Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Jeu 12 Mar - 15:19
ALCINA Christophe Rousset Direction Musicale Pierre Audi Mise en scène
Haendel : Alcina (1735).
Sandrine Piau, Alcina Maité Beaumont, Ruggero Angélique Noldus, Bradamante Sabina Puertolas, Morgana Giovanni Furlanetto, Melisso Daniel Behle, Oronte
Alcina est un opéra seria de Georg Friedrich Haendel, composé en 1735 sur un livret rédigé d'après l'Arioste.
Alcina a pris la mauvaise habitude de transformer les amants dont elle est lasse en pierres, bêtes ou monstres. Avec Ruggero, un croisé égaré, elle connaît le véritable amour et maintient son amant en sa puissance par divers artifices. Bradamante qui aime Ruggero débarque sur l'île d'Alcina, déguisée en homme, en compagnie de Melisso. Ce dernier arrive à convaincre Ruggero avec un anneau d'or, qu'il doit recouvrer sa lucidité et s'éloigner d'Alcina. Cette dernière, se voyant abandonnée, clame sa douleur et tente en vain de maintenir Ruggeroi sous son emprise. L'île d'Alcina est cernée par les croisés, les troupes de la magicienne sont défaites et ses monstres éliminés. Les victimes d'Alicia recouvrent leur condition humaine et l'union de Bradamante et Ruggero deviendra possible tandis que la magicienne déchue s'en va avec sa suivante Morgane.
Alcina que j'ai vu en streaming est en effet un spectacle exceptionnel : mise en scène, scénographie, direction musicale superlatifs et des chanteurs et des instrumentistes remarquables. Il n'y a aucun bémol.
Haendel a été bien servi et il le mérite car il a été particulièrement bien inspiré dans cette œuvre. La plupart des airs de cet opéra sont des merveilles. S'il faut asolument faire un choix alors ma préférence va vers l'air de Ruggero à l'acte II, Mi lusinga il dolce affetto et son très bel accompagnement de théorbe ; l'air de Morgana, Ama, sospira et son spectaculaire solo de violon, le bouleversant air d'Alcina, Ah mio cor !, aria di disperazione ou lamento, je ne sais pas....l'aria di furore d'Alcina, Ombre pallida et sa magnifique trame orchestrale très contrapuntique. L'acte III est encore plus intéressant avec un air de Morgana, Credete al mio dolore et son accompagnement de viole de gambe qui m'évoque la Passion selon Saint Jean de Jean Sébastien Bach ! Un des sommet de l'opéra est peut-être l'aria di paragone de Ruggero, Sta nell'ircana pietrosa tana tigre sdegnosa..., Alcina acculée par ses ennemis, est comparée à une tigresse qui hésite entre bondir sur ses ennemis ou protéger ses petits . La magicienne qui pourtant ne chante pas emplit la scène de sa présence. Elle arrache enfin des larmes dans son air Mi restano le lagrime, Sicilienne magnifique qui devient presque un cantique dans sa partie centrale. On sent bien dans cette œuvre composée en 1735, que la période des grands oratorios est proche.
Pas de fausse note dans la distribution, d'excellentes chanteuses suprêmement engagées à tous les postes et quelle direction d'acteurs !. Dans un ensemble de haute qualité, j'ai adoré Sabina Puertolas, magnifique Morgana : voix superbe, engagement superlatif, Maïte Beaumont, chanteuse aux possibilités incroyables, voix à la tessiture très étendue ; aussi à l'aise dans Cinderella que dans le baroque...et bien sûr Sandrine Piau (Alcina) au sommet de son art. Les chanteurs, tous deux excellents, ne sont pas en reste. L'orchestre des Talents lyriques et Christophe Rousset m'ont enthousiasmé : Les cordes emmenées par Gilone Gaubert étaient admirables de précision, de puissance ou de douceur. Cors, flûtes, haubois et bassons impeccables. Le continuo avait une couleur particulière peut-être due à la place prépondérante du théorbe dans la trame sonore.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Mer 8 Avr - 21:36
Georg-Friedrich Haendel L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato Opéra ou Grande Ode, Londres 1740 Texte en anglais de Charles Jennens d'après les poèmes de John Milton
Gabrielli Consort and Players Paul McCreesh Direction
Festival International d'Opéra Baroque de Beaune 2013 Dimanche 28 juillet Basilique Notre Dame
En 1738 la dernière création anglaise d'un opéra seria italien Serse s'étant soldée par un échec, Haendel avait de sérieuses raisons de s'inquiéter sur son avenir londonien. C'est avec intérêt qu'il accueillit la proposition de mettre en musique des textes reposant sur des poèmes de Milton. En moins de trois semaines Haendel aura ainsi composé la musique d'une de ses partitions les plus originales. Ni véritablement opéra (il n'y a pas vraiment d'action), ni oratorio (spectacle théâtral sur un sujet profane), Haendel innovait avec un genre nouveau aux intéressantes possibilités mais qui n'aura pas une postérité importante (1).
La première partie décrit l'opposition entre l'Allegro qui exalte les plaisirs de l'existence, invoque Venus et Bacchus, le pouvoir du rire et Il Penseroso qui dénonce toute cette agitation fallacieuse et recommande les plaisirs simples de l'existence, vante la beauté calme de la nature. La seconde partie est surtout dévolue aux propos d' il Penseroso qui recommande l'étude pour acquérir la connaissance ainsi que la méditation solitaire à l'écart de l'agitation de la cité et des sociétés humaines. Dans la troisième partie intervient Il Moderato et selon lui, l'harmonie du genre humain exige que soient satisfaits à la fois ses besoins de plaisirs et de vie en société mais également d'étude et de repli sur soi. Ni trop ceci, ni trop cela demande en somme Il Moderato. Ainsi la raison doit gouverner le genre humain, maintenir un équilibre et éviter les excès de plaisir ou de vertu. L'esprit religieux est totalement absent, tout au plus y évoque-t-on furtivement le Dieu sage de la nature, c'est donc un esprit panthéiste qui règne dans ce texte.
Sur cette trame, Haendel compose une musique extrêmement originale . Ne connaissant pas cette partition, j'ai trouvé qu'elle avait un son neuf par rapport à ses autres oeuvres. On y trouve surtout dans la première partie une puissante évocation de la nature avec de nombreuses pastorales et parmi elles, un passage extraordinaire : sweet bird that shun'st the noise of folly évoquant le chant du rossignol par le truchement d'un écho enchanteur entre un traverso et la soprano. Dans les choeurs Haendel frappe comme la foudre, comme le dit si justement Wolfgang Mozart, notamment dans le choeur du rire : laughter, holding both his sides ainsi que le brillant choeur avec trompettes et timbales qui exalte la cité : Populous cities please us then.... Le style change dans les deuxième et troisième parties, les passages méditatifs sont plus nombreux. Bien que le texte ne contienne aucune référence religieuse, Haendel nous gratifie en fin de deuxième partie, d'un choral : There let the pealing organ blow... suivi d'un austère solo d'orgue et finalement un vaste choeur dans le style de Palestrina. C'est également un magnifique choeur évoquant la musique religieuse de la Renaissance qui termine l'oeuvre.
Gillian Webster (Il Penseroso) occupa la scène de façon majoritaire et j'ai été impressionné par cette soprano écossaise que je ne connaissais pas bien qu'elle soit une mozartienne aguerrie dans les principaux rôles des opéras de Mozart. La voix est belle, servie par une technique impeccable, toujours empreinte d'une discrète émotion. Ses vocalises répondant aux volutes du traverso étaient brillantes. Aucun maniérisme chez cette chanteuse mais un sentiment juste toujours en phase avec le texte. Jeremy Ovenden personnifiait l'Allegro. Un peu tendu au début, il s'est rapidement laché et a pu faire résonner son timbre magnifique dans le merveilleux duetto As steals the morn upon the night...Le baryton Ashley Riches a tenu son rôle avec autorité et nous a gratifié de sa voix retentissante. Laurence Kilsby, soprano garçon, prévu dans le programme, a été remplacé par la soprano adulte Ruth Provost. Cette dernière m'a aussitôt frappé par une voix angélique, pure, naturelle et parfaitement en résonance avec le texte chanté. Son interprétation du chant de l'alouette : And if I give thee honour due... était un régal. Le Gabrielli Consort and Players est impressionnant. Chaque intervention du choeur était un événement en soi. Les solistes de l'orchestre ont pu exposer toutes les facettes de leur talent, notamment la joueuse de traverso qui lors de sa longue intervention nous a éblouis. Le corniste jouant sur un cor naturel (instrument très voisin d'un cor de chasse, donc dépourvu de pistons) a réussi à mettre en valeur un solo d'une difficulté énorme. Le pupitre des cordes, conduit magistralement par la première violoniste Sarah Bealby, fit preuve d'homogénéité et de nervosité. Il semble que le pupitre se soit équipé de violons type Monteverdi fabriqués par le luthier George Stoppani, ainsi que d'archets baroques dont la baguette présente une forte convexité. Ces caractéristiques expliquent peut-être ce son spécial qui m'a frappé.
(1) A noter que Alcide al bivio, de Vincenzo Righini (1790) procède de la même manière : Hercule arrivant à la croisée des chemins hésite entre le boulevard qui, semé de hauts faits d'armes et de succès amoureux, conduit à la gloire et le chemin accidenté et couvert de ronces qui, balisé par les épreuves et le renoncement de soi, conduit à la vertu. Finalement une troisième voie conciliant les deux premières s'offre à lui et fera de lui l'homme complet qui pourra réaliser ses grands travaux.
Ce texte a été publié sous une forme légèrement différente dans Odb-opéra.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Ven 17 Juil - 22:42
Alcina Georg Friedrich Haendel
Andrea Marcon, Direction Musicale Katie Mitchell, Mise en scène
Patricia Petibon, Alcina Philippe Jaroussky, Ruggiero Anna Prohaska, Morgana Katarina Bradić, Bradamante Elias Mädler, Oberto Krzysztof Baczyk, Melisso
Freiburger Barockorchester Festival d'Aix-en-Provence 2015
Bienheureux G.F. Haendel qui bénéficie à un an d'intervalle de deux spectacles d'exception pour son Alcina.
Ayant dans les yeux et les oreilles le spectacle de Théâtre de la Monnaie mis en scène par Pierre Audi et dirigé par Christophe Rousset (voir mon post du 12 mars 2015 dans ce sujet), j'abordai avec méfiance l'Alcina de Mitchell/Marcon. C'est vrai que les deux productions sont aux antipodes. Avec la première, dépouillement, décors et costumes Régence à la Watteau, on se concentre sur une seule scène et la divine musique de Haendel est au centre et Pierre Audi à son service. Avec la seconde, prolixité, mélange des genres, on brouille les pistes, quatre scènes simultanées qui monopolisent l'attention au détriment de la musique en arrière plan. Contrairement au spectacle précédent, la musique est ici au service de la mise en scène.
Très réticent au début, je me suis pris au jeu des magiciennes au fur et à mesure que le spectacle se déroulait et lui ai trouvé une cohérence qu'il n'avait pas au début. Le fait que les deux magiciennes sont en fait des femmes agées que leurs artifices font paraître belles à leurs amants est une brillante idée qui a elle seule relève la mise en scène d'une certaine facilité (scènes de bondage tout à fait gratuites) et donne une conclusion bouleversante.
Comme on l'a dit déjà plus haut, pour moi aussi la révélation de la soirée fut Katarina Bradic (Bradamante), rôle particulièrement difficile du fait des déguisements. La mezzo a un timbre d'une grande limpidité et vocalise avec art. J'ai adoré Anna Prohaska (Morgana) pour le timbre très pur de sa voix et son agilité vocale. Philippe Jarrousky (Ruggiero) m'a agréablement surpris à la fois par sa voix qui a retrouvé son éclat et par sa présence. Il joue parfaitement le rôle de guerrier pris dans les rets de l'enchanteresse. On lui a reproché injustement un manque d'énergie dans ce rôle. Pouquoi donc lui demander ce qui n'existe pas dans le caractère de son personnage ? Patricia Petitbon (Alcina) est admirable dans un rôle qui lui convient bien mieux que celui qu'elle jouait dans Ariodante. Elle peut faire briller tous ses talents de tragédienne ainsi qu'une très belle voix en dépit de quelques suraigus un peu stridents. Le jeune Elias Mädler incarne avec autorité un Oberto plein de vie.
Un spectacle très intelligent en définitive, avec un Freiburger Barockorchester au meilleur de sa forme.
Dernière édition par Piero1809 le Sam 18 Juil - 12:42, édité 1 fois
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Mer 22 Juil - 11:14
Cela a peut-être été dit sur un autre fil et je m'en excuse à l'avance si c'est le cas.
Joseph Haydn eut l'occasion d'assister en 1791 aux représentations de deux oratorios de Haendel: Israël en Egypte et Le Messie. En effet en mai 1791 se déroule à Westminster Abbey, un gigantesque festival à la mémoire de Haendel. On donne: Zadok the Priest, Esther, Saul, Judas Macchabé, Deborah, et les oratorios cités plus haut (1).
Ces exécutions mobilisèrent près d'un millier d'exécutants avec, selon les témoignages de l'époque, d'énormes contrebasses et des timbales sonnant un octave au dessous des timbales ordinaires. Ces oeuvres firent une impression durable et intense sur Haydn et l'influencèrent dans la composition de ses futurs oratorios (La Création et Les Saisons) et les six messes composées entre 1796 et 1802.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 367-368.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Ven 26 Aoû - 8:13
Agrippina Dramma per musica, décembre 1709 Georg Friedrich Haendel, musique Vincenzo Grimani, libretto Theater an der Wien, mars 2016.
Thomas Engelbrock, Direction musicale Robert Carsen, Mise en scène Gideon Davey, Scénographie Gideon Davey, Costumes Robert Carsen et Peter van Praet, Lumières.
Patricia Bardon, Agrippina Danielle de Niese, Poppea Jake Arditti, Nerone Filippo Mineccia, Ottone Mika Pares, Claudio Damien Pass, Pallante Tom Verney, Narciso Christoph Seidl, Lesbo Balthasar Neumann Ensemble
Moins souvent joué que bien d'autres opéras de Haendel, Agrippina est précieux pour bien des raisons. Il fait partie des œuvres de jeunesse de Haendel et nous renseigne sur la période de trois ans pendant laquelle le Caro Sassone fut immergé dans la culture italienne. Des œuvres comme le génial Dixit Dominus et Agrippina, ont une densité polyphonique, des couleurs et une fraicheur que ses œuvres futures plus équilibrées ne possèderont plus au même dégré. Il y a de plus dans ces œuvres un enthousiasme et un dynamisme très prenant. Les qualités musicales de cet opéra sont sensibles dès la sinfonia liminaire. Cette dernière revêt la forme de l'ouverture à la française avec un largo dans lequel on entend des réminiscences de Lully et un presto, sorte de fugato d'une folle virtuosité. L'oeuvre regorge ensuite de morceaux de bravoure, souvent empruntés aux nombreuses cantates que Haendel écrivit en Italie. On peut reprocher à certains emprunts de ne pas toujour coller avec le texte du livret car parfois on constate que ce dernier contredit la musique.
La musique d'Agrippina est magnifique de bout en bout et on remarque tout particulièrement : Acte I L'air de Nerone, col saggio tuo consiglo il trono ascendero..., très belle sicilienne au caractère vivaldien. L'air d'Ottone, Lusinghiera mia speranza..., d'une écriture polyphonique avec des harmonies acerbes qui contredisent les propos plutôt amènes de l'amant de coeur de Poppea. L'air di Poppea vient immediatement après, Vaghe perle, eletti fiori, pastorale aux belles couleurs délicatement accompagnée de flûtes à bec et de théorbe. Acte II Magnifique aria de Claudio, Cade il mondo soggiogato...air majestueux et conquérant. Le lamento d'Ottone Voi, che udite il moi lamento... est un des sommets de l'opéra, il fait suite au rejets successifs d'Agrippina, de Poppea et de Nerone...et se signale par des harmonies chromatiques descendantes à la manière de Monteverdi ou de Cavalli. Aria d'Agrippina, Pensieri, pensieri voi mi tormentate...Magnifique arioso avec hautbois obligé aux harmonies chromatiques et aux dissonances très audacieuses, le sommet de l'oeuvre à mon sens. Aria d'Agrippina, Ogni vento che al porto lo spinga...Aria di paragone, deuxième du genre dans cet opéra. Le nocher déploie les larges voiles du navire malgré la tempête. Le rythme de valse et le climat enjoué de la musique contraste avec la gravité du sujet traité ! Acte III Aria di Claudio, Io di Roma il Giove sono...Dans cet Air majestueux, Claudio affirme avec brutalité l'autorité impériale. Duetto Ottone, Poppea, Pur che io ti stringa al sen...Un autre sommet de l'oeuvre, les deux amants chantent leur amour avec un canon voluptueux et enchanteur... Aria di Nerone avec hautbois et violon obligés, le plus virtuose de tout l'opéra. Come nube che fugge dal vento...
Dans un opéra qui mélange habilement les aspects dramatiques et les aspects comiques, la mise en scène de Robert Carsen gomme les premiers et ne retient que les seconds avec un côté burlesque et parodique que n'aurait pas renié Jacques Offenbach! La mise en scène transpose l'action dans une Italie fasciste, nostalgique de l'ancienne Rome, comme le montrent les drapeaux omniprésents , les aigles impériaux, le pas de l'oie de l'empereur Claude etc...La scénographie de Gidéon Davey consiste en un décor d'arcades sur trois étages qui emplit la scène pendant les trois actes. Ces arcades délimitant un espace bleu de Prusse, ressemblent étrangement aux architectures, peuplées de statues, qui obsédèrent Giorgio de Chirico durant sa plus belle période métaphysique. Elles sont proches également des architectures mussoliniennes qui fleurirent dans l'Italie entre les deux guerres Pas le temps de rêver à la fuite du temps dans ce palais impérial où les scènes se succèdent à la vitesse de l'éclair. Les scènes au cours desquelles Agrippine séduit successivement ses amoureux Pallante et Narciso sont désopilantes. De même l'entrevue de Poppea et Claude tandis que les deux autres amants de Poppea, Ottone et Nerone sont chacun cachés derrière un fauteuil est digne de Georges Feydeau !. On ne peut le nier, tout cela fait mouche et on s'amuse beaucoup avec toutefois quelques dissonances entre ce qu'on voit et ce qu'on entend car la musique de Haendel n'est pas tout le temps loufoque, loin s'en faut ! Comme souvent chez Robert Carsen, il y a un côté esthétisant et une volonté de faire joli. On admire par exemple une scène visuellement très léchée se situant au bord d'une piscine avec des fauteuils de plage alignés. Les costumes de Gideon Davey sont seyants; les costumes deux pièces des hommes, les élégants tailleurs et jupes de cuir d'Agrippine, les tenues alanguies de Poppea, les bikinis brillamment colorés des admiratrices de Néron. A la fin on célèbre l'union de Poppea et Ottone et la montée sur le trone de Néron dans une liesse qui dégénère rapidement en orgie. Une image fugace montre enfin Néron et ses sbires en train d'assassiner Agrippina...Robert Carsen est coutumier de ce genre d'ellipses pas toujours prévues dans le livret.
Le rôle titre était tenu par Patricia Bardon qui avec six airs est la mieux lotie. Dans des airs très variés, la mezzo irlandaise a fait preuve de grands talents de comédienne, de tragédienne et de beaucoup d'engagement.. Son timbre de voix est dense et puissant avec cependant quelques duretés dans l'aigu, elle vocalise remarquablement. Dans son aria Ogni vento...elle entraine son fils Nerone dans une valse improbable et s'y montre irrésistible. Danielle de Niese a incarné avec sensibilité et justesse le rôle de Poppea, personnage qui a ce stade de l'histoire apparaît comme sympathique, du moins sous ses traits ! La soprano australienne a brillé dans Vaghe perle...ainsi que dans son émouvant duo avec Ottone. Les personnages de Nerone et d'Ottone sont des fantoches un peu ridicules manipulés par Agrippine et Poppea respectivement. Nerone est interprété brillamment par Jake Arditti, contreténor à la voix claire et agile qui se joua des vocalises terribles de Come nube che fugge dal vento..., Ottone, matamore en tenue de combat, bénéficie des airs les plus tendres et les plus émouvants de la partition. Filippo Mineccia , contreténor, prête au personnage une voix pure et joliment timbrée bien que manquant un peu de projection. Les deux conseillers de Claudio, Pallante (Damien Pass, baryton) et Narciso (Tom Verney, ténor), manipulés par Agrippine, sont confondants de stupidité mais jouent et chantent leur partition avec beaucoup de talent. Mika Kares (basse) campe un Claudio impérial, aux postures Mussoliniennes. Avec sa voix puissamment projetée, il donne beaucoup d'autorité au personnage malgré un léger déficit dans le registre le plus grave. Dans un rôle plus important qu'il ne paraît, Lesbo est le hérault qui annonce les nouvelles et fait le lien entre les scènes successives. Christoph Seidl a montré un réel talent dans cet exercise. Les deux contreténors ont été ovationnés par les spectateurs tandis qu'Agrippine et Poppée qui avaient fait l'essentiel du travail ont été moins applaudies ce qui m'a paru injuste. Le Balthasar Neumann Ensemble est un orchestre réputé, encore aurait-il fallu l'entendre. Il m'a semblé en retrait. Impossible par exemple de reconnaître les instruments faisant partie du continuo : clavecin, harpe, theorbe, luth, violoncelle, viole de gambe, ou de distinguer traversos ou flûtes à bec ? Mais ce défaut est probablement du à la prise de son. La direction de Thomas Hengelbrock m'a semblé excellente et les tempi très convaincants.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Lun 6 Nov - 0:30
Je voulais remercier Pierro pour ses contributions précieuses et extrêmement pertinentes des oeuvres de Handel. Je serais ravi de pouvoir réagir à chacun d'elle mais cela prendrait bien du temps ... Je suis très surpris du manque de réaction concernant ce compositeur ! Cela mérite au moins que quelqu'un en fasse la remarque, fut-ce par un message rapide.
Au-delà du caractère exceptionnel de sa musique il y a beaucoup de choses à dire autour de sa personne en rapport avec la période classique. Comment ne pas considérer l'influence de ce géant quand Haydn, Mozart et Beethoven ont tous 3 été subjugués par la musique de Handel et s'en sont très largement inspirés ? C'est d'autant plus intéressant que la passion pour Handel est venue, en général, chez les compositeurs matures. On retrouve par exemple Handel de manière palpable dans La Création ou encore le Requiem. En principe la découverte de la musique d'Handel, même chez ceux qui étaient à l'époque largement familier de l'oeuvre de Bach comme Mozart et Beethoven, était un choc profondément marquant et aux larges conséquences musicales. Il y aurait beaucoup d'anecdotes à rapporter et d'analyses à faire sur le sujet !
Pour clore ce rapide message un petit hommage musical avec un extrait du premier et dernier oratorio d'Handel (il ne faut pas faire attention à la mise en scène).
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno - Tu del Ciel ministro eletto:
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Sam 11 Nov - 17:48
Je n'ai pas de problème similaire de mon côté. Peut être une mise à jour d'adob flash player ?
Tant que je suis ici autant rassembler des citations sur Handel :
Extrait du livre de Frédérique Gonin sur Haydn : "Associée à la ferveur du public, la grandeur de la musique de Haendel toucha profondément Haydn qui "avouait qu'il en fut si frappé qu'il se remit à l'étude comme s'il n'eût rien su jusqu'à ce moment. Il médita chaque note et puisa dans ces partitions très savantes la quintessence du vrai grandiose musical.""
Haydn aussi aussi dit de lui "Er ist der Meister von uns allen!" / "Cet homme est notre maître à tous !" à l'écoute du Messiah.
De Mozart : "Handel comprend les effets mieux qu'aucun d'entre nous, quand il frappe il le fait comme la foudre". Mozart se serait aussi semble-t-il particulièrement entiché des fugues de Handel dont il se ferait, selon ses lettres, "une collection". Cela correspond à l'époque où il fit un arrangement du Messiah et d'Acis et Galatea qui permit de largement enrichir et inspirer l'écriture entre autre du Requiem.
Il paraîtrait que Bach ait dit "Handel est la seule personne que je souhaite voir avant ma mort et que j'aimerais être si je n'étais pas Bach". Cette phrase aurait été rapportée à Mozart qui l'aurait plussoyée.
Gluck qui considère Handel comme "le maître inspiré de notre art " (l'opéra).
Beethoven était certainement le plus grand admirateur d'Handel, ayant pu dire entre autre :
"Händel ist der unerreichte Meister aller Meister. Gehen Sie und lernen Sie von ihm, wie gewaltige Wirkungen mit einfachen Mitteln zu erreichen ist." "Handel est l'inégalable maître de tous les maîtres. Allez et apprenez de lui comment obtenir de grands effets avec de simples moyens."
"Händel ist der größte Komponist, der je lebte. Ich würde meine Kopfbedeckung abnehmen und auf seinem Grab knien." "Handel est le plus grand compositeur qui ait jamais vécu. Je me découvrirais et m'agenouillerais sur sa tombe".
"Händel ist der Größte und Fähigste aller Komponisten; von ihm kann ich immer noch lernen" "Handel est le plus grand et le plus capable de tous les compositeurs; de lui je peux encore apprendre."
Il aurait aussi rapporté sur son lit de mort à propos des partitions de Handel "ceci est la vérité". Tous ces propos sont globalement répétés par des fréquentations proches de Beethoven à la fin de sa vie. Si le jeune Beethoven était en admiration devant Mozart il est clair compte tenu des sources fréquentant Beethoven plus âgé qu'Handel était devenu la référence absolue en ce qui le concerne et ce malgré une très grande connaissance des oeuvres de Bach (clavier bien tempéré par coeur, étude de la messe en si mineur pour la composition de la missa Solemnis, accès à la Bibliothèque de Von Swieten etc...).
Il faut dire que le vent tourne selon les époques. Si Handel n'est jamais tombé en désuétude ce qui est très rare pour un compositeur (de sa mort à aujourd'hui il n'a cessé d'être joué) certaines époques l'apprécient davantage que d'autres. Aujourd'hui son talent est souvent minimisé par rapport à l'estime qu'on porte à Bach, pourtant tous les grands classiques qui connaissaient l'un et l'autre avaient tendance à privilégier Handel qui, certainement, avait davantage anticipé le classicisme que son collègue (bien que Bach était hissé extrêmement haut dans le panthéon musical par ailleurs : c'est une erreur de croire que sa musique était inconnue de Mozart & co, ils avaient accès à de nombreux manuscrits et, bien souvent, vénéraient Bach comme un des plus grands). Globalement tout ça sont des paroles rapportées, bien souvent les citations historiques sont un petit peu retravaillées par le temps qui passe, mais lorsqu'il s'agit de contemporain qui le côtoyaient jusque sur son lit de mort comme Beethoven on peut imaginer que la source est sûre. Dans tous les cas les compositeurs de l'âge classique ont assurément fait des éloges dithyrambiques d'Handel, c'est important à garder en tête pour comprendre le tournant qu'a pris le classicisme à une certaine époque (vers la fin de la carrière de Mozart). En substance aujourd'hui Handel est connu mais je trouve que de nos jours on a quand même tendance à parfois lire des critiques bien sévères de lui. Après notons tout de même qu'historiquement il a toujours été une personnalité pour le moins controversée !
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Sam 16 Juin - 12:55
Il caro sassone in Londra
Et maintenant Oreste HWV 11A, un pasticcio concocté par Haendel à Londres en 1731
Rien de péjoratif dans ce terme de pasticcio. Haendel réutilise des extraits de ses opéras antérieurs dans une trame mythologique très habile. Le résultat est bluffant.
Messages : 664 Points : 814 Date d'inscription : 20/08/2007 Age : 78 Localisation : Nord
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Dim 8 Juil - 13:54
Ne t'étonne pas, Piero, de mon absence de réaction sur ce fil Haendel, la cause en est que je ne suis pas très sensible à l'opéra baroque, même de Haendel. Les oratorios "passent" mieux, mais je n'écouterai pas en boucle...
Par contre j'apprécie beaucoup la musique instrumentale de Haendel, notamment les concertos grossos op 3 et 6, les concertos pour orgue, les sonates et bien sûr les magnifiques Water Music et musique des Feux d'Artifice royaux.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Dim 8 Juil - 15:56
Joachim a écrit:
Ne t'étonne pas, Piero, de mon absence de réaction sur ce fil Haendel, la cause en est que je ne suis pas très sensible à l'opéra baroque, même de Haendel. Les oratorios "passent" mieux, mais je n'écouterai pas en boucle...
Je ne suis pas étonné, Joachim. L'opéra seria, avant la réforme de Gluck, Calzabigi et Traetta, rebute beaucoup de mélomanes. Il est certain que l'alternance des récitatifs secs et d'airs, aussi beaux soient-ils, peut paraître monotone. Les gens allaient à l'opéra pour entendre leurs vedettes préférées qui d'ailleurs gagnaient plus d'argent que le compositeur et le librettiste. Dans certains opéras, on assiste vraiment à un concours de virtuosité, voire de pyrotechnie vocale. Heureusement Haendel avait du génie et un tempérament dramatique supérieur à ses contemporains (Leonardo Vinci, Nicola Porpora ou même Antonio Vivaldi...). Le passage de l'opéra à l'oratorio se fait chez Haendel avec des oeuvres de transition comme Sémélé, Teodora ou encore L'Allegro, il Penseroso e il Moderato dans lesquels des ensembles et des choeurs viennent enrichir la trame opératique.
Même Mozart ne s'éclate pas dans ses opéras seria non réformés tels que Mitridate (1770) ou Lucio Silla (1772). Son génie va pouvoir s'exprimer totalement dans Idomeneo (1780) qui, en s'inspirant des réformes de Gluck et consorts ou encore de la tragédie lyrique française, va porter l'opéra seria à des sommets.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Dim 10 Nov - 20:27
Bonjour Euclide-Orphée, deux ans après votre post du 5 novembre 2017, j'ai écouté ce sublime extrait d'Il trionfo del tempo e del disinganno. Je connais bien cet oratorio mais ici l'interprétation est vraiment émouvante. Sabine Deviehle se surpasse.
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Sam 25 Jan - 11:18
Autre opéra célébre de Haendel: Orlando. Avec Alcina, Rinaldo, Ariodante, Orlando fait partie des opéras "magiques" inspirés de l'oeuvre littéreaire de l'Arioste. Orlando a été donné au théâtre des Champs Elysées le 13 janvier 2020
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Ven 13 Mar - 18:59
Tolomeo HWV 28 est un opéra seria méconnu de Haendel. Pourtant c'est musicalement un de ses plus beaux opéras. Ce n'est pas le plus palpitant au plan scénique mais il a été transfiguré au festival Haendel de Karsruhe 2020 par une mise en scène magnifique:
Sujet: Re: Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759! Ven 17 Avr - 18:16
Serse, dernier opéra italien important composé par Haendel date de 1738 (Il caro Sassone, le cher Saxon en a composé près d'une cinquantaine). Il se différencie des opéras seria précédents dans la mesure où plusieurs personnages comiques interviennent sur scène. Il rappelle pour ce mélange de tragique et de comique l'opéra Vénitien du 17ème siècle et anticipe aussi le dramma giocoso qu'immortaliseront cinquante ans plus tard Mozart et Haydn. Plusieurs airs de cet opéra ont une allure quasi mozartienne qui semble indiquer une orientation nouvelle du style de Haendel s'il avait pu continuer à écrire des opéras italiens. J'ai eu le bonheur d'assister à une remarquable représentation au Staatstheater de Karsruhe avec une mise en scène inventive et déjantée.