Armida triompha à Eszterhazà, 57 représentations eurent lieu pendant les quatre années qui suivirent sa création en février 1784. C'est pourtant le dernier opéra composé pour Eszterhazà. Comment expliquer qu'au moment où Haydn connaît un succès franc et massif avec un opéra, il renonce à en composer de nouveaux? Plusieurs explications ont été avancées (1). En voici une que d'autres que moi ont suggérée déjà dans ce forum et que je développe un peu.
A la fin de l'année 1785, Wolfgang Mozart dédicace six nouveaux quatuors à Haydn. Ce dernier avait échangé avec Leopold Mozart, le 15 février 1785, des propos chaleureux déclarant Wolfgang plus grand compositeur vivant. Ces événements idylliques ne doivent pas faire oublier une réalité bien humaine. Joseph Haydn a très bien compris qu'il lui faut réagir rapidement face à un jeune génie de 28 ans. Comme Hercule, il est à la croisée des chemins: ses opéras ont un grand succès local mais le Burgtheater de Vienne semble inaccessible, ses symphonies récemment composées sont excellentes mais peut-être un cran moins novatrices que d'autres plus anciennes, Mozart vient tout juste d'élever très haut la barre avec ses six quatuors. Il décide d'avoir un entretien avec Mozart.
Mon cher Mozart, que souhaitez-vous composer dans l'avenir?
Mon cher Papa, comme vous le savez peut-être, depuis mon premier voyage en Italie en 1770 et mon opera seria Mitridate, mon plus cher désir est de composer des opéras, genre musical pour lequel mon talent est le mieux adapté. Jusque là les circonstances ne me furent pas favorables, Idomeneo, un opera pour lequel j'ai sué sang et eau et qui est , je crois, ma meilleure oeuvre à ce jour, a chuté après trois représentation mais j'ai bon espoir que cela change. Un talentueux Poète, l'abbé Lorenzo da Ponte est à Vienne et peut-être une opportunité de collaboration se présentera. Si cela se produit, j'y consacrerai toutes mes forces.
Joseph Haydn ne connait pas Idomeneo mais par contre il a probablement énormément apprécié L'Enlèvement au Sérail et sait de quoi Mozart est capable. Il lui reste à convaincre Nicolas le Magnifique qu'il ne composera plus d'opéras pour lui, tout en lui promettant qu'il montera avec son talent habituel les opéras des autres (Cimarosa, Anfossi, Paisiello...). En 1785, il recompose La Vera Costanza qu'un incendie avait détruit en 1779 en vue d'une reprise. Sitôt fait, dans un grand élan créateur, il met en chantier les symphonies Parisiennes achevées l'année suivante. Le 1er mai 1786 paraissent au Burgtheater de Vienne les Noces de Figaro de Mozart. Haydn assistera à une représentation de cet opéra en 1790.