Un document intéressant sur
Tarare :
https://philharmoniedeparis.fr/sites/default/files/documents/npsc_28-11_19h30_tarare_19303.pdfAprès plusieurs écoutes je ne peux que doublement encourager à écouter la version de Rousset.
Je n'avais entendu Tarare et Axur que dans des enregistrements avec un son d'une qualité assez moyenne voire parfois mauvaise. Ici l'interprétation est époustouflante et on est pris par l'opéra de bout à bout.
Les Horaces m'ont laissé relativement indifférent, mais en écoutant les versions de Rousset on comprend aisément pourquoi Tarare et les Danaïdes ont eu un tel succès et une telle importance dans la vie musicale française.
On ne peut qu'être surpris par leur modernité et leur audace.
J'aimerais beaucoup entendre la version italienne avec le même niveau d'interprétation et de prise de son.
J'aime beaucoup l'emphase que le document met sur le livret dont, en effet, on peut être étonné qu'il n'ait pas davantage suscité la polémique à l'époque vu les propos parfois osés et fortement politisés. Certes dans l'air du temps, mais toutefois plus sérieux que ce à quoi on pourrait s'attendre.
Certes il a été édulcoré pour la traduction italienne (la version qui a fait le tour d'Europe puis même du monde) mais tout de même : voilà bien une oeuvre prémonitoire dans la France pré-révolutionnaire.
Curieusement Beaumarchais est beaucoup plus piquant dans son livret d'opéra qu'il ne l'est dans ses pièces de théâtre.
Les anecdotes sur le succès de l'oeuvre rapportées par Grimm sont fascinantes.
Lorsque l'on combine l'audace musicale (qui voit loin, avec beaucoup de récitatifs accompagnés, une sorte de continuité sonore qui annonce le romantisme, une gravité et une profondeur de chaque instant même dans les moments de détente) à la portée du livret et son illustre auteur, je me dis qu'à n'en pas douter pour peu que Mozart ait écrit l'oeuvre à la place de Salieri elle serait instantanément considérée comme une des oeuvres les plus importantes de l'histoire par sa portée révolutionnaire et qu'on en ferait des tonnes et des tonnes autour d'elle.
Le film Amadeus nous montre à juste titre qu'Axur était l'opéra préféré de Joseph II : j'ai pu lire plusieurs anecdotes relatant ce fait.L'homme résolument éclairé y voyait sans doute un idéal.
Joseph II était un homme fin, sans doute avait-il l'intelligence de percevoir ce que Grimm a su traduire par ses mots inspirés :
"L’auteur aura toujours le mérite d’avoir présenté dans cet opéra une action dont la marche ne ressemble à celle d’aucun autre, et d’avoir eu le talent d’y donner assez adroitement une grande leçon aux souverains qui abusent de leur pouvoir.
Après avoir dit leur fait aux ministres et aux grands seigneurs dans sa comédie du Mariage de Figaro, il lui manquait encore de le dire de même aux prêtres et aux rois. Il n’y avait que le sieur de Beaumarchais qui pût l’oser, et peut-être n’est-ce aussi qu’à lui qu’on pouvait le permettre."
Je suis à ce titre en train de lire les Mémoires de Lorenzo Da Ponte, livre relativement fantasque qu'on sent écrit par un homme du XVIIIème siècle qui a le goût du drame.
Il dit tantôt du bien tantôt du mal de l'homme Salieri avec qui il a été très ami et parfois très brouillé (notamment pour des histoires de chanteuses), toutefois de manière plus générale son appréciation et ses récits de son aventure musicale à Vienne est fascinante.
A plusieurs reprises il parle d'un trio de compositeur comme d'absolus génies : Salieri, Martini (Martin y Soler) et Mozart.
Ainsi peut-on lire par exemple, alors qu'il doit terminer la traduction de Tarare en Axur dans l'urgence pour que l'oeuvre soit terminée pour le mariage de l'archiduc (le tout dans une période de travail frénétique vu qu'il travaillait pour les 3 compositeurs en simultané) :
"En deux jours l'Assur fut terminé, joué, et le succès en fut tel, que pendant longtemps je restai incertain quel était celui de mes trois ouvrages (*) qui l'emportait sur les deux autres, tant pour les paroles que pour la musique."(*) L'Arbore di Diana, Don Giovanni et Assur Re d'Ormuz.
Il évoque aussi ainsi le début de ses projets et les sentiments et inspirations qui allaient avec chaque livret et compositeur :
"Je pensai qu'il fallait réveiller ma muse endormie, que ces deux récents échecs avaient paralysée. Les trois maestri Martini, Mozart et Salieri m'en fournirent l'occasion en venant simultanément me demander un libretto. Je les aimais et les appréciait également tous trois. [...] Salieri ne me demandait pas une pièce originale. Il avait écrit à Paris la musique de l'opéra de Tarar, il désirait adapter cette musique à des paroles italiennes. Quant à Mozart et Martini, ils s'en remettaient à moi pour le choix du sujet. Je destinai Don Juan au premier, qui en fut ravi, et l'Arbre de Diane à Martini, comme sujet mythologique en harmonie avec son talent, si plein de cette douce mélodie dont plus d'un compositeur a le sentiment inné, mais que de rares exceptions seules savent traduire.
Mes trois sujets arrêtés, je me présentai à l'Empereur et lui exprimai mon intention de les faire marcher de front. Il se récria : "Vous échouerez me dit-il.
- Peut être ! mais j'essayerai.
J'écrirai pour Mozart la nuit en lisant l'Enfer de Dante; le matin pour Martini en lisant Pétrarque, et le soir pour Salieri avec l'aide du Tasse". J'étais content de ma comparaison et, à peine rentré chez moi, je me mis à l'oeuvre.
"