Composé par
Domenico Cimarosa en 1784,
Il Mercato di Malmantile, dramma Giocoso connu aussi sous le nom
La Vanita delusa, était crée au printemps de la même année au Teatro alla Pergola de Florence. Le livret est une adaptation de la pièce du même nom de
Carlo Goldoni datant de 1755 (1). Pendant l'année 1784, Cimarosa élève considérablement son niveau artistique dans l'
Olimpiade, un de ses meilleurs opera seria et dans
Il Mercato di Malmantile. Cette dernière oeuvre contraste avec ses opéras précédents par le trait essentiel suivant: les airs sont au nombre de sept seulement, soit la moitié des airs présents dans la plupart des opéras bouffe de l'époque, et l'espace temporel est rempli par des
ensembles. En plus des deux copieux finales d'actes, Cimarosa introduit au milieu de chaque acte un ensemble d'environ une dizaine de minutes dont l'importance dramatique est essentielle.
Résumé traduit à partir de l'ouvrage de Rossi et Fauntleroy (1). Malmantile est une bourgade de Toscane remarquable par son château et ses fortifications parmi les plus belles de la région. Elle est le siège d'un pittoresque marché qui constitue le décors de la pièce de Goldoni. Le gouverneur de Malmantile, Sempronio, mélange la gestion de la cité avec ses affaires personnelles. Sa fille Lindora est très autoritaire et dicte toutes ses actions. Elle est amoureuse du comte della Rocca et son amour est payé de retour bien que la Marquise Belfaggio tente par la flatterie de s'attirer les bonnes grâces du comte. L'arrivée de Scassaganasce, un dentiste qui se prétend aussi médecin, complique les affaires de tout le monde. Il embobine Sempronio et sa fille par son bagoût. Convaincu d'être un escroc, il est sauvé de la prison par Sempronio à la demande de sa fille mais sera toutefois banni. La marquise jalouse tente de monter la population contre Sempronio qui de plus s'intéresse à une jolie paysanne, Bita. Tout s'arrange finalement quand le gouverneur propose à la marquise de l'épouser.
Cette action est très différente de celle présente dans le livret originel de Goldoni (2). Dans ce dernier, Sempronio, ayant très mal géré l'affaire Scassaganasce, perd sa charge de gouverneur et Lindora qui entre temps s'est amourachée de Scassaganasce part avec l'imposteur tandis que le comte épouse la marquise. De plus Cimarosa a effectué des coupes profondes, a supprimé beaucoup d'airs afin d'introduire les deux grands ensembles qui embellissent ce magnifique opéra, il devient donc difficile de s'y retrouver.
Style. Si on compare ce dramma giocose avec
I due Barone di Rocca Azzurra composé l'année précédente, on constate une évolution vers plus de profondeur et une intensification du caractère dramatique. Tandis que les airs ont encore un caractère un peu statique, par contre les ensembles constituent le moteur de l'action et contiennent les moments musicaux les plus intenses. De ce fait, on peut dire que
Il mercato di Malmantile exploite des procédés qui seront mis en oeuvre cinq ans plus tard par Mozart dans
Cosi fan Tutte.
Les sommets.
Acte I
Air de Scassaganasce "
noi qui sottoscritti ecc... très spectaculaire de type catalogue, il débute avec un rythme pointé très rossinien. Le prétendu dentiste énumère ses talents ainsi que les différents pays où il les a exercés avec succès. Le débit très rapide, l'orchestration brillante et le rythme ressemblent beaucoup au premier air d'Osmin dans l'
Incontro improviso de
Joseph Haydn datant de 1775 mais il est peu probable que Cimarosa ait pu connaître l'opéra de Haydn dont la diffusion fut confidentielle.
Quintette vocal "
Mi sento nelle vene il sangue gelar...". Selon certains auteurs ce quintette serait supérieur aux ensembles d'
Il Matrimonio segreto. Le tempo très lent, les solos très expressif du hautbois et la superposition des voix crée une ambiance sensuelle et lyrique très séduisante. Les tensions accumulées se libèrent dans un allegro très agité, presque violent.
Le Finale de l'acte I comporte six épisodes à la chaîne. Le premier épisode "
Son umile, son buonina" réunit Lindora et son père Sempronio, il est remarquable par son orchestration magnifique. Le troisième épisode est un vaudeville (3) très enlevé qui me rappelle un épisode du finale du premier acte de
La Vera Costanza de
Joseph Haydn représenté à Eszterhaza en 1785, après
Il Mercato di Malmantile (4). Dans la scène finale on remarque de curieuses appogiatures qui donnent une allure trainante aux chants, soulignant les scènes paysannes du marché de Malmantile. Tout ce finale se déroule à un rythme endiablé.
Acte II
Duetto Sempronio et Bita. "
Una ragazza è come un gelsomino" (une jeune fille est comme un jasmin). Tiré du folklore (napolitain?), cet épisode magnifique est très envoûtant et plein de poésie. C'est une des pièces maîtresses de tout l'opéra.
Récitatif (
Tosto ch'io son venuto a Malmantile...) et Air (
Consiglio, o miei pensieri...) de Sempronio. Après un récitatif très seria, l'air tranche avec les airs plutôt légers qui précèdent et suivent par son caractère très dramatique. Sempronio est amoureux de la paysanne Bita mais se trouve en conflit avec sa fille qui ne jure que par la noblesse. La
splendeur de cet air, écrit pour une basse profonde, élève considérablement le personnage un peu ridicule du gouverneur.
Quintette vocal. Il débute avec un splendide solo de flûte d'une grande difficulté. L'ensemble vocal débute adagio et est aussi séduisant que l'ensemble du premier acte, il laisse la place à un allegro très agité: Scassaganasce est démasqué par les paysans mais Lindora ne veut pas les croire. La compagnie est vexée d'avoir été trompée et ne sait plus à quoi se raccrocher,
la fin presto est presque hystérique sur les paroles
gira, gira, gira la mia testa, io mi sento lacerar...Che rabbia, che tempesta (la tête me tourne, tourne, je me sens déchiré...quelle rage, quelle tempête...
Finale de l'acte II. "
Questa casa padro mio". Finale très enlevé sans temps morts. Pas de duo d'amour scellant l'union des protagonistes Lindora et le comte (ou Scassaganasce?). La scène finale consiste en un choeur de paysans avec des appogiatures semblables à celles du finale du premier acte mais moins agressivement populaires.
(1) Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, Greenwood Press, 1999.
(2)
http://www.intratext.com/IXT/ITA1289/_P3JL.HTM(3) Vaudeville: chanson comprenant couplets et refrains rimés sur un air connu et populaire. Par extension, pièce de théâtre légère et divertissante.
(4) Le Vera Costanza a été composée par
Joseph Haydn en 1779 mais le manuscrit disparut dans l'incendie qui ravagea la même année le théâtre d'Eszterhazà. Pour la représentation de 1785, Haydn reconstitua l'opéra et peut-être composa de nouveaux numéros.