu stéréotypés, Tamiri est une princesse nombriliste et maniérée tandis que Scitalce est certes courageux mais c’est surtout un pantin balloté par les événements et manipulé par les intrigues. Seul Nino (Semiramide) échappe à toute classification du fait de sa double identité et de son double statut de roi et de femme amoureuse.
La musique. La musique précise et nuance le caractère des personnages. La caractérisation est réalisée essentiellement dans les airs car il n’y a que peu de récitatifs instrumentaux et les ensembles sont réduits au minimum avec un choeur minuscule qui met un point final à l’oeuvre. Les airs possèdent presque tous la forme traditionnelle avec da capo. Ces airs sont assez courts car leur partie centrale est concise et le tempo souvent assez rapide. Généralement précédés d’un prélude instrumental, ils présentent une vocalité admirable et un accompagnement orchestral dense et riche , de ce fait ils permettent d’exprimer la plus large palette de sentiments. Notons enfin que l’opéra débute en ré majeur et finit dans la même tonalité. Deux partitions sont actuellement disponibles dont l’une correspond à la version de Naples (1739) (3) et l’autre peut-être à la version originale de Venise (4).
Les airs de Semiramide sont les plus variés et expriment l’autorité royale comme le dépit amoureux ou encore la plus violente colère (
Fuggi dagli occhi miei…). Pourtant son plus bel air est peut-être un aria di
paragone (comparaison, métaphore),
Il pastor se torna aprile (le berger quand vient le mois d’avril…). Semiramide compare son espoir renaissant d’être aimée de Scitalce à celui qui envahit le berger quand revient le printemps, il s’agit d’une barcarolle bucolique en ré majeur, au rythme voluptueux 12/8, remarquable par la simplicité de sa partie vocale et le raffinement de son accompagnement avec deux cors, deux flûtes solistes et les violons jouant à l’octave.
Scitalce,
primo uomo dans la distribution, a cinq airs qui traduisent assez bien la position très inconfortable qui est la sienne. Alors que la princesse Tamiri qui est amoureuse lui demande de jouer franc jeu, il manifeste ses soucis et ses doutes dans un air magnifique:
Vorrei spiegar l’affano (je voudrais expliquer mon tourment…). Précédée par un superbe solo du premier violon, la mélodie chantée (¾ moderato en la majeur) d’une grande séduction mélodique et très ornementée, déroule ses volutes harmonieuses. Une partie centrale très passionnée montre bien le désarroi de Scitalce.
Tamiri a d’abord un rôle assez passif. Convoitée ardemmeent par Ircano et Mirteo, elle est amoureuse de Scitalce. Délaissée par ce dernier, Elle laisse éclater sa colère dans un très bel air en ré majeur (4/4, Presto) :
tu mi disprezzi ingrato Tu me méprise, ingrat, aria di furore, avec un accompagnement très vivaldien et des vocalises vertigineuses. Partie centrale en si mineur passionnée. Tamiri chante également à la fin de l’acte III de la version napolitaine, un air sublime
D’un genio che m’accende…,magnifique sicilienne en la majeur, allegro 12/8, précédée par un non moins beau solo du premier violon..
Avec quatre airs, Mirteo a un rôle très important, on ne pouvait en donner moins à Carlo Broschi. Dans son rôle de
cicisbeo (chevalier servant) de Tamiri, la séduction mélodique est son arme fatale. L’air
Rondinella a cui rapita (3/4 si bémol majeur, allegro) est particulièrement représentatif.
Aria di paragone, Mirteo compare sa situation à celle de l’hirondelle qui, ayant perdu sa compagne, victime d’un chasseur, se désole et erre sans but. Cet air très délicat et charmant est précédé d’un émouvant récitatif accompagné. Le thème de l’hirondelle est récurrent dans la musique populaire napolitaine et il n’est pas étonnant de le retrouver dans l’opéra seria comme dans l’opéra buffa. Lors de la cadence finale, une gamme échangée en écho entre une flûte soliste et la voix, éveillera certainement l’attention de l’auditeur mozartophile.
Dans son air avec hautbois obligé
Come all’amiche arene…Sibari conseille à Scitalce de courtiser Tamiri et utilise de vigoureuses comparaisons. Comme un poison sert d’antidote à un venin, comme la blessure de l’épée acérée guérit l’acier lui-même, un amour nouveau peut guérir la plaie d’une passion malheureuse. Air presto 6/4 en ré majeur. Le hautbois double les violons mais a aussi des passages en soliste.
Ircano a propablement les airs les plus brillants et peut-être les plus virtuoses de la partition bien qu’il soit le perdant en amour et au combat. Il est en effet, contrairement à toute attente, vaincu lors du duel qui l’oppose à son rival Mirteo. Ircano est désarmé mais promet de se venger dans l’air
Il ciel mi vuole oppresso (Le ciel veut me voir vaincu). Cet Aria en fa majeur 6/8 presto est avec la sinfonía d’ouverture la plus richement instrumentée de la partition avec cors de chasse, trompettes, hautbois doublant les violons. Les sonorités de l’orchestre évoquent Jean Sébastien Bach.
L’interprétation. Il s’agissait d’une version de concert sans mise en scène ni costumes. Un point très important doit être signalé ici: la partition utilisée par l’Accademia Bizantina était profondément différente des partitions de Venise de 1729 et de celle de Naples de 1739 (3,4). Il s’aggirait peut-être d’une adaptation ultérieure de Porpora (5). Par exemple un des airs le plus spectaculaire de la partition
D’un genio che m’accende était remplacé par un autre air sur les mêmes paroles.
Maria Grazia Sciavo, empêchée, fut remplacée au pied levé par la soprano catalane
Maria Hinojosa Montenegro. Cette chanteuse à la voix chaude et puissante donna à Tamiri , la princesse à marier, une personnalité plus volontaire et dynamique que celle un peu mièvre décrite parfois par le texte.
Le rôle complexe de Scitalce fut tenu par
Blandine Staskiewicz, mezzo soprano. Grâce à son timbre très expressif, la mezzo donna à ce personnage des accents touchants notamment dans le magnifique Vorrei spiegar l’affano…
Le rôle du traître Sibari, tenu à l’origine par un castrat revint à
Mary Ellen Nesi, mezzo soprano. La mezzo à la voix ample et généreuse conféra à ce personnage peu sympathique un peu d’humanité.
Le rôle d’Ircano fut confié à
Juan Sancho. Ce ténor a une tessiture remarquablement étendue. Il se joua des difficultés de l’air le plus virtuose de la partition
Il Ciel mi vuole oppresso, ses vocalises furent claires et sans bavures.
Teodora Georghiu, soprano, fut un Mirteo idéal. Son timbre clair et un peu acidulé fit merveille dans l’air gracieux
Bel piacer saria d’un core…Ses aigus sont d’une justesse parfaite, sa ligne de chant, d’une élégance superlative. Ses vocalises, trilles, mordants, appogiatures, sont agiles et précis.
Dans le rôle titre,
Delphine Galou, contralto. Une voix grave s’imposait puisque Semiramide apparait presque tout au long sous la forme du roi Nino. D’emblée Delphine Galou a montré l’étendue de sa technique infaillile dans la maîtrise d’une voix au timbre velouté unique. C’est dans le registre grave que sa personnalité s’affirme de façon la plus évidente mais elle ne craint pas de monter vers l’aigu. Ses vocalises fluides firent merveille dans le da capo de l’aria
Il pastor se torna aprile…
La direction très engagée et passionnée du chef
Stefano Montanari à la tête de l’orchestre Accademia Bizantina, permit de faire admirer toute les facettes d’un orchestre baroque bien fourni (21 exécutants). On a signalé plus haut le rôle capital de l’orchestre dans les operas de Porpora et la richesse de l’instrumentation de Semiramide. C’est ainsi que les vents ont une importance particulière avec des hautbois et des cors qui se fondent admirablement avec les cordes donnant une sonorité unique. On a pu apprécier le rôle du luth, bien distinct du clavecín, dont les interventions apportent vraiment une couleur spécifique.
Bref une interprétation en tous points remarquable d’un opéra seria d’importance majeurs.
Une version légèrement écourtée de ce texte a été donnée dans:
http://odb-opera.com/modules.php?name=Forums&file=viewtopic&t=10224(1) Olivier Rouvière, Texte de présentation de Semiramide riconosciuta, Festival International d’Opéra Baroque de Beaune, Beaune 8 juillet 2011.
(2) Olivier Rouvière, Metastase-Pietro Trapassi, musicien du verbe, Hermann, Paris, 2008.
(3) http://imslp.org/wiki/Semiramide_riconosciuta_(Porpora,_Nicola_Antonio)
(4) http://www.mutopiaproject.org/ftp/PorporaN/Semiramide/Semiramide_riconosciuta-a4.pdf
(5) Ayant contacté l’Accademia bizantina, je n’ai pu avoir de précisions sur ce point.