Revenu à Naples en 1784 après un séjour de près de dix ans à Saint Petersbourg au service de la tsarine Catherine II,
Giovanni Paisiello arrête de composer des opéras bouffes et se lance dans un genre plus sérieux ? C'est ainsi qu'il écrit
Il Re Teodoro in Venezia, Dramma eroi-comico, un opéra qui mélange de façon habile le comique et le dramatique et dont la conclusion est très sombre (1). Avec
La Molinara (1788), Paisiello compose un dramma giocoso qui mélange hardiment une virulente crtique sociale et le sentiment (2). L'année suivante , il élabore un dramma giocoso très différent du précédent,
Nina o sia la pazza per amore (Nina ou bien la folle par amour). Ce dernier opéra est écrit sur un livret de Benoit-Joseph Marsoillier des Vivetières, mis en musique par Nicolas Dalayrac portant le même titre et représenté trois ans auparavant. Le livret français fut traduit en italien par Giuseppe Carpani et adapté par Giovanni Battista Lorenzi. Très différent de ce que le public avait l'habitude d'entendre jusque là, le livret relate une intrigue familiale dont le sujet principal est la folie. Créé au Belvédère de San Leucio, en présence de la reine Marie-Caroline, épouse de Ferdinand IV, roi de Naples, le 25 juin 1789, Nina connut immédiatement un triomphe et fut représenté dans toutes les capitales européènnes. Son succès ne se démentit pas pendant une partie du 19ème siècle.
Il est très probable que cet opéra aurait été monté à Eszterhàza peu après la création à Vienne en 1790. Le décès de Nicolas II le Magnifique ruina ce projet. Après La mort du maître d'Eszterhàza, survenue en septembre 1790, toutes les représentations théâtrales furent stoppées et la troupe renvoyée.
Nina est promise à Lindoro et son amour pour le jeune homme est payé de retour. Tout serait parfait si un parti plus avantageux ne s'était pas manifesté, parti qui a la préférence du Comte, père de Nina. Désespéré Lindoro part et le bruit de sa mort après un duel se répand et arrive aux oreilles de la famille. Nina devient folle de chagrin, folie qui se manifeste par une amnésie et des crises d'abattement ou d'exaltation maladives. Au début de l'opéra, le comte, ses serviteurs, Giorgo et Suzanna et les paysans du domaine déplorent le triste sort de Nina et emettent des doutes sur sa guérison. Mais Lindoro n'était pas mort, il refait surface et la famille fait en sorte que Nina n'éprouve pas un choc trop violent en le revoyant. Lindoro prend contact avec Nina et l'apprivoise doucement. Nina semble guérie et l'union des deux jeunes gens peut se réaliser dans la joie générale.
Voilà un opéra très original dont le sujet et le style sont remarquablement nouveaux. Le genre larmoyant avait déjà été traité en partie par Nicola Piccinni dans son fameux opéra
La Cecchina ou
La buona figliola (1760) et était très populaire dans le théâtre français classique du dix septième jusqu'à la fin du dix huitième siècle (3). Le thème de la folie est par contre une nouveauté. Dans Nina, Paisiello fait office de novateur en décrivant avec attention le comportement de la jeune fille dont les symptômes pourraient correspondre à ce que nous appellerions de nos jours un trouble bipolaire.
Mais ce n'est pas seulement le sujet qui est original, la musique est passionnante. L'inspiration du compositeur est particulièrement heureuse car il compose une musique qui ne ressemble à personne et qui est totalement différente de celle de Mozart qui en 1789, avait mis en chantier
Cosi fan tutte. Il suffit d'écouter le préude instrumental qui ouvre le récitatif accompagné, suivi par l'air de la folie :
Il mio ben quando verrà...(mon cher amour, quand il viendra...) pour se sentir transporté dans un monde nouveau, celui du drame romantique italien. Vincenzo Bellini déclara même en 1834 que Nina avait été pour lui une source d'inspiration pour La Somnambule et Les Puritains (4). Je trouve très remarquable aussi l'unité stylistique de la musique, on reste tout au long dans la même ambiance et avec le même son. Le secret de Paisiello réside dans la simplicité de la mélodie et de l'harmonie, l'absence de virtuosité, beaucoup de sentiment dans les phrasés et dans la ligne de chant et une orchestration voluptueuse.
Acte I
La
sinfonia nous plonge dans l'ambiance. Ici pas d'architecture rigoureuse ni de développements contrapuntiques comme chez Haydn ou Mozart, mais une succession de thèmes plus spirituels et aériens les uns que les autres avec une participation majoritaire des bois et des cors. La tonalité de si bémol majeur participe à la douceur de la sonorité et convient merveilleusement bien à celle de la clarinette. Parmi les thèmes, on en remarque un, un peu dissonant qui ressemble beaucoup à un passage du premier mouvement de la symphonie n° 71 en si bémol majeur de Joseph Haydn.
Récitatif et air de Nina :
Il mio ben quando verrà...Sommet émotionnel de l'opéra, cet air devint rapidement un tube...Comment ne pas être ému par cette ligne de chant déjà romantique ! On l'appelle souvent air de la folie car Nina passe continuellement du désespoir à une grande exaltation...
Il canto del pastore (le chant du berger),
Gia il sol si cala dietro alla montagna...Accompagné d'une simple cornemuse, ce chant semble surgir du fond des âges. C'est un des passages les plus fascinants de l'opéra.
Finale de l'acte I. Quartetto :
Come, Ohimé, Partir degg'io...Nina est à ses divagations et Giorgo, Suzanna et le comte tentent de la calmer. Ensemble très émouvant avec une partie centrale dans le mode mineur particulièrement touchante, merveilleusement accompagnée par le hautbois, la clarinette et le basson.
Acte II
Aria di Lindoro,
Rendila al fide amante...Air parfaitement écrit pour une voix de ténor où ce dernier peut utiliser un confortable medium pour manifester son amour pour Nina. La fin de l'air est beaucoup plus agitée et le chanteur peut faire valoir sa passion avec de beaux aigus.
Aria de Nina avec choeur de paysans et de paysannes.
Cantiam, Nina, cantiamo...Scène pastorale adorable comme Paisiello sait si bien les décrire. L'écriture chorale est simple mais cela sonne admirablement.
Finale, quintetto (Nina, Lindoro, Giorgio, Suzanna, Conte) avec choeur,
Mi sento, Oh Dio!. Magnifique ensemble d'une durée de 16 minutes dans un tempo très modéré. Avec précaution Lindoro apprivoise Nina,et finit par l'appeler son épouse. Nina n'arrive pas à croire à son bonheur. La musique suave reflète la douceur de l'instant. Elle se fait plus grave quand le choeur prononce les paroles :
Sperate, afflitti amanti..., (Espérez, amants affligés)...Conclusion mélancolique sans aucun doute qui pourrait donner à penser que la guérison de Nina n'est pas assurée..Les dernières mesures jouées par l'orchestre sont empreintess de simplicité et de poésie et me font penser à la conclusion orchestrale du Chevalier à la Rose de Richard Strauss (1).
(1) Ce texte est une version abrégée d'un texte plus développé, publié dans:
http://piero1809.blogspot.fr/2017/02/nina-ou-la-folle-par-amour.html