3ème concerto pour piano en ré mineur de Serguei Rachmaninov ops 30
Compte tenu de la date de composition du 3ème concerto de Rachmaninov (1909), les esprits chagrins objecteront qu'à cette époque Debussy avait déja composé La Mer (1905), Stravinsky lancait les premières esquisses de l'Oiseau de Feu (1910), Bartok s'initiait au quatuor (premier quatuor, 1908), et Schönberg s'orientait vers l'atonalisme dans son deuxième quatuor en fa # mineur (1907); ils conclueront que Rachmaninov, en comparaison, est un compositeur rétrograde et attaché au passé.
De telles considérations me semblent bien stériles et perdront de leur force au fil des ans, car ce qui comptera de plus en plus, ce n'est pas la modernité mais la personalité unique de Rachmaninov, reconnaissable entre tous dès la première note jouée.
Le troisième concerto, une de mes oeuvres préférées du compositeur, illustre parfaitement ces propos tant ses thèmes et son style sont caractéristiques de leur auteur.
L'admirable premier mouvement (Allegro ma non tanto) est à lui seul un concerto et, tel le premier mouvement du concerto pour piano en la mineur de Schumann, pourrait être joué seul comme un poème symphonique. Il débute par un thème magnifique qui se déroule lentement, majestueusement, avec sérénité (ce concerto, bien qu'écrit dans une tonalité mineure n'est, à mon humble avis, ni sombre ni tourmenté) et passion contenue. Le deuxième thème en majeur, débute en douceur, croit en force et devient de plus en plus passionné. On admire les alliages sonores entre piano et bois. Le grandiose développement est entièrement basé sur le premier thème. Ce dernier est d'abord intégralement répété puis passe à la moulinette et ce sont de fragments du thème qui vont faire l'objet d'une lutte acharnée entre le piano et l'orchestre. Ce développement contraste avec ce qui précède par sa rudesse et ses harmonies relativement agressives. La rentrée est écourtée, elle débouche rapidement sur une cadence monumentale et après un dernier retour du thème principal, le mouvement se termine discrètement.
Dès les premières mesures du deuxième mouvement (Intermezzo, Adagio), on est saisi par la splendeur sonore de ce prélude orchestral (partie de hautbois magique). Les chromatismes subtils donnent au thème unique de ce mouvement un charme et une mélancolie indicibles. Dans ces deux premiers mouvements la virtuosité, bien que transcendantale, n'est jamais gratuite mais constamment au service du chant et de son expression. A noter que ce mouvement est écrit avec trois dièses à la clé, indiquant la tonalité de fa# mineur. Pourtant il débute en ré mineur, tonalité principale du concerto et s'achève en ré mineur, après avoir parcouru les tonalités de fa# mineur et de ré bémol majeur.
Le troisième mouvement (Allegro, alla breve), ré mineur, donne à la virtuosité une place plus importante que dans les deux mouvements précédents. Le piano moins chantant que dans les deux premiers mouvements a un caractère percussif en phase avec l'évolution de la musique au début du 20ème siècle. De forme très libre, il semble moins structuré et plus rhapsodique. Les contrastes sont vifs entre passages brillants et plus retenus comme par exemple un long intermède central appelé scherzando par le compositeur. Dans ce scherzando, on est saisi par des sonorités curieuses des cordes avec sourdine, des cors bouchés, des violons sul ponticello et des envolées de flûtes et de hautbois. A la fin du scherzando le thème principal du premier mouvement réapparait donnant au concerto entier un caractère cyclique. Le concerto s'achève en ré majeur sur une brève et puissante péroraison du piano et de l'orchestre au complet.