Portrait par Benjamin Vandergucht, National Portrait Gallery (Londres) Une biographie détaillée de Nancy Storace est disponible :
Nancy Storace: muse de Mozart et de Haydn par Emmanuelle Pesqué
Amazon (CreateSpace), 2017https://www.amazon.fr/Nancy-Storace-muse-Mozart-Haydn/dp/2956041002Un blog, comportant des informations complémentaires à la biographie, est consacré à la vie de la cantatrice Nancy Storace : http://annselinanancystorace.blogspot.fr/ Ann Selina Storace -dite Nancy (ou Anna)- (1765-1817) était la fille de Stefano Storace, contrebassiste italien venu trouver fortune à Dublin puis à Londres, qui travailla dans les théâtres et jardins londoniens, puis se fit connaître comme adaptateur de Pergolèse.
Enfant prodige, elle fit sa première apparition à Southampton en 1773 : selon les annonces elle « n’avait pas encore huit ans » ! Son premier concert public londonien se tint au Théâtre de Haymarket en avril 1774. On l’entendit également par la suite le 29 février 1776 dans la création de l’opéra
Le Ali d’amore de son professeur de chant Venanzio
Rauzzini (qui fut le Cecilio de Mozart). Le compositeur Sacchini fut par la suite son professeur, avant son départ pour l’Italie en 1778 où elle suivit les traces de son frère, le compositeur Stephen Storace (1762-1796), parti à Naples pour se perfectionner.
Elle commença sa carrière continentale en tenant les emplois de seconda donna d’opera seria, dont Phoebe et Ebe, dans le
Castore e Polluce de Bianchi (Florence, 10 septembre 1779). Elle troqua vite ces seconds rôles serie pour des rôles de premier plan dans l’opera buffa (de type mezzo-carattere) dans
Le Due Contesse de Paisiello,
L’Italiana in Londra (Cimarosa),
Il Pittore Parigino (Cimarosa),
La Scuola de’ gelosi (Salieri), etc…
La jeune femme se produisit à Florence, Lucques, Livourne, Parme, Turin… et Venise.
L’un des premiers opéras qu’elle créa fut acclamé par ses contemporains : c’est le Fra i due litiganti il terzo gode (ou encore
Le Nozze di Dorina) de Sarti (Milan, 1782) oeuvre citée par Mozart dans le banquet de
Don Giovanni, et dont l’intrigue préfigure
Le Nozze di Figaro.
Michael Kelly, dont les
Mémoires sont une source précieuse sur la famille Storace, et qui fit sa connaissance en Italie, raconte en détail quel fut son succès à Venise quand elle chanta au Teatro San Samuele en 1783. A dix-sept ans, elle était déjà une interprète de premier plan.
Sa notoriété poussa le comte Giacomo Durazzo, ambassadeur Viennois à Venise, à la faire engager à Vienne, pour la troupe d’opéra qu’organisait Joseph II au Burgtheater. Elle eut un des plus gros salaires de l’époque et le droit à un concert à bénéfice durant le Carême, privilège apprécié des chanteurs. (C’est d’ailleurs pour son dernier bénéfice qu’elle créa «
Ch’io mi scordi di te)
Anna Storace fit ses débuts viennois le 22 avril 1783 dans le rôle de la Contessa dans
La scuola dei gelosi de Salieri, monté à Venise pour elle. Elle y retrouva M. Kelly et Francesco Benucci avec lesquels elle s’était mainte fois produite en Italie. Durant la première saison du Burgtheater, elle chanta dans la moitié des quatorze productions de l’année. Si son jeu scénique fut au début critiqué par des Viennois, plus sensibles au jeu que les Italiens, elle étudia les acteurs allemands et y remédia rapidement, au point d’être dans la suite de sa carrière encensée pour ses talents d’actrice. Elle fut vite la coqueluche de Vienne et l’un des piliers de la troupe.
Outre une partie de ses succès italiens, elle créa Lisetta (
Il Re Teodoro in Venezia, Paisiello), Eginia (
Gli Sposi malcontenti, Storace), Ofelia (
Grotta di Trofonio, Salieri), Angelica (
Il Burbero di buon core , Martin y Soler), Eleonora (
Prima la musica, poi le parole, Salieri), Susanna (
Le Nozze di Figaro, Mozart), Giannina (
I finti eredi, Sarti), Lilla
(Una Cosa rara, Martin y Soler), Sofronia (
Gli Equivoci, Storace). Mozart pensa à elle pour son Eugenia du
Sposo Deluso ( inachevé) et lui écrivit une grande scène avec clavier pour son récital d’adieu donné le 23 février 1787, «
Ch’io mi scordi di te ? » (KV 505)
En 1784 Anna Storace épousa le compositeur et violoniste John Abraham Fisher, apparemment sur les instances de sa mère ; le mariage fut un désastre, son mari la maltraitant. Joseph II finit par bannir l’époux violent, qui occasionnait de nombreux disfonctionnements dans la bonne marche du théâtre, par les absences à répétitions de son épouse. La séparation fut si effective qu’Anna Storace se considéra comme célibataire quand elle rédigea son testament des années plus tard… La chanteuse accusa néanmoins les coups et perdit totalement sa voix lors de la première de l’opéra de son frère,
Gli Sposi malcontenti (1er juin 1785). Son retour sur scène fut cependant l’occasion d’une cantate (perdue) composée par Salieri, Mozart et un certain Cornetti sur un texte de Da Ponte, donnée le 26 septembre 1785, «
Per la recuperata salute di Ofelia » (KV477a)…
La vie privée de Storace avait été agitée : elle avait eu un « tendre » pour le compositeur Martín y Soler et pour
Francesco Benucci, le premier Figaro (mais ils étaient apparemment brouillés lors de la création des
Nozze di Figaro). On lui a attribué également aussi une liaison avec Joseph II, mais celle-ci est loin d’être attestée.
Elle quitta pourtant Vienne avec Lord Barnard, pour retourner à Londres où le King’s Theater (l’opéra italien) l’avait engagée. Si ces offres étaient intéressantes, elle pensait pourtant retourner à Vienne pour la saison 1788-1789. Ses exigences salariales, puis la mort de Joseph II firent pourtant échouer les négociations. Si elle était revenue, aurait-elle été la destinataire de Zerlina, rôle dans son emploi ? La circulation de la partition à Londres peut le laisser penser.
Anna Storace débuta au King’s Theatre le 24 avril 1787 dans une oeuvre de Paisiello
Gli schiavi per amore et reprit la plupart de ses chevaux de bataille continentaux. Mais les querelles intestines du théâtre italien, un succès moindre que celui qu’elle espérait, puis l’incendie du bâtiment (où elle venait de chanter
Il Barbiere di Siviglia avec Francesco Benucci, et
La Vendemmia de Gazzaniga en y faisant insérer des airs de Mozart), la poussèrent à partir au théâtre anglais de Drury Lane, dont son frère était directeur musical de fait.
Elle y fit ses débuts dans un opéra de Stephen,
The Haunted Tower (24 novembre 1789), qui eut un succès retentissant. S. Storace lui écrivit sur mesure des rôles qui la flattaient (et qui reprenaient souvent ses succès continentaux, le pasticcio intégrant sans problèmes des airs venus d’ailleurs et mentionnés comme tels).
Parmi les rôles qui marquèrent le public, notons Margaretta dans
No Song, no Supper, Lilla dans
The Siege of Belgrade (qui reprend une grande partie de
Una Cosa rara) et Fabulina dans
The Pirates.
Elle se (re)produisit également au King’s Theatre occasionnellement et dans de nombreux concerts d’oratorios (dont les concerts Haendel initiés par S. Arnold). Elle y fut très demandée, à Londres comme par tous le pays.
Elle prit ainsi part à de nombreux concerts de la série londonienne organisée par l’impresario Salomon en 1791 pour la première visite de Haydn : ce dernier qui l’adorait (il parle dans une de ses lettres de sa « chère Storace ») lui écrivit la cantate «
Miseri noi, misera patria », ainsi que la cantate
Arianna a Naxos. Il avait déjà réécrit à son intention la partie (perdue) d’Anna de son
Ritorno di Tobia représenté à Vienne les 28 et 30 mars 1784.
On pense désormais que Storace, soutenue par le Prince de Galles, fut à l’origine d’une tentative de recrutement de Mozart en 1789, au Pantheon Theatre (qui remplaça temporairement le King’s Theatre comme opéra italien). Cela témoigne sans doute d’une correspondance entre elle et le compositeur, qu’attestent de nombreux « commencement de preuves », comme la possibilité de partitions circulant entre les Storace, Attwood et Mozart. Mais la teneur amoureuse de la correspondance sort vraisemblablement de l’imagination des biographes récents. Nul contemporain ne relaya ce potin juteux après la mort des protagonistes, et la vie privée de Storace semble avoir été bien remplie par ailleurs…
Après la mort de son frère en 1796, elle quitta Drury Lane.
En 1797, elle partit avec le jeune ténor
John Braham (1774-1856), qui était devenu son amant, pour le continent. Leur tournée les amena à Paris, Florence, Milan, Venise (elle y créa le rôle-titre d’
Artemisia, dernier opéra de Cimarosa), et Vienne.
De retour en Angleterre, Storace suivit Braham à Covent Garden, puis Drury Lane (1805-1808) où elle continua de tenir ses emplois dans divers
ballad operas, désormais bien oubliés : la camériste futée aidant les amours de sa maîtresse. Elle finit par prendre sa retraite en 1808, les contemporains s’accordant à décrire une voix usée et un physique devenus peu propre à la scène…
Le scandale la rattrapa durant sa retraite, par l’infidélité de Braham, dont elle avait eu un fils, John Spencer. Son compagnon s’enfuit avec une femme mariée en 1816, ce qui eut un grand retentissement public, puisque le mari trompé attaqua l’amant en justice et gagna des dommages et intérêts importants. Ce choc et une mauvaise santé eurent sans doute raison de la cantatrice qui mourut dans sa villégiature de Herne Hill le 24 août 1817. Elle a été enterrée dans l’église de Marylebone, à Londres.
En ce qui concerne la musique de Haydn, qu’elle a beaucoup plus servie que celle de Mozart, voici une liste (non exhaustive) de ses contributions et de ses interactions connues avec le compositeur.
28 et 30-03-1784 - HAYDN :
Il Ritorno di Tobia (révision), Vienne, Burgtheater
Anna : Ann Selina Storace
Raffaele : Caterina Cavalieri
Sara : Theresia Teyber ou Teuber
Tobit : Steffano Mandini
Tobia : Valentin Adamberger (28-03)/ Carl Friberth (30-03)
+violon par Fisher (futur mari de Storace)
A l’été 1784 ( ?), lors d’une soirée musicale chez les Storace (Ann ou Stephen ?) on exécute un quatuor : les musiciens sont Haydn, Dittersdorf, Vanhall et Mozart
(Mis en doute par Vignal)
Le 12-04-1790, Haydn envoie des trios à John Bland + une cantate écrite pour Storace (sans doute:
Miseri noi misera patria, Hob XXIVa. 7)
Le 06-01-1791 : Londres, durant un concert au Freemason’s Hall, dirigé par Arne. Haydn arrive dans la salle pendant le concert. Les chanteurs Kelly et Storace lui font coucou depuis la scène…
11-03-1791 : concert Londonien de Haydn au Hanover Square Rooms
I (première partie du concert) : un air ? Cantate Ariadne
II : récit et air ?
Ah, come il cor (
Fedeltà Premiata)
Haydn est au clavecin – Salomon dirige
18-03-1791 : concert Londonien de Haydn au Hanover Square Rooms
I : Ouverture de Mozart + un air ?
II : duetto de Paisiello avec G. David
Haydn au clavecin – Salomon dirige
25-03-1791 : concert Londonien de Haydn, Hanover Square Rooms
I : un air ?
II : “nouvelle cantate” de Haydn : “
Ah, come mi palpita ” (
La Fedeltà Premiata) OU
Miseri noi… ?
HAYDN : Ariadne + “
Ah, come il cor ” (
La Fedeltà Premiata)
13-05-1791 : concert Londonien de Haydn
I : cantate de Haydn
II : terzetto avec Signor Tajana et Signor David
Haydn au clavecin – Salomon dirige
16-05-1791 : concert Londonien de Haydn, à son bénéfice, Hanover Square Rooms
I : un air de Cimarosa [
Infelice io sono ?]
27-05-1791 : concert Londonien de Haydn
II : cantate de Haydn (mort d’Euridice dans Anima di Filosofo )
«
It seems that one aria — and perhaps the greatest in the opera — was sung by Nancy Storace in Salomon’s eleventh subscription concert of the 1791 season (27 May) because there is an MS. copy of that aria written by an English copyist whom Haydn used in 1791, now in the Esterházy Archives, Budapest, on which is written ‘Cavatina — May 27. in the Opera of Orfeo. » R Landon (source : http://www.aam.co.uk/features/0105.htm )
13-06-1791 : Concert aux Hanover Square Rooms, dirigé du clavecin par Haydn
I – Divers airs dont ouverture Haydn
II - HAYDN :
Sept Dernières paroles du Christ,
06-07-1791 : concert pour la remise du doctorat à pour Haydn à Oxford
I : “
Numi possenti Numi“
dirigé par William Cramer
07-07-1791 : Concert à Oxford (suite des festivités)
Storace chante des airs de son frère
Concert dirigé par William Cramer
08-08-1791 : Remise du diplôme et Concert à Oxford
Cantate de Haydn ? [chantée d’habitude par Marchesi] par Storace
Oxford, Sheldonian Theatre
03-06-1792 : Dîner Haydn et ASS chez Stephen Storace (avec la soprano Gertrud Mara et son mari, et Michael Kelly)
printemps 1795 : concert
II – Song, Signora Storace
Orchestre + Haydn au pianoforte
28-05-1801 : Storace est présente à la répétition générale des
Saisons de Haydn à Vienne
En 1806, elle chante un extrait de la Création durant la saison des oratorios, et une cantate avec Braham.
Tout porte donc à penser que la relation amicale et professionnelle de la cantatrice fut bien plus importante avec Haydn qu'elle ne le fut jamais avec Mozart...
Certains airs créés pour Storace sont écoutables sur le CD
Divas of Mozart's Day(
Une partie de ce texte a déjà été publié sur le site ODB-opera.com )