Le terme de trio pour piano, violon et violoncelle devint courant au 19ème siècle. Au 18ème siècle, Johann Schobert qualifie son opus 6 de sonates en trio pour piano, violon et violoncelle ad libitum. Ce terme de sonate en trio, impropre à mon avis, renvoie à un genre baroque différent (1). Joseph Haydn et Wolfgang Mozart utilisent le terme correct de sonate pour piano, violon avec accompagnement de violoncelle.
Mozart qui avait touché de façon ponctuelle à ce genre musical en 1776, avec un agréable trio en si bémol majeur K 254, dénommé divertimento, s'y intéresse de nouveau à partir de 1786. La sonate pour piano, violon et accompagnement de violoncelle était un genre très à la mode à cette époque puisque Joseph Haydn, Ignace Pleyel et Anton Kozeluch s'y consacrèrent de manière très active. C'est ainsi qu'au début de l'année 1786, Mozart compose deux chefs-d'oeuvre très originaux, K 496 en sol majeur et K 502 en si bémol majeur, des oeuvres concentrées au style serré. Mozart, comme Clementi ou Haydn, économise le matériel thématique et fonde plusieurs mouvements sur un seul thème. Les second et premiers mouvements des K 496 et 502, respectivement, sont des tours de force de ce points de vue. De plus, Mozart donne au violoncelle une indépendance notable vis à vis des autres instruments à une époque où le violoncelle se bornait à doubler la basse du piano, de telle sorte que le terme de trio peut être légitimement utilisé pour qualifier ces oeuvres. Son enthousiasme faiblit un peu avec les trios suivants de 1788, en mi majeur K 542 pour Puchberg et en do majeur K 548. Si les deux premiers mouvements du trio en mi majeur sont encore dignes de ceux des deux trios précédents, le rondo final me semble peu inspiré avec des ritournelles qui tournent au bavardage, chose rarissime chez Mozart. La situation financière catastrophique du compositeur à l'époque de la conception de ce trio, peut expliquer cette panne d'inspiration. Le style devient plus lâche et la musique est moins inventive avec le trio en do majeur K 548. Finalement, il se désintéresse complètement de ce genre musical et compose en toute hâte le dernier trio en sol K 564, une oeuvrette très agréable, réalisée probablement à partir de l'esquisse d'une sonate pour piano seul.
Dans les années qui suivent son engagement par la famille Eszterhazy, en gros à partir de 1761, Joseph Haydn compose une série de dix sept sonates pour clavecin avec accompagnement d'un violon et d'un violoncelle. Ces oeuvres sont loin d'être négligeables et contiennent parmi elles des perles comme le trio n° 1 en mi bémol majeur HobXV.36, le trio n° 6 en fa mineur HobXV.F1 et surtout le trio n° 9 en sol mineur HobXV.1 qui est un authentique chef-d'oeuvre. Haydn fait une pause d'une vingtaine d'années dans ce genre musical. Au moment où Mozart conçoit ses "grands trios", Haydn se hisse sur des sommets avec ses prodigieux trios en mi bémol majeur HobXV.11, mi mineur HobXV.12, do mineur HobXV.13 et surtout la bémol majeur HobXV.14 composés entre 1788 et 1790. C'est à ce moment là que Mozart arrête de composer des trios. Le salzbourgeois a peut-être alors estimé qu'il y avait trop de monde sur ce créneau ou bien n'a pas souhaité se mesurer avec des collègues qu'il appréciait (Pleyel et Haydn) ou qu'il aimait beaucoup moins (Kozeluch). Les relations entre Mozart et Haydn sont toujours étroites puisque dans l'adagio avec variations du trio K 564, Mozart paraphrase l'adagio avec variations également de la symphonie n° 75 en ré majeur de Haydn datant de 1779 dont Mozart avait noté le thème en 1783. Cette ressemblance quasi textuelle n'a jamais été soulignée, du moins à ma connaissance.
Désormais Joseph Haydn va régner en maître et produire jusqu'en 1797 les plus belles sonates pour piano, violon et accompagnement de violoncelle. Nous les avons étudiées chacune séparément dans ce forum. Il est curieux que dans des oeuvres aussi modernes, Haydn n'ait jamais songé à émanciper le violoncelle.
Le merveilleux trio en mi bémol majeur K 498 (Kegelstatt trio) de Mozart (1786) appartient à un genre particulier, il est écrit pour piano, clarinette et alto, et se rattache aux deux trios de la même année K 496, et K 502. Aussi inspiré qu'eux, il possède aussi un premier mouvement andante construit sur un thème unique, répété près de soixante dix fois au cours du morceau en produisant à chaque apparition un plaisir renouvelé. C'est un modèle de charme et de rigueur. Des transcriptions où la clarinette est remplacée par un violon et l'alto par un violoncelle sont rapidement apparues chez Artaria, probablement avec l'accord de Mozart.
En 1788, Carl Philip Emmanuel Bach compose une série de trois trios pour pianoforte, flûte et alto, en sol majeur, la mineur et ré majeur, Wq 95, 93 et 94, oeuvres d'une grande profondeur qui se rattachent par certains côtés au trio K 498.
Il ne faut pas sous-estimer la production pléthorique d'Anton Kozeluch. Les trios opus 12 sont les seuls que je connaisse pour le moment. Ce sont des oeuvres de qualité qui mériteraient d'être mieux connues. Le violoncelle y est réduit à un rôle si subalterne qu'on ne l'entend pratiquement plus.
Toutes ces tentatives des uns et des autres montrent bien que Mozart a été le seul à vouloir donner une place plus importante au violoncelle, du moins à ma connaissance. Toutefois il eut quelques difficultés à intégrer le violoncelle dans le discours musical. On rappelle qu'à cette époque le trio était écrit avec une partie de pianoforte flanquée d'une partie de violon au dessus de la portée de la main droite du piano et de celle de violoncelle au dessous de la basse du piano (2), présentation reflétant le rôle du violoncelle qui était celui de doubler la basse du pianoforte, rôle parfaitement assumé par Joseph Haydn et Anton Kozeluch mais pas par Mozart. Mozart voulait libérer le violoncelle de son antique esclavage et lui donner une place importante dans le discours musical. Il y arriva presque dans le trio K 496, le plus avancé de ce point de vue avec une partie de violoncelle très expressive, sans trouver une solution satisfaisante dans les trios suivants. Beethoven résoudra ce problème dès son premier trio en mi bémol majeur opus 1 de 1795, où le violoncelle forme avec le violon un bloc s'opposant au pianoforte.
(1) Dans le sonate en trio senso stricto, deux instruments aigus (deux violons, une flûte et un violon, deux flûtes, etc...) sont accompagnés par le continuo : une basse de violon, un théorbe ou un clavecin. Consulter:
Christopher Hogwood, The Trio Sonata, BBC Publications, London W1M4AA, 1979.
(2) Alfred Einstein, Mozart, Desclée de Brouwer, 1953, p. 314-8.