Composé en 1778,
L'Italiana in Londra, Melodramma giocoso de Domenico Cimarosa (1) sur un livret de
Giuseppe Petrosellini fut représenté au Théatre Vallé à Rome en décembre de la mâme année. Le succès fut immédiat et l'opéra fit rapidement le tour de l'Europe.
Joseph Haydn le monta à Ezsterhaza en 1783 et le fit représenter de nouveau en 1787. Il ne semble pas que cet opéra fut modifié à cette occasion, en tous cas, à ma connaissance, aucun air d'insertion ne fut composé par Haydn pour cet opéra.
Synopsis.
Livia est hébergée à Londres sous le nom de Mademoiselle Errichetta par
Madame Brilliante.
Milord, comte d'Arespingh lui a promis jadis le mariage mais sous la pression de son père, a du y renoncer pour cause de mésalliance. Livia qui est italienne et n'est pas noble, est également courtisée par
Don Polidoro, un riche napolitain pas très futé et par
Sumers, un puissant négociant hollandais. Ce dernier est suffisemment lucide pour ne pas se faire d'illusions et décide de veiller paternellement au destin de Livia. Par contre Don Polidoro se berce d'espoirs. Madame Brillante se désespère de l'indifférence à son égard de tous ces beaux partis et imagine un stratagème pour piéger Don Polidoro. Elle fait briller une pierre précieuse appelée
Elitropia qui rend invisible et, à Don Polidoro qui se plaint de ne jamais voir Livia, elle dit que cette dernière, grâce à l'Elitropia est toujours présente à ses côtés de façon discrète. Don Polidoro est sur un nuage. Entre temps, Milord a obtenu de son père l'autorisation de convoler en justes noces avec Livia. Au moment où cette dernière est prête à retourner en Italie avec l'aide de Sumers, Milord se déclare sans ambiguité à Livia, Don Polidoro se console avec Madame Brillante et Sumers se réjouit du bon travail accompli. L'union des deux amoureux peut donc se faire dans la liesse générale.
Le Style. Le livret avait tout pour plaire: il oppose clairement l'
aristocrate arrogant et oisif (Milord) au
bourgeois laborieux (Sumers) dont la puissance économique ne cesse de croître. De même l'amour partagé surmonte les difficultés, les conventions et toutes sortes de barrières sociales.
En ce qui concerne la musique, l'
Italiana in Londra est à
Armida immaginaria (1777), pour
Cimarosa, ce que
La Frascatana est à
Socrate immaginario (1775), dans le cas de
Paisiello. Après un pastiche d'opéra seria, tout imprégné de la réforme de
Calzabigi,
Gluck et
Traetta, les deux compositeurs napolitains écrivent une oeuvre toute différente. Comme
La Frascatana,
L'Italiana in Londra est une suite de récitatifs secco et d'airs. De ce point de vue la fantaisie et la folie qui régnaient dans
Armida immaginaria laissent place à un classicisme à la limite conventionnel. De plus l'orchestration devient rudimentaire, la première place revient aux violons et les vents sont réduits à la portion congrue. Tout l'intérêt va donc se concentrer dans les
ensembles qui terminent les deux actes.
Les Hits. Comme on l'a vu dans le cas de la
Frascatana de Paisiello, les airs très nombreux donnent une impression de relative monotonie. Généralement courts, leur
fixité tonale est frappante. les modulations ne quittent pas la dominante ou la sous dominante et on s'aventure rarement dans le mode mineur. Toutefois ces airs ont une noblesse et une intensité frappantes.
Parmi ceux-ci, j'ai préféré
Au premier acte:
l'air de Livia "
Straniera abbandonata..." donne de façon saisissante un portrait de cette femme fière et indomptable.
l'air de Milord "
Sire: io vengo à vostri piedi". Milord promet qu'il ira chez le roi demander la main de Livia! Malgré ses défauts, sa suffisance, sa morgue, Milord parait dans cet air sincèrement épris de Livia et exprime ses sentiments de manière très passionnée.
Au second acte:
Don Polidoro "
O che gusto, che piacere..." forme avec Madame Brillante un couple comique original. Dans cet air débridé, il imagine toutes les facéties qu'il pourra faire en se rendant invisible avec l'
Elitropia.
Livia a, à son actif, un récitatif accompagné et un grand air "
Dunque per un infido..." qui ne dépareraient pas un opera seria: A la fin de l'air la répétition d'un motif musical donne à la musique un côté incantatoire typique de nombreux airs de cet opéra.
Comme on l'a déjà dit l'intérêt musical et dramatique se concentre dans les
deux finales d'actes. Celui de
premier acte est particulièrement important, il dure près de dix sept minutes (120 pages de partition) (2). Il commence dans un tempo modéré et finit
prestissimo au fil d'une impressionnante acceleration frénée en son milieu quand Don Polidoro chante une
sérénade napolitaine authentique, seul morceau écrit dans un ton mineur. Dans la scène ultime, afin de traduire le désarroi qui saisit tous les protagonistes, Giuseppe Petrosellini utilise la métaphore des occupants d'un navire surpris par une violente tempête: "
Son qual nave in mar turbato; fra l'orror della tempesta: sussurrar il nembo io sento; cresce l'onda, cresce il vento, e piu speme il cor non ha" (3). En dépit d'un très petit orchestre plus les cinq passagers du navire en déroute, cette scène ultime est d'une rare puissance.
Le Finale du second acte est plus conventionnel avec son "happy end" mais réserve aussi quelques beaux numeros très enlevés.
L'Italiana in Londra me semble être un jalon important sur la route qui mène aux chefs-d'oeuvre que sont Le Trame deluse (1786) et Il Matrimonio segreto (1792).
(1)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/domenico-cimarosa-1749-1801-t206.htm(2) Lorenzo Tozzi, Notice (en italien et anglais) de l'
Italiana in Londra, Incisione Bongiovanni, 1986.
(3) Je suis comme un navire dans une mer démontée; dans l'horreur de la tempête; J'entends sussurer les nuées; les vagues se creusent, le vent mugit, et le coeur a perdu tout espoir.