L'
Impresario in Angustie (L'Imprésario dans les angoisses) (commedia per musica) de
Domenico Cimarosa fait partie d'un tryptique comportant également
Il Credulo et
Le Trame Deluse, tous trois composés en 1786 sur des livrets du même
Giuseppe Maria Diodati. Ces trois opéras furent représentés al Teatro Nuovo di Napoli. L'
Impresario in Angustie et I
l Credulo furent montés par
Joseph Haydn en 1790 et représentés ensemble à Eszterhazà (1).
Ces trois opéras eurent un grand succès.
Rossini disait qu'
Il Trame Deluse était supérieur au Matrimonio segreto (1792) et
Goethe était enthousiasmé par l'
Impresario in Angustie qu'il avait entendu en Italie en 1787. Il entreprit ensuite de le faire représenter en Allemagne à Weimar (1791) dans une traduction en allemand effectuée par lui-même.
Synopsis. L'impresario
Don Crisobolo est en butte aux récriminations de ses chanteuses:
Doralba,
terza donna veut être
prima Donna,
Merlina,
seconda donna veut "
l'aria obbligata col fagotto e l'oboe",
Gelindo lui poursuit ses vocalises et fait admirer sa belle voix. Sur ces entrefaites
Don Perizonio accompagné de
Fiordispina, la primadonna, fait son entrée. Don Perizonio, un poète napolitain, propose à la troupe un opéra seria: "
Le interne convulsioni di Pirro contro gli affetti isterici d'Andromaca"* dont le sujet provoque un débat serré au sein de la troupe. Pour augmenter la tension, Doralba et Merlina exigent de l'impresario une avance sur leur salaire. Ce dernier évoque la perspective d'un triomphe remporté par le spectacle mais ajoute en aparté que si les choses tournent mal, il disparaîtra. Lorsque la confusion est à son comble, Don Crisobolo en profite pour s'eclipser. Il ne reparaîtra plus. Don Perizonio et Fiordispina restent seuls et peuvent savourer le calme retrouvé; ils en profitent pour déclarer leur flamme et l'opéra se termine curieusement par l'union des deux protagonistes..
Style. Le résumé ne peut rendre compte de la vie qui règne dans cette comédie dont le but était de faire rire le public napolitain et de leur offrir la plus belle musique qui soit. Un élément supplémentaire vient de ce que Don Perizonio s'exprime en
langue régionale de Campanie, langue maternelle de Cimarosa, natif d'Aversa, petite ville à quinze kilomètres de Naples. La comédie comporte quatre airs, deux duettos et deux vastes ensembles. La musique témoigne des progrès considérables effectués par Cimarosa dans l'approfondissement de son inspiration,
la caractérisation des personnages, le soin apporté aux airs d'un charme mélodique exceptionnel, la qualité de l'orchestration et l'importance des ensembles. Cette tendance amorcée déja dans
Il Marito disperato (1785) culminera avec
Il Trame Deluse, peut-être le chef d'oeuvre de Cimarosa dans le genre du Dramma Giocoso. L'orchestre cimarosien est léger, transparent, il donne de l'importance aux violons, les vents sont très discrets mais colorent agréablement l'ensemble.
Sommets. Les
ensembles sans aucun doute. Le plus génial est le quintette (
Anima fella e cotta) qui au milieu de l'acte unique de la comédie (scène 7), fonctionne en fait comme un finale d'acte. Don Perizonio résume le livret de son opéra seria tandis que les uns baillent, les autres applaudissent et certains clament que le texte est stupide. A la fin Perizonio déroule à une vitesse extraordinaire une ligne de basse tandis que les quatre autres protagonistes chantent en imitations sur les paroles: "Ce groupe est maudit, les uns tendent la corde, les autres la cassent et à la fin chacun reste coi comme une pierre dans un champs."
Les deux
duettos sont également remarquables. Le plus développé est le duo final Don Perizonio, Fiordispina. "
Son Donzella si innocente", un duo d'amour parodique mais dont la musique est splendide. On notera la présence d'une superbe modulation enharmonique sur les paroles "
Il pianto m'affoga, mi sento mancar" (les larmes me noient, je me sens défaillir). Les compositeurs d'opéras italiens de l'époque ne nous avaient pas habitué à cela et Cimarosa se hisse très nettement au dessus de ses contemporains (Haydn et Mozart excepté évidemment) au niveau de la liberté de l'harmonie.
Parmi les airs le plus beau, à mon humble avis, est l'air de Merlina "
Il meglio mio carattere" (scène 4). Dans cet air triomphe la mélodie pure et élégante cimarosienne, domaine où il est inégalable. On se demande pourquoi
Joseph Haydn l'a supprimé et remplacé par un air de sa composition destiné à
Luigia Polzelli. Généralement Haydn écrivait des airs plus simples pour sa protégée, mais ici on ne comprend pas, car l'air de Cimarosa est sans fioritures, sans vocalises, il se déroule comme une chanson populaire dans le medium de la voix de soprano. Seule l'audition de l'
aria en mi bémol de Haydn (HobXXIVb.17) (2), oeuvre pour le moment non enregistrée, pourra éclaircir ce point. En tout état de cause Merlina nous dit que le meilleur de son caractère est de faire la villageoise, innocente, naturelle, sans artifices...Dans l'exercice de son rôle, la rusée dit que l'assistance, d'un clin d'oeil ou d'un sourire entendu, l'applaudit.
L'air de Perizonio "
Lo 'mpresario gioia mia.." est désopilant. Chanté entièrement en
napolitain il est incompréhensible (pour moi en tout cas et peut-être même pour un italien) mais grâce à la traduction anglaise on apprend que Perizonio donne trois conseils éclairés à l'imprésario: Manigance, ment et énerve!...et si la pièce marche, garde l'argent pour toi (et pour le poète) !
L
'Impresario in Angustie est un chef-d'oeuvre qui annonce
Rossini. Mais là où il faut deux ou trois heures au maître de Pesaro, 80 minutes suffisent au compositeur napolitain pour tout dire.
(1)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/haydn-et-l-opera-italien-t97.htm(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988. pp.1130.
*Les convulsions internes de Pyrrhus face aux passions hystériques d'Andromaque.