Le due Contesse, opéra bouffe de Giovanni Paisiello sur un livret de Giuseppe Petrosellini fut crée au Théatre Valle de Rome pendant le carnaval de 1776. Il connut immédiatement un grand succès. Joseph Haydn le monta à Eszterhazà en mars 1779 où il fut représenté pliusieurs fois.
Argument: La Contessa di Bel Colore quitte le domaine familial de Pise pour aller à la campagne accompagnée par son chevalier servant Leandro. Pendant ce temps les deux serviteurs Prospero et Livietta se réjouissent de ce temps de répit. Leur bonheur et de courte durée car un gentilhomme, il Cavaliere di Piuma, se présente et demande à voir la Comtesse. Livietta d'un coup de tête se déclara être la Comtesse ce qui lui vaut l'admiration et les compliments du Cavaliere, elle met en garde ce dernier contre les idées farfelues de sa maîtresse qui se prend pour une comtesse. Les projets de Livietta semblent compromis du fait du retour inopiné de la vraie comtesse. La présence du Cavaliere excite la jalousie de Leandro mais comprenant que Cavaliere courtise la fausse comtesse Livietta, il est rassuré et se fait complice de cette dernière. La rencontre de la vraie comtesse et du Cavaliere est inévitable et d'emblée la comtesse est séduite par le Cavaliere qui lui explique qu'il a perdu son épouse et inconsolable, se prenant pour Orfeo, rêve de rechercher sa défunte épouse aux enfers. Leandro de plus en plus jaloux provoque le Cavaliere en duel mais les cinq protagonistes décident d'une paix temporaire le temps que la situation fort embrouillée s'éclaircisse. La vérité finit par se faire, la supercherie de Livietta dénoncée et plus rien n'empêche l'union de la comtesse et du Cavaliere, Livietta est renvoyée mais Leandro la retient et ce sont deux mariages qui sont décidés dans la liesse générale.
Le livret est particulièrement invraisemblable mais cela n'avait probablement pas d'importance pour le public de l'époque. Tous les ingrédients sont présents pour que la sauce prenne: le désir d'échapper à sa classe sociale, la référence appuyée à l'Orfeo de Gluck qui venait de triompher (1), le déguisement pas tellement physique que mental cette fois...
Le style. Au cours des années 1770, à l'instar de l'opéra seria, deux courants sont très nets dans l'opera buffa du seul Giovanni Paisiello: des oeuvres consistant en une suite de récitatifs secco et d'airs avec peu d'ensembles: La Frascatana (1774), Il Duello Comico (1774) et le présent opéra (1776) et d'autre part des oeuvres mélangeant arias, ensembles nombreux et choeurs: Socrate immaginario (1775), I divertimenti di Numi (1775) et Gli Astrologi Immaginari (1779) appartiennent à cette seconde catégorie. Dans Le Due Contesse, la succession d'airs peut sembler un peu monotone dans la mesure où certains airs assez courts et sans grand relief ne permettent pas une caractérisation approfondie des personnages. L'harmonie étant très simple, les modulations très rares, on peut comprendre les réticences que Haydn formula vis à vis des opéras de ses contemporains italiens. Une fois de plus ce sont les ensembles qui terminent chaque acte qui donnent vie et corps aux personnages.
Les sommets.
Au premier acte:
L'air du Cavaliere "Ah s'io fossi come Orfeo" Si j'étais Orphée, je chercherais l'épouse défunte en pinçant les cordes de ma lyre. Mais malheureusement mon épouse ne revient pas des Elysées. Que ferai-je sans Euridyce, que ferai-je sans ma bien aimée...Le Cavaliere trouve des accents touchants dans cet air et l'orchestre l'accompagnant par des pizzicati, imite le son de la lyre.
L'ai de Livietta "Io rido allor che vedo" , est précédé d'une très jolie introduction de l'orchestre. C'est un air sans prétention sans difficulté majeure que Luigia Polzelli, la protégée de Haydn, aurait pu chanter.
L'air "Basta cosi, ben mio," de la Comtesse. La comtesse consciente de son rang social et parfois arrogante, donne dans cet air une image positive en pardonnant la jalousie maladive (mais justifiée in fine) de Leandro. Cet air contraste avec tous les autres airs de la partition par ses belles vocalises et sa virtuosité. Il semble relever d'une autre inspiration. Peut-être fut-il ajouté ultérieurement pour satisfaire une chanteuse, la Morichelli par exemple qui fut une interprète fameuse des opéras de Paisiello et en particulier de sa Nina (2).
La scène ultime de l'acte I est introduite par un chant assez court de la comtesse "Vezzose aurette,...", (Douces brises), air assez conventionnel, hymne à la beauté de la nature d'un grand charme mélodique. L'ensemble final très agité veut exprimer le doute qui envahit les uns concernant l'identité des deux comtesses, et le trouble que provoquent les provocations de Leandro, plus jaloux que jamais. Dans le tutti final, "Che rabbia, che furore! Che strepito, che orrore., les passions sont déchainées et la confusion à son comble.
Acte II:
Air de Prospero: "Come girano i moschini...". L'orchestre imite de façon très amusante les bourdonnements de nuées d'insectes qui envahissent le cerveau de Prospero bouillonnant comme le Vésuve et qui ne contrôle plus rien!
La scène XI parodie l'opéra seria. Il s'agit d'un récitatif "Misero me..." et d'un air "Madama se volete" du Cavaliere qui se complait dans son délire en évoquant l'ombre de son épouse décédée dans l'ambiance effrayante des Enfers. Mais la vue de la comtesse le rassure et il voit maintenant le décors idyllique des Elysées.
Le clou du spectacle est évidemment le finale de l'acte II qui débute avec un beau duo entre Livietta et Leandro "Dove si vede mai". Duo introduit par un admirable prélude de l'orchestre qui servira de leitmotiv à toute la scène. Le rythme d'abord calme s'accélère pour atteindre un maximum de vitesse dans le tourbillonnant tutti qui couronne l'opéra.
(1) A noter qu'en cette même année 1776, Ferdinando Bertoni (1725-1813) venait de créer une nouvelle mouture d'Orfeo basée sur le même livret de Ranieri de' Calzabigi que l'Orfeo de Gluck.
(2) Dino Foresio, Le Due Contesse, livret, Dynamics, 2002.