Lisant l'ouvrage de Charles Rosen sur le style classique, parfois péremptoire mais souvent passionnant, je perçois peu à peu la définition qu'il en donne : il semble s'agir pour lui d'un stade où la forme et le matériau mélodique deviennent étroitement liés. Pour lui le principal véhicule du style classique est la forme sonate, le passage de la tonique à la dominante, puis le retour à la tonique conditionnant maints types d'expression en ce qu'il habitue l'auditeur à une certaine direction du discours musical. Il critique à juste titre la façon dont est appréhendée la forme sonate au 19ème siècle, soulignant que la forme est modifiée par les compositurs en fonction des nécessités expressives, et qu'on a tort de parler d'"irrégularités" dans la forme, la "structure" ne pouvant se dégager qu'a posteriori des œuvres composées. Pour se persuader des insuffisances de la description classique de la forme sonate, il suffit de se rappeler que Haydn n’utilise souvent qu’un seul thème, et que, même lorsqu’il en utilise plusieurs, il signale généralement la modulation à la dominante par le premier thème répété dans son nouveau contexte ; que Mozart préfère mettre en valeur le passage à la dominante par un thème entièrement neuf (il lui arrive cependant de suivre l’exemple de Haydn, quatuor Hoffmeister, trio des Quilles etc.) ; et que Beethoven choisit souvent un compromis faisant clairement du thème nouveau qui marque le changement une variante du thème initial (de façon caricaturale dans le premier mouvement de l'Appassionata par exemple). En outre, Rosen considère que les tensions liées aux relations tonales caractéristiques de la forme se propagent bien au-delà de la forme sonate proprement dite. Il rappelle par exemple que la section finale en ré majeur du dernier acte de Figaro est préparée par un passage dans le ton de la dominante de sol majeur, résolution qui pour lui a tout à voir avec la forme sonate (contrairement à l'opinion de Webster). Ces notions donnent des éléments de réponse à qui se demande en quoi le style classique se distingue du baroque tardif. La série des quatuors de Haydn (que je n'ai pas encore tous écoutés) illustre bien cette emprise croissante de la forme sur la musique ; la comparaison des sonates pour clavier de Haydn avec certaines de CPE Bach paraît aussi très intéressante à cet égard.
J'en arrive à ma question : en ce qui concerne la musique religieuse, la distinction me paraît beaucoup moins claire. Quels sont les éléments qui permettent de distinguer les messes de Haydn ou de Mozart de celles écrites dans la première moitié du 18ème siècle ? Comment le style classique se manifeste t-il dans ces œuvres ? J'entends bien que ce n'est pas la même chose mais j'ai du mal à dire pour quelles raisons.