Joseph Haydn n'échappe pas à la mode des
Turqueries. La manifestation la plus évidente de cet engouement pour l'exotisme se trouve dans l'opéra
L'Incontro improviso HobXXVIII.6 (1775) dont l'action se situe entre Perse et Egypte, et particulièrement dans la
Sinfonia qui ouvre cet opéra où il utilise la
musique turque c'est-à-dire: le triangle, les cymbales et la grosse caisse. Plusieurs airs "turcs" très réussis et souvent désopilants, sortent de la bouche d'Osmin et de son acolyte Calandro. Un peu plus tôt dans l'opéra
Lo Speziale HobXXVIII.3 (1768), l'air de Volpino à l'acte III présentait déjà un caractère turc ou peut-être hongrois (les deux styles sont souvent interchangeables chez Haydn et ses contemporains). Mais l'oeuvre dans laquelle la
musique turque a le plus grand rôle est indiscutablement la
symphonie en sol majeur n° 100 Militaire datant de 1794 et qui frappa au plus haut point les premiers auditeurs de la symphonie (1).
Cette musique à la turque enchantait le public ! Chaque fois qu’elle retentissait avec un fracas formidable, l’assistance frémissait, les dames surtout tressaillant d’aise, applaudissaient avec enthousiasme en poussant des petits cris de plaisir. L’attitude de la partie féminine est amusante à observer dans les concerts parisiens.Il est possible qu'en 1794, Haydn se souvenait d'avantage des séculaires et incessantes guerres de l'empire austro-hongrois contre les turcs (2,3) que des guerres révolutionnaires (1794-5) alors en cours. Dans ces conditions, le fabuleux andante de cette symphonie pourrait évoquer probablement les champs de bataille (le siège de Belgrade sous la conduite du Maréchal Ernst von Laudon en 1789 par exemple) où s'affrontèrent ottomans et autrichiens et non ceux où les alliés se faisaient battre par les soldats de la Révolution Française. Cette musique
turque traduit bien une certaine fascination faite à la fois d'admiration mais aussi de peur vis-à-vis des ottomans et de leur culture.
Haydn n'innove pas dans ce domaine et de nombreux compositeurs contemporains ont sacrifié à la mode des
turqueries à commencer par Mozart avec le Singspiel
l'Enlèvement au Sérail K 384, la fameuse Marche Turque, dernier mouvement de la sonate en la majeur K 331, le finale du concerto en la majeur pour violon K 219 et une autre oeuvre peu connue: l'étonnant Lied avec orchestre militaire
Ich möchte wohl der Kaiser sein...K 539. Grétry avec
La Caravane du Caire, Gluck dans les
Pèlerins de La Mecque, Salieri dans la brillante sinfonia qui ouvre
Axur, re d'Ormus (1788), et surtout Joseph Martin Kraus et son étonnant
Suleiman II ou les trois Sultanes, opéra composé en 1789 intègrent également des éléments "turcs" dans leur musique..Enfin n'oublions pas la remarquable
Marcia Turchese MH 601 pour 2 flûtes. 2 hautbois. 2 clarinettes. 2 bassons. 2 cors. 2 trompettes. petites cymbales. ... de Michael Haydn composée en 1795 et destinée sans doute à une représentation théâtrale.
La pittoresque marche turque des
Ruines d'Athènes de Beethoven opus 113 et l'opéra de Rossini
Le Turc en Italie montrent que le goût des
Turqueries restait toujours vivace à Vienne ou en Italie au début du 19ème siècle. Dans tous les cas cités plus haut, il ne s'agit pas bien sûr de
musique turque authentique mais d'adaptations plus ou moins habiles et(ou) fidèles d'éléments
turcs ou plus généralement orientaux au goût européen (4).
(1) A. Dratwicki,
La réception des symphonies de Haydn à Paris. De nouvelles perspectives de recherche… 1, Ann. Historiques de la Révolution Française, 340, 83-104, 2005.
(2) A noter que les ancêtres de Haydn furent décimés lors d'un épisode particulièrement dramatique de cette guerre.
(3) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard 1988.
(4)
http://www.apamee.com/turkeries/turkerieMusicale2.htm