Orfeo, Action théatrale en trois actes de Ferdinando Bertoni (1), livret de Ranieri de'Calzabigi, fut crée à Venise, au théatre San Benedetto, pendant le carnaval de 1776. Joseph Haydn monta l'opéra à Esterhazà en 1788 (deux représentations cette année). Bertoni ayant utilisé le livret qui avait servi en 1762 à l'Orfeo de Christoph Willibald Gluck était conscient des risques qu'il prenait. Lors de la création, il s'excusa presque d'avoir eu cette audace dans une préface (2). L'oeuvre nacquit en partie de l'amitié et la collaboration régnant entre Bertoni, alors Maître de Chapelle à l'Ospedale dei Mendicanti di Venezia, et le castrat Gaetano Guadagni qui avait déjà chanté dans l'Orfeo de Gluck. L'opéra connut un assez grand succès mais fut le plus souvent donné en version oratoriale.
Argument. Lorsque l'opéra commence, Orfeo se lamente de la perte d'Eurydice. Imeneo (personnage tenu par un ténor et censé représenter l'Amour) l'exhorte à descendre aux Enfers car s'il réussit à charmer les esprits infernaux avec sa lyre, il lui sera possible de ramener Eurydice sur la terre des vivants à condition de ne pas regarder son épouse. Orfeo franchit toutes les épreuves mais au dernier moment, cédant aux récriminations d'Eurydice qui se croit délaissée, la regarde et elle expire une nouvelle fois. Alors que Orfeo décide de se donner la mort, Imeneo reparaît et lui annonce que Euridice lui sera rendue.
Contrairement au mythe grec, la pièce se termine par une happy end, issue plus conforme au goût baroque. Tout à fait à contre courant, Joseph Haydn donnera en 1791 à son Orfeo ed Euridice la fin la plus tragique qui soit puisque la mort d'Eurydice sera définitive, qu'Orfeo sera déchiré par les Bacchantes et que ces dernières seront englouties par une terrible tempête.
Le style. L'oeuvre étant une refonte de l'opéra de Gluck, la comparaison était inévitable. Si dans les scènes infernales (acte II) on a une sensation de déjà vu et entendu, par contre Bertoni manifeste sa personnalité et son indépendance dans les parties plus lyriques. En fait l'opéra a été conçu en étroite collaboration avec Guadagni si bien que Orfeo peut faire briller sa voix d'une étendue et d'une puissance remarquables dans de magnifiques récitatifs accompagnés et des airs écrits sur mesure. L'opéra tire également son unité et son harmonie par sa division en trois actes d'importance équivalente ne comportant aucun récitatif sec ainsi que d'une répartition très équilibrée des choeurs, du récitatif accompagné et des airs, caractéristique de l'opéra réformé selon les principes de Calzabigi et Gluck d'une part et de Traetta d'autre part.
Les sommets. Tout serait à citer dans l'Orfeo de Bertoni.
Dans l'acte I, le magnifique choeur introductif "Ah! se intorno a quest'urna funesta...", scandé par le cri d'Orfeo qui appelle Eurydice et accompagné par un merveilleux hautbois.
Le très bel air d'Imeneo "Gli sguardi trattiene...", excellent représentant du bel canto baroque.
Acte II. On éprouve une sensation de déjà entendu dans ces scènes infernales chantées par le choeur. Ce même rythme ¾ se retrouve non seulement dans l'Orfeo de Gluck (1762) mais dans Socrate immaginario de Paisiello (1775), dans il Sposo burlato du même auteur (1775) et plus tard dans La Grotta di Trofonio de Salieri (1785). Par contre les interventions d'Orfeo et en particulier les airs "Deh placatevi con me" qui interrompent les choeurs des esprits infernaux sont d'une grande richesse dramatique et d'un lyrisme intense.
Tout l'acte III consiste dans l'évocation de la résistance d'Orfeo qui faiblit au fur et à mesure qu'Euridice exprime son desespoir de se sentir délaissée et abandonnée ainsi qu'en témoigne l'air magnifique "Che fiero momento!" dont les vocalises sont d'une grande hardiesse.
Enfin l'air fameux d'Orfeo "Che faro senza Euridice...", est un rondo dont le refrain qui se grave instantanément dans l'oreille est répété trois fois.
(1) Une notice sur Ferdinando Bertoni paraîtra dans la rubrique; Compositeurs Baroques, Classiques, Romantiques.
(2) Claudio Scimone, Maria Nevilla Massaro, Préface du livret d'Orfeo de Ranieri de'Calzabigi, Incizione ARTS, 1990.