Sujet: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Ven 18 Déc - 18:31
Peu de ressemblances au demeurant existent entre Dmitri Chostakovitch et Joseph Haydn. Tout les sépare évidemment.
Si pendant la plus grande partie de sa vie et mis à part ses quinze dernières années, Joseph Haydn vécut à une époque relativement calme, la vie de Chostakovitch se déroule dans un contexte historique exceptionnellement troublé et tragique. Si la relation de l'artiste Haydn avec le prince Nicolas le Magnifique s'effectue selon les codes de l'époque, très humiliants pour l'artiste en général mais relativement avantageux pour lui, celle de Chostakovitch avec le pouvoir absolu en place est particulièrement chaotique et éprouvante. Au plan strictement musical il n'y a rien de commun entre l'élégance, la clarté, la concision, et l'optimisme de l'un et le pathos exacerbé, la prolixité et le pessimisme de l'autre.
Toutefois tous deux furent de grands symphonistes. Comme chez Haydn la composition de symphonies jalonne toute la période créatrice de Chostakovitch de 1926 à 1972. On peut dire que chez ce dernier, les symphonies sont un miroir dans lequel apparaissent l'actualité politique ainsi que les problèmes de l'artiste confronté aux dérives du pouvoir totalitaire. Comme Haydn, Chostakovitch manie l'humour mais chez ce dernier l'humour prend vite un aspect grinçant, torturé et évoque plus les défilés de masques grimaçants d'un James Ensor. Il y a enfin chez Haydn et Chostakovitch un aspect épique qui se traduit par des fresques grandioses: la création du monde ou le spectacle de la nature chez l'un et la révolution ou les souffrances de la guerre chez l'autre.
L'audition des quinze symphonies de Chostakovitch est une expérience mémorable. Un an, c'est le temps qu'il m'a fallu pour "assimiler", en toute modestie, ce monumental corpus symphonique. Que d'émotions, de sensations fortes.
L'oeuvre de DSCH (abbréviation de Dmitri Schostakovitch en quatre notes: ré, mi bémol, do, si, notation anglosaxonne du thème principal de la 15ème symphonie) est indissociable de sa vie et du contexte politique. Je n'en parlerai pas car tout a été dit ou presque dans un numéro spécial du Monde de la Musique (1). Mis à part la première symphonie, musique pure s'il en est, chaque symphonie est une oeuvre à programme et se rattache directement ou indirectement à un évènement tragique de l'histoire de la Russie puis de l'URSS.
On a souvent distingué dans le passé récent les grandes symphonies audacieuses et novatrices (4 ème, 8 ème toutes deux en ut mineur, 13 ème et 14 ème) d'avec des oeuvres plus conventionnelles et plus aptes à plaire au pouvoir en place (3 ème, 11 ème et 12 ème). Ces dernières furent même vilipendées par la critique occidentale. Avec le temps qui passe cette distiction tend à s'estomper, toutes les symphonies présentent de l'intérêt et, à mon humble avis, après les avoir toutes écoutées, je trouve qu'il n'y a pas de symphonies ratées.
Enfin, le langage musical de DSCH est très accessible. DSCH ignore ou feint d'ignorer les grandes révolutions qui secouent l'art musical du 20 ème siècle, même si accessoirement il intègre ponctuellement certains procédés (séries en particulier) dans sa musique lorsque l'expression l'exige. Le ton général de ses symphonies est tragique mais même dans ses oeuvres les plus sombres, il ne se départit jamais d'une attitude moqueuse et même sarcastique. Il n'est donc pas totalement pessimiste et réserve à certaines symphonies des conclusions apaisées ou même triomphales.
1. La Vague Chostakovitch. Le Monde de la Musique, n°312, 2006.
Dernière édition par Piero1809 le Mer 29 Mai - 13:36, édité 8 fois
Joachim
Messages : 664 Points : 814 Date d'inscription : 20/08/2007 Age : 78 Localisation : Nord
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mer 23 Déc - 13:44
La musique des deux "grands" russes contemporains : Prokofiev et Chostakovitch, a eue une évolution à peu près parallèle : d'abord les oeuvres de jeunesse très influencées par l'occident, puis, lorsque le pouvoir a jugé cette musique "dégénérée", ils ont été obligés de composer des oeuvres plus conventionnelles, lyriques, souvent même post romantiques.
Personnellement, j'ai une préférence pour les secondes : à partir de la quatrième symphonie de Chostakovitch, et en particulier les 5 et 7, mais à l'exclusion des 13 et 14 qui à mon avis ne sont plus des symphonies mais des sortes de cantates.
Il faut reconnaître que les oeuvres de commande du pouvoir soviétique sont quelquefois magnifiques : connaissez vous le Chant des Forêts par exemple ?
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Jeu 24 Déc - 13:29
Joachim a écrit:
Il faut reconnaître que les oeuvres de commande du pouvoir soviétique sont quelquefois magnifiques : connaissez vous le Chant des Forêts par exemple ?
Merci Joachim pour le commentaire. Je ne connais pas le Chant des Forêts. Je vais l'écouter.
Je me permets d'insister sur le point suivant. Contrairement à la plupart des grands musiciens du 20ème siècle, Chostakovitch a composé une musique accessible au plus grand nombre, c'est pourquoi je trouve que les critiques dont il a fait l'objet de la part du pouvoir en place étaient particulièrement injustes. D'accord, la 13ème et surtout la 14ème symphonie sont plus ardues mais la difficulté d'approche ne résiste pas à une audition répétée et alors on est conquis.
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Sam 22 Oct - 21:58
Certaines symphonies de Dmitri Chostakovitch (DSCH) sont particulièrement célèbres, la plus jouée est probablement la n° 10 en mi mineur, relativement brève, tendue et concentrée. D'autres sont associées à des événements tragiques, la n° 7 en ut majeur Leningrad composée pendant le siège de cette ville par l'armée allemande, la n° 11 en sol mineur L'année 1905 qui cite des chants révolutionnaires russes, etc...La n° 5 n'est pas tragique mais plutôt héroïque, elle contient un des passages les plus célèbres de la musique de film et a illustré le film Rollerball (1). La gigantesque symphonie n° 4 est peut-être ce que l'on a composé de plus violent, brutal et dissonant pour un orchestre.
Par contre la symphonie n° 1 en fa mineur, oeuvre de jeunesse n'est presque jamais jouée alors qu'il s'agit d'une oeuvre très attachante, révélant pleinement le génie de son auteur. C'est elle que je choisis pour illustrer DSCH symphoniste.
La 1ère symphonie en fa mineur opus 10 fut composée en 1926 par un musicien agé de 20 ans. D'une durée de 30 minutes environ, elle comprend les quatre mouvements de la symphonie classique. L'absence presque complète de pathos la rend unique parmi les symphonies de DSCH, par contre l'élément parodique voire sarcastique, autre marque de fabrique du compositeur, y est déja prépondérant.
Le premier mouvement est bâti sur deux thèmes qui se succèdent tout au long du morceau. Chaque instrument de l'orchestre est traité en soliste et on croit souvent écouter de la musique de chambre. Les tutti sont peu nombreux et n'en prennent que plus de relief.
Dans le scherzo Allegro, très dynamique, on remarque la présence d'un piano très entreprenant, le mouvement est interrompu par un épisode méditatif, sorte de marche lente. Ce rôle du piano évoque Prokofiev qui incorpora le piano dans presque toutes ses symphonies (2).
Le mouvement suivant, lento, contraste par sa beauté mélodique, avec ce qui précède. On y entend constamment des allusions au prélude de Tristan et Isolde. Une inquiétude diffuse est perceptible dans ce morceau, mais les nuages s'estompent dans une conclusion apaisée.
Le finale est, à mon avis, le mouvement le plus original, il consiste en une alternance d'épisodes lents rappelant le mouvement précédents et d'épisodes rapides (allegro molto). Particulièement intéressant est cet épisode très calme où on entend les sonorités cristallines et pures du célesta dialoguant avec le premier violon. Dans les épisodes rapides, on admire la virtuosité dont fait déja preuve DSCH dans le maniement de l'orchestre, et c'est dans un feu d'artifice de couleurs sonores où l'on retrouve le piano très en vue que se termine l'oeuvre.
Cette oeuvre de jeunesse est très séduisante et porte en germe les éléments du style futur de DSCH, même si je crois y déceler l'influence de Prokofiev (2).
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mar 17 Juil - 21:23
Joachim a écrit:
Il faut reconnaître que les oeuvres de commande du pouvoir soviétique sont quelquefois magnifiques : connaissez vous le Chant des Forêts par exemple ?
Je viens d'écouter Le Chant des Forêts de Dmitri Chostakovitch. Je n'ai pas aimé: il y a quelques beaux passages mais noyés dans un flot de musique boursouflée et passablement pompière. En plus l'oeuvre est très longue et la péroraison finale, interminable.
Sujet: Symphonie n° 2 en si majeur Mer 29 Mai - 9:25
Dédiée à la révolution d'octobre 1917, la deuxième symphonie en si majeur, opus 14 de Dmitri Chostakovitch, fut composée et créée en 1927. D'une durée de dix sept minutes, c'est la plus courte des quinze. Elle comporte trois mouvements et se termine par un grand choeur mixte (1). Le texte suivant a déjà été présenté sous une forme un peu différente dans un autre forum.
Les premiers et deuxièmes mouvements frappent d'emblée par leur écriture atonale et leurs harmonies agressivement dissonantes. A cette époque, en réaction au Sacre du Printemps de Stravinsky (1913), de nombreux compositeurs rivalisent d'audace. Prokofiev, après son aimable première symphonie dite "Classique", écrit sa deuxième symphonie (1924-5) (2), son oeuvre la plus féroce (avec la suite Scythe). Bartok a déja composé son Mandarin Merveilleux (1918-9), un admirable mais très violent chef-d'oeuvre expressionniste (3). Il met en chantier son génial 3ème quatuor à cordes (1927). Alban Berg a terminé son opéra Wozzeck (1922) qui, avec Lulu est peut-être le chef-d'oeuvre de l'expressionnisme en musique, etc...
Dmitri Chostakovitch (DSCH, abréviation de son nom Dmitri Schostakovitch) ne pouvait rester à l'écart de cette tendance, c'est ainsi que j'interprête les audaces des deux premiers mouvements de cette symphonie. Dans le premier, Largo, les entrelacs polytonaux des cordes très divisées créent une ambiance envoutante et mystérieuse, très avant-gardiste. Le second mouvement, Allegro molto, donne une grande place aux bois puis à des cuivres très agressifs. Sur le texte d'Alexander Besimensky, DSCH écrit un troisième mouvement diatonique, tonal et postromantique qui contraste violemment avec ce qui précède. Ce 3ème mouvement, à la somptueuse sonorité, annonce le Chant des Forêts opus 81, oratorio composé bien plus tard en 1949 et n'est pas sans rappeler certaines pages chorales de de Mahler. On note dans l'instrumentation de ce mouvement l'intervention très prolétarienne d'une sirène d'usine.
On a reproché à DSCH l'hétérogénéité de style de cette symphonie. Le compositeur lui-même, conscient de certaines contradictions dans sa démarche, la désavoua plus tard ainsi que la troisième. Il n'en reste pas moins qu'aucune symphonie de DSCH ne peut laisser indifférent et que cette symphonie constitue un jalon passionnant dans l'évolution du compositeur.
La troisième symphonie en mi bémol majeur, Le Premier Mai, opus 20 a été composée par Dmitri Chostakovitch (DSCH) en 1930. Relativement courte, 30 minutes, elle comporte 7 mouvements. Dans le dernier mouvement, intervient un grand choeur mixte comme dans la symphonie précédente. La musique s'appuie sur un texte, Le Premier Mai, de Semyon Kirsanov. Les sept mouvements s'enchainent sans interruption mais on peut distinguer 4 sections.
La première section, composée des mouvements 1,2 et 3, a un tempo qui s'accélère constamment. Elle est introduite par un solo de clarinette et constitue une belle pièce orchestrale très contrapuntique qui, à mon humble avis, évoque Hindemith (1). La fin de la section consiste en une marche militaire parodique qui se disloque progressivement et se termine de manière assez inquiétante.
L'andante qui suit est au contraire homophone et consiste en une suite de belles cantilènes des violons dans un climat général assez calme. On y rencontre des alliages de timbres très intéressants entre les flûtes et les harmoniques des violons.
La troisième section est un allegro très dynamique et grandiloquent qui se termine de manière étrange par un roulement de timbales et de caisse claire au dessus desquels les cuivres dessinent une sorte de puissante mélopée ponctuée par de violents coups de grosse caisse.
Dans la quatrième section, nous assistons à un impressionnant dialogue entre les contrebasses et les gros cuivres parmi lesquels ressort un trombone particulièrement vaillant et un tuba contrebasse. C'est en fait une sorte de récitatif qui introduit le choeur final. Si on fait abstraction de la phraséologie révolutionnaire du texte dédié au 1er Mai, non dénué toutefois d'une certaine grandeur, je dois avouer que ce choeur sonne magnifiquement et donne une conclusion triomphale à l'oeuvre dont le climat général se veut optimiste et joyeux.
Beaucoup moins hardie que la symphonie précédente, elle possède beaucoup plus d'unité. Ce n'est pas ma préférée mais son audition procure beaucoup de plaisir. On peut dire que c'est la dernière des symphonies de "jeunesse" de DSCH. Rien dans ces trois oeuvres n'annonce l'incroyable choc provoqué par la quatrième.
(1) Toutefois, Hindemith a écrit la majorité de ses oeuvres les plus significatives après 1930.
Sujet: Symphonie n° 4 en ut mineur Sam 9 Nov - 22:51
Attention chef-d'oeuvre!
La Quatrième symphonie en ut mineur opus 43 fut composée en 1936. A cette époque Dmitri Chostakovitch (DSCH) avait déja écrit un opéra génial: Lady Macbeth du District de Mzensk (1932), un chef d'oeuvre expressionniste. Staline qui s'était déplacé pour assister au spectacle n'aima pas l'oeuvre et quitta la salle aux deux tiers du spectacle. Le lendemain la Pravda critiquait "le formalisme petit bourgeois de l'oeuvre..." avec une phraséologie plutôt inquiétante relayée par des déclarations franchement hostiles de proches du pouvoir en place. DSCH, la peur au ventre, remisa sa quatrième symphonie, diamant noir jumeau de l'opéra, dans un tiroir, où elle y resta durant 25 ans. En 1961, l'oeuvre fut donnée par l'orchestre philarmonique de Moscou sous la direction de Kyril Kondrachine.
D'une durée d'environ 60 minutes, c'est une oeuvre aux vastes propostions, nécessitant un énorme orchestre: 6 flûtes (dont 2 piccolos), 4 hautbois (dont un cor anglais), 6 clarinettes (dont une clarinette en mi bémol et une clarinette basse), 4 bassons (dont un contrebasson); 8 cors, 4 trompettes, 3 trombones, 2 tubas; timbales et percussions (grosse caisse, caisse claire, cymbales, triangle, bloc en bois, castagnettes, tam-tam, cloches tubulaires, xylophone, glockenspiel, célesta); 2 harpes; les cordes (1).
Elle comporte trois mouvements. Le premier, Allegretto poco moderato, est à lui seul une symphonie. L'analyse de cet admirable morceau est une tâche au dessus de mes compétences. Je me contenterai de dire qu'il comporte deux thèmes principaux et une mosaïque d'épisodes, les uns extrèmement violents associant tout l'orchestre et d'autres plus calmes et chantants n'impliquant qu'un nombre restreint d'instruments. Le début est électrisant et donne d'emblée le ton. C'est, à mon humble avis, la plus formidable introduction dans tout le corpus symphonique de DSCH. Le thème principal consiste ensuite en une marche vigoureusement scandée par les basses qui rapelle le début de la sixième symphonie de Mahler. Les allusions à ce dernier sont multiples dans cette symphonie et DSCH n'a jamais caché son admiration pour son prédécesseur mort en 1911. Le climax du morceau se situe en son milieu avec l'irruption d'une fugue diabolique et vertigineuse, suivie par un épisode d'une violence inouie dans lequel gros cuivres et une énorme percussion se déchainent. Après des passages plus subtils et délicats avec un second thème au rythme de valse, le mouvement se termine de manière extrêmement dramatique.
Le second mouvement, Moderato con moto, est un scherzo, contrastant avec ce qui précède par un ton beaucoup plus calme et son écriture polyphonique. Ce morceau est très attachant par la rigueur de sa construction. La fin du mouvement est très étrange et mystérieuse.
Le dernier mouvement, Lento, Allegro, est d'une taille équivalente au premier. Il débute par une marche funèbre quelque peu parodique et se poursuit avec un épisode rapide au rythme de valse. Changement complet de décors à la fin du morceau: annoncé par un terrifiant roulement de timbales et de grosse caisse, survient un puissant accord de l'orchestre au complet violemment dissonant (2). L'accord d'ut mineur, scandé de façon impitoyable par la batterie, va ensuite se maintenir aux basses jusqu'à la fin de l'oeuvre tandis que des objets sonores vont graviter de manière aléatoire, comme des électrons autour d'un noyau, jusqu'à la dernière note égrenée par le célesta qui se perd dans le vide sidéral.
Quelle conclusion extraordinaire!
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_œuvres_de_Dmitri_Chostakovitch (2) Comment ne pas penser à la fin de la 6ème symphonie de Mahler! (3) Cet article est la copie d'un compte rendu présenté dans le forum Ron3 consacré à Mozart.
Dernière édition par Piero1809 le Ven 30 Mai - 11:07, édité 1 fois
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Lun 24 Mar - 23:49
Cet article est tiré d'un compte rendu que j'ai fait dans le forum ron3 consacré à Mozart.
Composée en 1937, la 5ème symphonie en ré mineur opus 47 de Dmitri Chostakovitch (DSCH), est présentée comme "la réponse d'un artiste soviétique à de justes critiques". Elle a été jouée la première fois à Leningrad sous la direction de Evgeni Mravinski et eut d'emblée un grand succès populaire. Elle est indiscutablement beaucoup plus facile et moins révolutionnaire que la terrible symphonie n° 4. C'est d'ailleurs de nos jours probablement la plus connue de DSCH. Parmi les personnes qui n'aiment pas la musique du XXème siècle, beaucoup connaissent cette symphonie sans le savoir. En fait au delà d'une simplicité de façade, cette symphonie est aussi profonde que les meilleures parmi les quinze. D'une durée de 45 minutes, c'est une oeuvre imposante comportant les quatre mouvements de la symphonie classique.
Le premier mouvement, Moderato, est magnifique, c'est mon préféré des quatre. Il est basé sur deux thèmes. Le premier domine la scène et il me donne l'occasion d'évoquer Mozart. A mon humble avis, ce thème présente des analogies troublantes avec le début du sublime adagio et fugue KV 546. Les thèmes de WAM et de DSCH possèdent les mêmes rythme et caractère tragique et comportent tous deux un canon. Coincidence fortuite ou bien citation de la part de DSCH? Ce dernier, nous l'avons déja vu et le verrons par la suite est coutumier du fait. Le développement est particulièrement intense et grandiose. Alors que l'exposition et la réexposition sont essentiellement en demi-teintes, le fortissimo règne en maître dans le développement. Au point culminant le "woodblock" dont nous avons apprécié la ravageuse vigueur dans la 4ème symphonie, donne de la voix (si on peut dire). Un coup de tam-tam met fin au développement. Nous aurons l'occasion de souligner le rôle de cette percussion chez DSCH (1) pour marquer le sommet expressif d'une progression dramatique. Les conclusions sont souvent les moments les plus profonds chez DSCH. La coda de ce morceau ne déçoit pas: le mouvement se termine par un solo du premier violon qui plane dans les hauteurs les plus éthérées, bientôt repris par le célesta qui distille ses notes pures et cristallines.
Le deuxième mouvement est un scherzo sarcastique qui m'évoque de près le 2ème mouvement de la 6ème symphonie de Mahler. Un piano utilisé plutôt comme instrument de percussion intensifie le caractère grinçant du morceau. La dynamique de ce morceau au rythme impitoyable est interrompue en son milieu par un simple laender, qui apporte une note de répit dans ce mouvement.
Le troisième mouvement, Largo, est une sorte de Lamento. De l'aveu même du compositeur, il serait un hommage aux victimes du totalitarisme (2). On n'insistera jamais assez sur la simplicité et la discrétion des moyens employés par DSCH pour traduire les sentiments les plus profonds. Au milieu de ce morceau, on remarque des soli de clarinette puis de flûte simplement accompagnés par de très légers, quasi évanescents, trémolos des premiers violons pianissimo.
Le Finale, Allegro non troppo, est le mouvement le plus célèbre. Le thème principal est le morceau de DSCH le plus connu, plus encore que la fameuse valse de La Suite de Jazz, si on considère les droits d'auteurs perçus dans le monde. Il apparait en effet dans la musique du film Rollerball (3). Ce mouvement, aux deux thèmes magnifiques, très spectaculaire et d'une constante énergie se termine par une triomphale péroraison.
La cinquième symphonie a beaucoup d'atouts pour elle: -l'unité, une qualité très importante pour moi, on sent qu'un même souffle anime l'oeuvre, -la beauté mélodique des thèmes, -une architecture à la fois robuste et claire.
(1) Le Tam-Tam joue le même rôle chez Mahler, les interventions de cette percussion y sont rares mais toujours à propos. (2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Chostakovitch (3) http://fr.wikipedia.org/wiki/Rollerball_(film,_1975)
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Ven 19 Sep - 9:46
Dans mon introduction, j'avais dit que l'oeuvre de Dimitri Chostakovitch (DSCH) est inséparable du contexte géopolitique et des événements tragiques dans lesquels elle a été conçue. Dans ma succincte analyse des quinze symphonies, je me suis toutefois concentré sur la musique en constatant, une fois de plus, que cette dernière parle d'elle-même et offre déjà énormément d'indications et de pistes. Il est certain que les données géopolitiques ont probablement faussé le jugement des contemporains de DSCH et qu'au fur et à mesure que le temps s'écoule, il est possible d'avoir une vision plus claire et objective de certaines oeuvres baptisées trop vite "de circonstance".
Comme j'adore classer les compositions suivant mon goût, je vous livre mon choix très subjectif. Je me suis permis avec tout le respect que j'ai pour elles de classer les quinze symphonies de Dmitri Chostakovitch en trois catégories en répétant une fois de plus qu'il n'y a pas de symphonies ratées:
Les Chef-d'Oeuvres absolus, symphonies n°: 4, 8, 13, 14, 10. La quatrième en ut mineur se détache très nettement des quatre autres, je la trouve géniale, inouie et ne trouve pas mes mots pour décrire son caractère inventif, sa nouveauté et la grandeur du sujet qu'elle traite (l'Univers? comme le dit Mahler à propos de sa troisième symphonie). L'autre ut mineur (la huitième) vient ensuite et c'est justice, elle est sublime de bout en bout avec une Passacaille qui est un sommet dans l'oeuvre de DSCH. J'ai du mal à départager les trois autres, trop différentes les unes des autres mais vraiment toutes extraordinaires. La symphonie n° 10 qui est sans doute la plus jouée des symphonies de Chostakovitch, est devenu un grand classique.
Les symphonies n°: 7, 15, 5, 6, 11, 9. La septième en ut majeur Leningrad vient en premier en raison de son terrible premier mouvement, bien équilibré par un puissant finale et de beaux mouvements intermédiaires dont un magnifique scherzo. La quinzième est ciselée comme une pièce d'orfèvrerie. Les cinquième et sixièmes sont des prodiges d'équilibre et d'harmonie. Dans la grandiose onzième, il y a plein de passages géniaux, notamment quatre fantastiques minutes finales qui mériteraient le premier groupe, mais des moments un peu faciles ne permettent pas de la classer parmi les plus grandes. La neuvième est probablement sous évaluée et probablement gagnera des places dans le futur.
Les symphonies n°: 1, 12, 3, 2. A mon humble avis, la première et la douzième se détachent nettement. Si dans la première le génie de DSCH est clairement dévoilé, la douzième me parait également très réussie et d'une écoute extrêmement agréable. Les troisième et seconde constituent des jalons très intéressants de l'évolution de leur auteur.
Analyse des symphonies 6 à 15 à suivre!
Une version plus étoffée de ce texte a été publiée dans le forum Ron3.
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Jeu 25 Déc - 14:22
Symphonie n° 6 en si mineur Composée en 1939, la sixième symphonie en si mineur, opus 54, devait se terminer par une ode à la mémoire de Lénine (1). A la place de cette pièce de circonstances, Dimitri Chostakovitch (DSCH) composa un finale qui pour des raisons que nous verrons plus loin, dérouta ses auditeurs. De moyenne dimension (30 minutes), cette symphonie débute par un mouvement lent de quinze minutes suivi par deux mouvements rapides de six à sept minutes chacun.
Le premier mouvement est un magnifique Largo, ressemblant au mouvement lent de la symphonie n°5, mais avec une architecture plus apparente. On y distingue facilement trois sections. Dans la première section est exposé le thème principal. Ce dernier, très intense, est d'abord présenté à l'unisson par les cordes doublées par les cors. L'énoncé du thème est suivi par une puissante marche harmonique dans laquelle dominent les cordes, aboutissant à un sommet dramatique. A partir de là, débute un intermède basé sur un motif nouveau que des solistes (des bois surtout: cor anglais, hautbois, flûtes particulièrement actives, enfin célesta) vont interpréter de façon quasiment improvisée au dessus d'un murmure des cordes graves. Le thème nouveau passe finalement aux timbales et l'épisode se termine dans un climat très mystérieux et envoûtant. On assiste enfin au retour du premier thème dans une ambiance rendue encore plus sombre tandis qu'à la fin du morceau, les timbales font entendre un echo du second thème. On respire dans ce morceau un air particulièrement rarefié. Mis à part un forte à la fin du premier énoncé du thème principal, le mouvement se déroule constamment dans des nuances piano voire pianissimo et avec un nombre restreint d'instrumentistes. DSCH est beaucoup plus sobre que ses prédécesseurs (Tchaikovsky, Mahler) lorsqu'ils opérent dans un climat similaire.
Le deuxième mouvement, allegro, est un scherzo à la fois fantastique et sarcastique. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus, de la densité polyphonique, de l'incroyable dynamisme ou de l'extraordinaire virtuosité à tous les pupitres. Les bois et tout particulièrement la petite flûte sont à la fête. L'intermède central apporte une touche dramatique qui s'amplifie alors que le discours s'intensifie dans un puissant crescendo culminant avec un violent coup de tam-tam. Lors du retour du scherzo, le climat général semble moins assuré, plus instable et le mouvement se termine de façon très ambigüe.
Le Finale, presto, commence sur un mode léger et souriant avec un thème dans lequel on a vu un hommage à Rossini. On reconnait certes, le rythme initial d'un thème fameux de l'ouverture de Guillaume Tell mais on pourrait en dire autant de bien des passages d'autres compositeurs. Ce mouvement possède une structure ABA'C. Après une première partie qui s'amuse avec le thème en le soumettant à une pyrotechnie sonore, une deuxième partie basée sur un motif nouveau prend le relai dans un climat plus agité et véhément. dans lequel le xylophone apporte une touche grotesque. Après un retour écourté du premier épisode, survient une coda endiablée sur un motif syncopé, visiblement inspiré par le Jazz et le morceau se termine dans une ambiance de musique de cirque, sans sous-entendu péjoratif donné à ce terme. Ce mouvement est évidemment parodique et n'a rien à voir avec l'ode à Lenine annoncée !
J'aime beaucoup cette symphonie. Elle est peut-être la plus concentrée des quinze et ne contient ni temps morts, ni bavardage. De la musique avant toute chose, un Largo exceptionnel et à la fin un immense éclat de rire. C'est à ce moment que Joseph Haydn n'est plus très loin!
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Chostakovitch (2) Ce texte dérive d'un texte que j'ai publié auparavant dans le forum ron3.
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mer 26 Aoû - 21:40
Composée en 1942 par Dimitri Chostakovitch (DSCH) pendant le siège de Leningrad par l'armée allemande, la septième symphonie en ut majeur opus 60 connut un succès immédiat en URSS et aux Etats Unis. Les circonstances de sa composition sont détaillées par ailleurs (1).
La septième symphonie dure environ 70 minutes, c'est la plus longue des quinze. Elle comporte les quatre mouvements de la symphonie classique et est écrite pour un grand orchestre comprenant: 3 flûtes (dont un piccolo et une flûte alto), 2 hautbois, un cor anglais, 3 clarinettes (dont une clarinette piccolo), une clarinette basse, 2 bassons, un contrebasson, 8 cors, 6 trompettes, 6 trombones, un tuba, percussions (triangle, caisse claire, grosse caisse, cymbales, wood-blocks), xylophone, 2 harpes, piano et cordes (la partition prescrit un minimum de 16 premiers violons, 14 seconds violons, 12 altos, 10 violoncelles et 8 contrebasses (1).
Le premier mouvement Allegretto débute avec un thème chantant et chaleureux. La musique s'arrête et on entend au lointain un rythme de marche militaire scandé par la caisse claire (2). La musique militaire est d'abord jouée discrètement par la flûte, le volume sonore s'amplifie au fil des douze variations jouées chaque fois par un instrument différent à la manière du Boléro de Ravel. La marche devient de plus en plus menaçante et des contrechants très dissonants la déforment, , la rendent grimaçante, convulsive; dans les deux dernières variations, les mugissements hideux des gros cuivres qui évoquent la marche des tanks, glacent le sang. Je ne connais pas de musique plus terrifiante que celle-là. A cet épisode succède la bataille proprement dite, à grands renforts de batteries, de percussions et de cuivres; ce passage m'a déçu, je le trouve bruyant et sans originalité. On assiste au retour au calme avec le thème chantant du début et le mouvement s'achève pianissimo avec un écho lointain de la sinistre musique militaire, émise par un inoffensif cor anglais. Quelle belle conclusion!
Le deuxième mouvement, Moderato, est, à mon humble avis, un des scherzo les plus remarquables de DSCH. C'est en fait un Rondo de structure ABACAB'A. Après un refrain joué très simplement par les cordes, le premier intermède est annoncé par un rythme caractéristique (3) au dessus duquel s'élève un très beau chant du hautbois. Le deuxième couplet démarre hardiment avec une clarinette piccolo effrontée dans son registre suraigu; le glockenspiel puis les cuivres entrent dans la danse qui devient à la fois sauvage et grotesque. Après un bref retour du refrain, nous assistons à une reprise du premier intermède, moment le plus génial du mouvement. Le thème, naguère confié au hautbois est désormais cantonné dans les profondeurs d'une clarinette basse avec un accompagnement de harpe et de flûte alto jouant "flatterzunge" des notes graves. La sonorité de ce passage est phénoménale.
Le troisième mouvement, Adagio, a une forme assez originale, il débute par un choeur d'instruments à vents et se poursuit avec une sorte de récitatif très expressif confié aux violons. Dans la suite du morceau ces deux épisodes alterneront et seront interrompus par l'intrusion d'un intermède passionné impliquant d'abord les cordes puis les cuivres dans un climat de plus en plus exalté. A la fin du morceau le chant est confié à un contrebasson qui, accompagné par la harpe, donne une superbe conclusion à ce mouvement.
Le finale, Allegro ma non troppo, a de vastes proportions. Il comporte deux parties. La première partie est écrite dans un style plolyphonique. Elle débute par un fugato, d'abord aux cordes puis aux bois et enfin aux cuivres alors que le mouvement devient de plus en plus puissant et sauvage. Un thème nouveau intervient dans la deuxième partie, d'abord aux violons avec sourdine, il circule de pupitre en pupitre, altos, violoncelles, bassons, contrebasses, dans un impressionnant crescendo. Lorsque ce thème est clamé fortissimo par les six trombones, l'effet est d'une puissance incroyable. On s'achemine alors vers la fin de la symphonie avec le retour en force du thème initial du premier mouvement, rendu beaucoup plus agressif par les dissonances de l'accompagnement. C'est toutefois le thème nouveau du finale, toutes forces déployées, qui prend le dessus avec une rudesse impressionnante.
Cette grandiose conclusion n'est rien moins qu'optimiste. La victoire est en vue mais à quel prix?
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Chostakovitch (2) On dit souvent que Bela Bartok a parodié ce thème de marche dans son concerto pour orchestre de 1943 (4ème mouvement). Je dois avouer que je ne trouve pas de ressemblances entre le thème de DSCH et celui de Bartok. (3) Ce rythme me rappelle un lied (Revelge) du Cor Enchanté de l'Enfant de G.Mahler. (4) Ce texte a été publié dans le forum Ron3.
Joachim
Messages : 664 Points : 814 Date d'inscription : 20/08/2007 Age : 78 Localisation : Nord
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Dim 6 Sep - 10:44
Cette Symphonie n° 7 "Leningrad" est ma préférée des symphonies de Chostakovitch. A chaque fois que je l'écoute je suis tétanisé par cette marche implacable qui écrase tout sur son passage au point d'aboutir à un maelström musical. Comme tu le soulignes, Piero, Chostakovitch utilise un procédé analogue au Boléro de Ravel, avec une reprise du thème de marche d'abord insignifiant, qui ensuite prend de plus en plus d'extension au point de tout écraser.
Je pense que ce mouvement pourrait se suffire à lui-même sous le titre d'un poème symphonique intitulé par exemple L'Invasion et la Désolation. Les trois autres mouvements de la symphonie ne me paraissent pas très appropriés pour complèter cette sorte d'anéantissement musical. Ou alors, le quatrième mouvement devrait être cyclique, avec la victoire du thème ingénu du début sur la marche impitoyable.
Tu vois, Piero, je me permets d'aménager à mon idée l'oeuvre de Chostakovitch
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Dim 12 Juin - 8:45
Joachim a écrit:
Cette Symphonie n° 7 "Leningrad" est ma préférée des symphonies de Chostakovitch. A chaque fois que je l'écoute je suis tétanisé par cette marche implacable qui écrase tout sur son passage au point d'aboutir à un maelström musical. Comme tu le soulignes, Piero, Chostakovitch utilise un procédé analogue au Boléro de Ravel, avec une reprise du thème de marche d'abord insignifiant, qui ensuite prend de plus en plus d'extension au point de tout écraser.
Je pense que ce mouvement pourrait se suffire à lui-même sous le titre d'un poème symphonique intitulé par exemple L'Invasion et la Désolation. Les trois autres mouvements de la symphonie ne me paraissent pas très appropriés pour complèter cette sorte d'anéantissement musical. Ou alors, le quatrième mouvement devrait être cyclique, avec la victoire du thème ingénu du début sur la marche impitoyable.
Tu vois, Piero, je me permets d'aménager à mon idée l'oeuvre de Chostakovitch
Je te comprends parfaitement, Joachim. Comme tu le sais sans doute, je suis un admirateur de Puccini et en particulier de Tosca mais je suis déçu par la fin. Puccini sans doute fatigué reprend l'air fameux e lucevan le stelle au moment où Tosca se jette de la tour des Anges. C'est un contre sens: Cavaradossi et Tosca sont morts et c'est Scarpia le vainqueur, il aurait donc fallu terminer avec le thème de Scarpia qui ouvre l'opéra!
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Dim 12 Fév - 9:54
Requiem pour les Défunts de la Guerre
Parmi les quinze symphonies de DSCH, quatre ou cinq, AMHA, sortent du lot. La huitième symphonie en ut mineur opus 65 en fait partie (avec la quatrième évidemment).
Composée en 1943, c'est avec la septième, la 2ème symphonie de "guerre". Elle fut crée en par le chef Evgueni Mravinsky et obtint un succès mitigé.
D'une durée de 65 minutes environ, elle est écrite pour un orchestre symphonique classique comportant: 4 flutes (3ème and 4ème doublant des piccolos), 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes en mi bémol, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, grosse caisse, tambourin, cymbals, caisse claire, triangle, xylophone, tam-tam, and cordes(1).
L'adagio initial débute par un portique formé d'un thème, thème du Destin selon de nombreux commentateurs (1), qui va jouer un rôle majeur tout au long de la symphonie. Comme dans toute structure sonate, on remarque un second thème dont l'accompagnement très discret a un rythme caractéristique. Le développement est d'une intensité extraordinaire, alors que les bois entonnent le premier thème, les violoncelles font entendre de véritables sanglots dans un climat de désespoir total. Cette séquence est suivie par un intermède plus rapide, Allegro non troppo, dont le niveau sonore augmente d'intensité et qui aboutit à un climax consistant en trois terrifiants roulements de timbales, caisse claire et grosse caisse fortissimo tandis que retentit fortissimio le thème du début. Lors de la réexposition, on remarque un long solo de cor anglais simplement accompagné par de légères batteries de cordes pianissimo. Dans la coda (2) le thème du Destin est énoncé une dernière fois et on remarque une trompette bouchée qui envoie pianissimo un écho du thème initial et clot le mouvement.
Le deuxième mouvement, Allegretto, est un Scherzo. La dérision, le sarcasme, le grotesque font office d'écran pour masquer le désespoir ambiant. Ce morceau est basé sur un motif rythmique déduit du thème initial de l'oeuvre. Une partie centrale, un trio en somme, est remarquable par ses combinaisons sonores audacieuses, mélant les flûte, clarinette piccolos et la trompette bouchée. Et c'est la reprise du Scherzo, plus grimacant, plus torturé que jamais. Cet extraordinaire mouvement se termine génialement par un rappel du thème aux timbales solos.
Le troisième mouvement, Allegro non troppo, est le sommet sonore de l'oeuvre. Il est basé sur un ostinato implacable tour à tour aux cordes, à la batterie, aux cuivres, autour duquel s'articule des figurations dissonantes et sauvages, émises fortissimo par la clarinette piccolo, les trompettes, le xylophone et étayées par les percussions. Ce mouvement d'une grande violence se termine dans un cataclysme par trois terribles coups de tam-tam qui, sans transition s'enchainent au mouvement suivant (Largo) que je considère AMHA comme le sommet de l'oeuvre et peut-être du corpus symphonique de DSCH.
Le Largo est une passacaille dont le thème, énoncé d'abord par l'orchestre à l'unisson, dérive du thème principal de la symphonie. Le niveau sonore est ensuite constamment pianissimo, à la limite de l'audible. Dans les douze variations, le thème passe aux basses et devient fantomatique tandis que dans les var. 1 à 5, les autres cordes avec sourdines, dessinent des contre chants variés. Dans les variations suivantes, un cor, puis une flûte picolo font entendre leur voix et on arrive au moment le plus extraordinaire avec les bois jouant "flatterzunge" (3), c'est enfin les clarinettes qui prennent le dessus, dont une clarinette basse qui se prête admirablement au jeu quadruple pianissimo.
Le cinquième mouvement, Allegretto, est un Rondo dont le thème du refrain est très voisin de celui du Scherzo. Mais c'est ici une version adoucie, presque pastorale. L'intermède central est le plus développé, il commence par une fugue sur le thème du Rondo qui aboutit à un sommet émotionnel symétrique de celui du 1er mouvement (trois roulements de timbales, grosse caisse et caisse claire, renforcés par tout l'orchestre), avec une intensité encore accrue. On aboutit en fin à une coda sublime: sous les harmoniques des violons pppp, les pizzicatti des basses esquissent le thème du rondo qui se termine par un céleste accord d'ut majeur, apportant une lueur d'espoir. AMHA, je ne vois qu'un seul équivalent à cette fin: l'accord final en ut majeur de l'Ode Funèbre Maçonnique K 477 d'un certain Wolfgang Gottlieb Mozart.
Cette symphonie possède un atout maitre en plus de l'émotion intense qu'elle procure: une unité produite par la présence de ce thème du Destin qui parcourt toute l'oeuvre. Elle se situe dans la lignée des grandes symphonies en ut mineur romantiques: la 5ème de Beethoven, la 1ère de Brahms, la 8ème de Bruckner et la 2ème de Mahler. Mais chez DSCH, il n'y a pas de finale triomphal alla Beethoven, pas de chevauchées de Walkyries grandioses (finale de la 8ème de Bruckner), pas de Résurrection comme chez Mahler, mais un simple accord d'ut majeur pianissimo.
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mer 6 Déc - 9:55
9ème symphonie en mi bémol majeur opus 70
On attendait de Dmitri Chostakovitch (DSCH) une grande oeuvre triomphale avec solistes et choeurs pour commémorer la victoire soviétique (1,2), DSCH composa en 1945 une symphonie de 23 minutes en cinq mouvements très courts et fortement parodiques. Une fois de plus, il fait un pied de nez aux autorités et s'attire leurs foudres, entrainant à partir de 1948 et jusqu'en 1955, l'interdiction de jouer l'oeuvre.
Au sommet de son art, DSCH évacue momentanément tout pathos et s'amuse à écrire dans une veine néoclassique cultivée volontiers par son collègue Serge Prokofiev.
Le premier mouvement, allegro, est une structure sonate à deux thèmes au ton délibérément léger et primesautier. Les choses se gâtent quelque peu dans le développement où d'inquiétants fantômes d'un passé récent semblent resurgir mais tout se calme et une coda conclut alla breve ce spirituel mouvement.
Le deuxième mouvement, Moderato, est un Rondo. Il débute par une belle cantilène de la clarinette relayée par la flûte, suivie par un couplet basé sur un magnifique thème nostalgique aux cordes qui m'évoque la manière de Francis Poulenc. Retour du refrain et nouveau couplet qui n'est autre qu'une variante du premier. A la fin, couplet et refrain s'unissent dans une poétique coda.
Le troisième mouvement Presto est un bref et pétillant scherzo.
Le mouvement suivant, Largo, ressemble, à son début, à ces grands adagios qui ouvrent de nombreuses symphonies de DSCH. Il commence par un appel dramatique des trombones à l'unisson auxquels répond un basson dans son registre aigu. Nouvel appel des trombones et nouvelle réponse du basson qui sans transition enchaine le mouvement suivant. A mon humble avis, ce morceau est parodique. Si DSCH a voulu envoyer un signe ou un clin d'oeil, l'auditeur moyen dont je fais partie, ne l'a pas perçu.
Le dernier mouvement Allegretto démarre innocemment aux cordes piano par un thème léger mais possédant une énergie latente, un deuxième thème moqueur lui répond et les deux thèmes sont combinés dans un développement impétueux, dans lequel des ombres maléfiques semblent rôder. Les deux thèmes prennent de l'assurance dans la réexposition dont le ton devient de plus en plus débridé jusqu'à évoquer la musique de cirque. La fin du morceau est éblouissante comme toujours chez DSCH.
Pour porter un jugement équitable vis à vis de cette symphonie, il faut la mettre à part et l'évaluer selon ses qualités propres sans la comparer avec les symphonies précédentes ou à venir.
Beauté des thèmes + humour décapant + solidité de l'écriture + orchestration éblouissant = 23 minutes de bonheur.
(1) Il ne faut pas oublier la magie du chiffre neuf chez les grands symphonistes du passé. (2) http://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._9_%28Shostakovich%29
Haydn Administrateur
Messages : 166 Points : 86 Date d'inscription : 07/08/2007
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Ven 8 Déc - 21:56
Si vous comprenez l'anglais, cette analyse de la 9ème par Bernstein va vous réjouir.
La symphonie est clairement un pied de nez signé dans tous les mouvements. Notamment le 4ème mouvement cite la 9ème de Beethoven (basson) et la 9ème de Mahler (basson) avant de glisser vers le provocateur et ironique dernier mouvement ! Le premier mouvement tourne la guerre en dérision notamment avec cette marche à la caisse clair et le pompeux cuivre qui rentre toujours en retard. Le second mouvement a des relents fantomatiques typiquement Chostakovich, comme une sorte d'élévation fantomatique éthérée pour échapper à la machinerie infernale de la guerre. Il y a le renoncement à l'illusion dans ce mouvement mêlant la vacuité et la réalité froide de la cruauté de la vie. Le Presto 3ème mouvement est lui même un pied de nez à cette fatalité et à la vacuité, pareil là une sorte d'élévation pour continuer à être heureux malgré l'horreur qui plane. Et pour rejoindre encore la 15ème symphonie, sa conclusion dans la toute fin du dernier mouvement (15ème symphonie) est selon moi du même registre : "Adieu monde vain, soyons heureux néanmoins"
Haydn Administrateur
Messages : 166 Points : 86 Date d'inscription : 07/08/2007
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mer 9 Mai - 14:50
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mer 16 Mai - 21:57
10ème symphonie en mi mineur opus 90 (DSCH)
La 10ème symphonie fut achevée en décembre 1953 peu de temps après la mort de Staline. Elle fut crée par Evgueni Mravinsky. Je me suis permis de l'appeler DSCH du fait qu'un de ses thèmes (D = ré, S = mi bémol, C = do, H = si) est formé par les initiales du compositeur(1).
Elle comporte quatre mouvements, le dernier étant précédé par une introduction lente, et dure près d'une heure. Son plan est voisin de celui de la huitième, mais concernant le fond, elle n'a ni l'apreté ni le caractère désespéré de sa devancière. C'est une oeuvre de musique pure qui malgré de nombreux passages sombres et tendus, possède AMHA un caractère globalement optimiste.
Le grandiose premier mouvement (25 minutes), Moderato, a le même plan que celui de la huitième symphonie. Il débute par un portique dans lequel apparait un thème qui va figurer dans une grande partie de l'oeuvre. Les deux thèmes de la structure sonate classique sont ensuite présentés, le premier est un admirable chant de la clarinette d'une intensité extraordinaire tandis que le second est chanté par la flûte. Ces deux thèmes sont combinés dans un développement colossal de plus en plus passionné et véhément qui culmine, comme il se doit dans ce type de mouvement, par trois formidables coups de tam-tam tandis que retentit fortissimo le thème du "portique". Le mouvement se termine dans le calme par une très belle coda qui donne à la petite flûte le rôle principal.
Le second mouvement, Allegro, est du même type que le 3ème mouvement de la 8ème symphonie. Même rythme implacable, même violence. D'aucuns ont vu dans ce mouvement un portrait de Staline (2). La puissance inouie et le dynamisme de ce morceau en font un des mouvements les plus spectaculaires du compositeur. Le thème principal est dérivé du thème du "portique".
C'est un Rondo, allegretto, qui tient lieu de troisième mouvement. Le thème du refrain est dérivé du thème du "portique" de l'oeuvre, soulignant l'unité exceptionnelle de cette symphonie. Dans le premier couplet se trouve énoncé pour la première fois le thème DSCH, répété tel un ostinato, pendant toute la séquence. Un thème nouveau, clamé par les quatre cors à l'unisson, apparait dans le deuxième couplet. Ce thème présente une ressemblance certainement non fortuite avec le thème initial entonné par quatre cors également, du Chant de la Terre de Gustave Mahler (2). Le troisième couplet est un puissant développement sur les thèmes DSCH et le thème "Mahler". Après un ultime retour du refrain, une coda magique combine les trois thèmes du morceau et termine ce splendide mouvement dans une ambiance mystérieuse.
Le quatrième mouvement, Allegro, est précédé par une introduction (Andante) magnifique aux harmonies très recherchées. Il débute par un thème joyeux plein d'énergie latente. Le second thème est une danse géorgienne (Gopak) au rythme assez sauvage. Le puissant développement est de plus en plus agité, il culmine avec le retour du thème DSCH fortissimo suivi par un fantastique coup de tam-tam, scenario identique à celui mis en oeuvre dans le finale de la huitième symphonie, à la différence près que le présent mouvement s'achève dans un climat d'optimisme et de force joyeuse.
Cette symphonie a tout pour elle: splendeur de l'inspiration, rigueur de la forme, unité d'airain. Elle figure avec la quatrième et la huitième parmi mes préférées.
Messages : 166 Points : 86 Date d'inscription : 07/08/2007
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Mar 22 Mai - 12:14
Piero1809 a écrit:
10ème symphonie en mi mineur opus 90 (DSCH)
La 10ème symphonie fut achevée en décembre 1953 peu de temps après la mort de Staline. Elle fut crée par Evgueni Mravinsky. Je me suis permis de l'appeler DSCH du fait qu'un de ses thèmes (D = ré, S = mi bémol, C = do, H = si) est formé par les initiales du compositeur(1).
Elle comporte quatre mouvements, le dernier étant précédé par une introduction lente, et dure près d'une heure. Son plan est voisin de celui de la huitième, mais concernant le fond, elle n'a ni l'apreté ni le caractère désespéré de sa devancière. C'est une oeuvre de musique pure qui malgré de nombreux passages sombres et tendus, possède AMHA un caractère globalement optimiste.
Le grandiose premier mouvement (25 minutes), Moderato, a le même plan que celui de la huitième symphonie. Il débute par un portique dans lequel apparait un thème qui va figurer dans une grande partie de l'oeuvre. Les deux thèmes de la structure sonate classique sont ensuite présentés, le premier est un admirable chant de la clarinette d'une intensité extraordinaire tandis que le second est chanté par la flûte. Ces deux thèmes sont combinés dans un développement colossal de plus en plus passionné et véhément qui culmine, comme il se doit dans ce type de mouvement, par trois formidables coups de tam-tam tandis que retentit fortissimo le thème du "portique". Le mouvement se termine dans le calme par une très belle coda qui donne à la petite flûte le rôle principal.
Le second mouvement, Allegro, est du même type que le 3ème mouvement de la 8ème symphonie. Même rythme implacable, même violence. D'aucuns ont vu dans ce mouvement un portrait de Staline (2). La puissance inouie et le dynamisme de ce morceau en font un des mouvements les plus spectaculaires du compositeur. Le thème principal est dérivé du thème du "portique".
C'est un Rondo, allegretto, qui tient lieu de troisième mouvement. Le thème du refrain est dérivé du thème du "portique" de l'oeuvre, soulignant l'unité exceptionnelle de cette symphonie. Dans le premier couplet se trouve énoncé pour la première fois le thème DSCH, répété tel un ostinato, pendant toute la séquence. Un thème nouveau, clamé par les quatre cors à l'unisson, apparait dans le deuxième couplet. Ce thème présente une ressemblance certainement non fortuite avec le thème initial entonné par quatre cors également, du Chant de la Terre de Gustave Mahler (2). Le troisième couplet est un puissant développement sur les thèmes DSCH et le thème "Mahler". Après un ultime retour du refrain, une coda magique combine les trois thèmes du morceau et termine ce splendide mouvement dans une ambiance mystérieuse.
Le quatrième mouvement, Allegro, est précédé par une introduction (Andante) magnifique aux harmonies très recherchées. Il débute par un thème joyeux plein d'énergie latente. Le second thème est une danse géorgienne (Gopak) au rythme assez sauvage. Le puissant développement est de plus en plus agité, il culmine avec le retour du thème DSCH fortissimo suivi par un fantastique coup de tam-tam, scenario identique à celui mis en oeuvre dans le finale de la huitième symphonie, à la différence près que le présent mouvement s'achève dans un climat d'optimisme et de force joyeuse.
Cette symphonie a tout pour elle: splendeur de l'inspiration, rigueur de la forme, unité d'airain. Elle figure avec la quatrième et la huitième parmi mes préférées.
Superbe présentation d'une de mes symphonies favorite de Chostakovitch. C'est avec la 5ème la symphonie la plus interprétée. Je suis allé voir l'interprétation de Andris Nelsons en live à la Philharmonie de Paris en Septembre 2015. Parmi les versions à connaître, il y a celle de Mitropoulos, disponible sur YouTube et celle de Karajan. Il y a les versions filmées de Haitink et de Solti, elles aussi disponibles sur YouTube. Il y a encore deux versions très bien interprétées par deux orchestres de jeunes dont une notamment dirigée par Gergiev lors des 'Proms', disponibles aussi sur YouTube. Je connais une bonne dizaine de versions différentes de cette symphonie. Une œuvre riche dont je ne me lasse pas des différentes interprétations car le caractère et le phrasé y est assez subjectif.
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Jeu 28 Mar - 9:03
11ème symphonie en sol mineur, l'Année 1905, opus 103.
Volte face de DSCH, après les 8, 9 et 10èmes symphonies, oeuvres de musique pure, le compositeur revient à la musique à programme et quel programme: une évocation de la première révolution russe à travers quatre épisodes de cette dernière, chacun illustré par un ou plusieurs chants révolutionnaires.
La tâche était redoutable. Contrairement aux oeuvres précédentes où une architecture solide guidait la pensée et l'inspiration, dans le cas présent les formes classiques ne sont plus utilisables et ce sont les chants révolutionnaires qui constituent le fil conducteur. Le matériel thématique étant imposé, le danger était grand que l'inspiration et l'imagination s'en trouve bridée, gênée aux entournure. Là où un très bon compositeur du temps aurait conçu une oeuvre grandiloquente et boursouflée, un génie comme DSCH réussit à nous émouvoir avec une oeuvre puissamment évocatrice.
La 11ème symphonie connut un grand succès en URSS lors de sa création par Evgueni Mravinski à Leningrad mais fut vilipendée à l'Occident en partie pour cause de guerre froide. Le contexte politique évoluant, la renommée de l'oeuvre grandit et cette dernière est maintenant considérée comme un grand classique de son auteur.
Premier mouvement. La Place du Palais, Adagio. Tout ce morceau au tempo très lent est basé sur une suite d'accords mystérieux pp des cordes en sourdine, ponctués par la harpe, utilisée comme instrument de percussion et terminés par une suite de coups de timbales et de sonneries lointaines de trompettes (1). C'est alors qu'aux flûtes apparait le premier chant révolutionnaire accompagné par des figurations lancinantes des timbales. Ces deux épisodes vont ensuite alterner plusieurs fois. Le mouvement se termine par les accords du début encore plus étranges et les appels des trompettes.
Deuxième mouvement. Le 9 Janvier, Allegro. Le deuxième chant révolutionnaire (2) retentit avec un accompagnement très agité aux basses. Ce thème domine la première partie du mouvement et atteint un sommet d'intensité. La fin de l'épisode avec caisse claire et pizzicati des cordes se déroule dans le calme. Un choeur d'instruments à vents retentit avec au loin trompettes et timbales. Puis brutalement démarre une fugue jouée marcatissimo, au talon, par les cordes, puis par l'orchestre entier pour atteintre un climax impressionnant: les gros cuivres jouent des gammes chromatiques sinistres, puis de sauvages glissandi, les timbales se déchainent. Le bloc de bois imite le crépitement des coups de fusils, le tam-tam intervient massivement tandis que le chant révolutionnaire n°2 retentit ff aux trompettes. Tout s'arrête brusquement et on retrouve pianissimo le début de la symphonie mais avec plus d'intensité, un glockenspiel double la harpe et apporte une note supplémentaire de mystère. Cette fin est très belle.
Troisième mouvement. In Memoriam, Adagio. Sur les pizzicati des cordes s'élève le troisième chant révolutionnaire, un chant funèbre très simple à la mémoire des victimes de la répression. Un nouvel épisode sinistre survient: il débute avec des grondements époustouflants des clarinettes basses et atteint un maximum d'intensité avec un quatrième thème clamé ff aux trombones et tubas et scandé par de violents coups de tam-tam. Tout se calme et le morceau se termine avec le troisième chant revolutionnaire pp aux cordes.
Quatrième mouvement. Tocsin, Allegro non troppo. Il débute avec une spectaculaire sonnerie aux trompettes qui ouvre un mouvement très dynamique et incisif ressemblant au 2ème mouvement de la 10ème symphonie. Le retour du troisième chant révolutionnaire apporte un instant de calme.. Enfin cette séquence se termine avec le chant émouvant d'un cor anglais puis d'un hautbois solistes au dessus des accords mystérieux du début de la symphonie. Tout s'arrête et alors commence la plus extraordinaire coda qu'on puisse imaginer: sinistre tam-tam-, timbales, caverneuses clarinettes basses entrent en scène, les gros cuivres clament, toutes forces déployées, les chants révolutionnaires rendus méconnaissables par la polytonalité. Le xylophone et les cloches tubulaires apportent leur contribution à cette scène cataclysmique, veritable scène de fin du monde.
J'ai eu beaucoup de mal avec cette symphonie au début. Avec un peu de recul je crois découvrir son architecture et percevoir son sens caché. Les quatre dernières minutes sont essentielles et figurent parmi les plus extraordinaires passages de DSCH. Comme dans la fin du Crépuscule des Dieux, c'est un puissant raccourci de toute l'oeuvre qui est résumée devant nous.
Messages : 664 Points : 814 Date d'inscription : 20/08/2007 Age : 78 Localisation : Nord
Sujet: Re: Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) Jeu 4 Avr - 21:21
Cette symphonie n° 11 date de 1957, bien après la mort de Staline (1953).
Ça m'étonnerait que le 4ème mouvement, avec ses chants révolutionnaires déformés, aurait plu au "petit père des peuples". Son successeur Nikita Khrouchtchev était beaucoup plus "cool" comme on dit maintenant.