Il Fanatico Burlato, commedia per musica, musique de
Domenico Cimarosa, livret de
Saverio Zini, fut crée à Naples au printemps 1787 au théatre del Fondo. L'oeuvre connut une carrière plus qu'honorable et fut représenté dans plusieurs capitales européennes dont Paris avec comme titre l'
Entiché de noblesse dupé (1791). Selon certaines sources, elle fut inscrite au répertoire d'Eszterhazà et fut dirigée par
Joseph Haydn (1). Les qualités que nous avons appréciées dans
Il Marito disperato de 1785, nous les trouvons encore dans ce nouveau chef-d'oeuvre avec peut-être un surplus de profondeur.
Argument. Pour satisfaire son besoin de noblesse, Don Fabrizio s'est autoproclamé Barone del Cocomero (2) . Pour être comblé, il souhaite pour sa fille, Doristella, un mariage avec un vrai noble. Justement le comte Romolo, un romain, est tombé amoureux de Doristella et est en route vers Naples pour l'épouser. Malheureusement pour lui, Doristella s'est entichée de Lindoro, un vagabond sans le sou. Grâce à un déguisement, Lindoro se fait passer pour le comte et présente Fabrizio comme le grand père de Doristella, il donne ensuite des leçons de bonnes manières françaises. Afin d'échapper aux desseins de son père, Doristella s'enfuit et se cache dans une cabane de berger, Lindoro s'enfuit également de son côté. Les fugitifs qu'on croit être des voleurs sont attrapés par Fabrizio et le vrai comte Romolo et on s'aperçoit avec stupeur qu'il s'agit de Doristella et du faux comte. Romolo a compris la situation et chevaleresquement renonce à ses projets matrimoniaux. Il s'associe à Lindoro pour punir Fabrizio et dans ce but tend un piège à ce dernier. Lindoro se déguise en grand Scaratafax, Prince des Iles Moluques et demande à Fabrizio la main de sa fille, en échange Fabrizio sera nommé Grand Mammaluco et deviendra ainsi un grand dignitaire de la cour. Fabrizio, ébloui, accepte et le mariage du grand Scaratafax et Doristella est proclamé. Les espoirs de Fabrizio s'évanouissent quand il découvre la supercherie (3).
Style. Le livret contient la plupart des ingrédients susceptibles de plaire au public de l'époque. Les
conflits de générations,
le retour à la nature et l'
exotisme font oublier le caractère stéréotypé des caractères et des situations. Cimarosa en tira le meilleur partie possible. On peut dire que la musique transcende le livret et que Cimarosa se trouve dans une position semblable à celle de
Joseph Haydn qui composa une musique sublime sur des livrets au mieux moyens. En effet Cimarosa va ici plus loin que dans ses opéras précédents en donnant à l'
orchestre un rôle inusité jusque là. Dès les premières mesures de la sinfonia, les
clarinettes donnent à l'orchestre une coloration romantique très attachante. Dans certains ensembles, l'orchestre ne se contente plus d'accompagner mais devient un
acteur principal du drame qui se joue. Les deux actes sont terminés par de
longs finales mais de plus parcourus par deux
vastes ensembles qui, à mon avis, sont les sommets dramatiques de l'opéra. Ainsi les airs quoique très remarquables, ne sont plus les moteurs de l'action (ils la ralentiraient plutôt), ce rôle est maintenant dévolu aux ensembles. Ces derniers sont enfin bien plus polyphoniques que par le passé.
Les sommets: tout serait à citer dans cet opéra.
ActeI
L'air de Doristella, scène 2, "
Va tra l'erbe, tra le piante...". Air de type pastoral où Doristella exprime son vague à l'âme en évoquant la beauté de la nature. Le folklore napolitain est perceptible dans cet air.
Le magnifique ensemble, scène 5, "
Tutto pien di reverenzia". Lindoro, déguisé en comte, donne des leçons de bonnes manières françaises à Doristella sous le regard admiratif de Fabrizio. Cette scène utilise deux ariettes françaises dont voici le début de l'une d'entre elles: "
La charmante fille, elle fait l'amour (4), et le veillard reste enchanté...". La musique d'abord très calme, devient plus agitée au fur et à mesure de l'excitation croissante des trois personnages. A la fin Doristella dit:"
Arrêtez, la tête me tourne, je vais tomber...", l'orchestre démarre un
fugato, repris par les trois voix tout à fait inattendu dans un opéra de Cimarosa, qui exprime parfaitement l'
agitation quasi frénétique qui saisit les personnages.
Le remarquable finale "
Che faro che mi risolvo?" composé d'épisodes à la chaine du même type que ceux que Joseph Haydn composa bien avant dans la
Fedelta premiata (1780). Le plus dramatique d'entre eux est le magnifique quintette "
Papà mio caro e bello", un
vaudeville dans lequel chaque protagoniste, quittant son déguisement, y va de son couplet: Doristella désigne Lindoro comme le vrai le comte; Giannina s'exclame: le comte est celui-là, montrant du doigt Romolo; Lindoro se prétend le seul comte; l'authentique comte c'est moi, dit Romolo à son tour; et Fabrizio exclame son désarroi:
la fille n'est pas la fille, l'époux n'est pas l'époux,le comte n'est pas le comte, Fabrizio n'est plus Fabrizio. Dans l'ensemble final la métaphore d'une sinistre forêt dans une nuit noire est utilisée pour exprimer la confusion de tous.
Acte II
L'air de Doristella précédé d'un récitatif: "
Fra queste ombrose piante..."Doristella s'est enfuie dans une cabane située en pleine nature et bercée par les bruits des feuilles et le chant des oiseaux, s'endort. On a ici un remake d'une scène fameuse de
La Cecchina de
Nicolà Piccinni. La musique de Cimarosa est aussi inspirée et poétique que celle de son ainé. L'air qui ne dure pas plus d'une minute est inspiré du folklore napolitain.
L'ensemble "
Dove son, di gelo io resto" est à mon humble avis le
sommet de l'opéra. Rarement Cimarosa aura écrit musique aussi puissante. Fabrizio et le Comte viennent de s'apercevoir que les deux brigands qu'ils avaient aperçus n'étaient autres que Doristella et Lindoro. Chaque protagoniste exprime son émotion, son désarroi ou sa colère de façon indépendante grâce à une
superbe écriture polyphonique et de troublantes modulations.Avec le finale de l'acte et de la pièce, on change complètement d'atmosphère et c'est à une
irrésistible turquerie à laquelle nous sommes conviés. L'ambiance est totalement bouffonne et même loufoque mais la musique ne perd pas ses droits et on reste confondu par la beauté sonore du quintette vocal qui répète sans cesse les vocables:"
Michirimochiera babalasi, totomo chiochiera Mammaluchi" Le mariage de Lindoro et Doristella est proclamé et les acteurs expriment leur jubilation dans un
prestissimo absolument délirant pendant que Fabrizio donne libre court à son désespoir et ses imprécations. Quand les dernières mesures ont retenti, c'est un sentiment de trouble qui envahit le spectateur de cette farce amère.
(1) Dossier complet concernant l'Olimpiade de Cimarosa, pp. 89.
http://www.teatrolafenice.it/public/libretti/16_8550olimpiade_dc.pdf(2) Cocomero = pastèque
(3) Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, Greenwood Press, 1999.
(4) Elle se fait courtiser.
(5) Yonel Buldrini, Hommage à Domenico Cimarosa, Forum opera, 2002