En 1762, après avoir achevé la trilogie des symphonies n° 6, 7, 8 Le Matin, Le Midi et Le Soir, Joseph Haydn compose vraisemblablement trois symphonies, les n° 9, 14 et 36. La n° 9 en ut majeur, en trois mouvements, a la coupe et l’allure d’une sinfonia à l’italienne (1,2), la n° 36 en mi bémol majeur présente des aspects baroques très prononcés. La symphonie n° 14 en la majeur est la plus moderne et la plus représentative, à mon humble avis, de l’évolution du génie Haydnien à cette période de sa vie. Elle débute par un allegro possédant deux thèmes bien contrastés. Le premier, conquérant et fier, est soutenu par des cors bien en vue, le second, en imitations aux cordes, est doux et discret, c’est lui qui ouvrira le développement (belle partie de cor), bientôt suivi par le premier thème dans le ton principal du mouvement, puis dans diverses tonalités. Alors qu’on attend la réexposition du premier thème, c’est le second qui apparaît. Ce procédé consistant à enchainer le développement au second thème est souvent utilisé dans les sonates pour clavier de Haydn contemporaines (3).
L’andante est écrit pour les cordes et le continuo. Il consiste en une marche lente dans la lignée des mouvements correspondants des symphonies n° 1 et 2. Cette page d’un grand charme mélodique se déroule paisiblement.
Le cor, muet pendant l’andante, a de nouveau la vedette dans le très séduisant menuetto. Le trio en la mineur est un magnifique solo du hautbois.
Le finale, Allegretto 6/8, est un fugato à deux sujets, le sujet principal consiste en une gamme descendante exposé par le premier violon tandis que le second violon dessine un contre chant ; les violons échangent ensuite leurs sujets et lors d’un troisième exposé, le thème principal appartient aux basses et aux cors cette fois, tandis que les violons jouent un troisième contresujet très expressif qui prendra de plus en plus d’importance dans la suite du morceau. La polyphonie cesse et la seconde partie de l’exposition consiste en un divertissement sur le début de la gamme descendante. Le développement mélange lui aussi passages polyphoniques et homophones de la façon la plus naturelle. La science contrapuntique et le charme mélodique se conjuguent de façon harmonieuse dans ce merveilleux et subtil finale.
La symphonie n° 40 en fa majeur date de l’année 1763, année qui vit créer les symphonies n° 12 en mi majeur, n° 13 en ré majeur (déjà examinée dans cette rubrique) et n° 72 en ré majeur (2). La concision, le charme mélodique et une certaine tendance au contrepoint que nous avons appréciés dans la symphonie n° 14, nous les retrouvons dans la symphonie n° 40.
Le premier mouvement Allegro 3/4 est monothématique. Contrairement à la plupart des symphonies précédentes, le role des cors, simple support de l’harmonie, est discret. Le développement presqu’entièrement basé sur le thème principal est un des plus élaboré des symphonies de « jeunesse » de Haydn.
L’Andante piu tosto allegretto 2/4 en si bémol pour cordes est le nec plus ultra de la marche lente expérimentée dans les symphonies n° 1, 2 et 14. Les violons jouent la mélodie et sont accompagnés par des basses à l’unisson qui donnent un rythme immuable. Ce mouvement, écrit à deux voix tout au long, a une sonorité très spéciale et une grande transparence (on entend parfaitement les deux voix). La splendeur mélodique n’est pas conférée par un thème en particulier mais par le déroulement de la musique en perpétuel devenir. Comme souvent chez Haydn, le tout est très supérieur aux parties qui le composent. Ce mouvement est absolument fascinant.
Si dans Le menuetto les vents (hautbois et cors) sont relativement discrets, ils sont par contre très actifs dans le trio où on entend principalement cors, hautbois et basson.
Le finale Allegro alla breve est une fugue. Si Haydn avait déjà expérimenté la formule dans la symphonie n° 3 en sol majeur antérieure à 1761, c’est avec une bien plus grande maîtrise qu’il revient à cette forme musicale. Cette fugue est en effet beaucoup plus développée que la fugue en sol majeur de la symphonie n° 3 et se déroule très régulièrement : exposé des deux sujets par les trois voix, divertissements, strettes etc…et se termine par un brillant unisson. Pourtant, malgré la sévérité de la forme, on n’éprouve aucun sentiment de sècheresse, aucune monotonie, le contrepoint chante ici et les sonorités sont superbes. De plus Haydn ménage ses effets et programme une progression de l’intensité sonore pour aboutir à une péroraison grandiose, effet produit pourtant avec un petit orchestre.
(1) On a suggéré que la symphonie n° 9 était à l’origine la sinfonia ouvrant un des opéras italiens perdus de 1762 : La Vedova, Il Dottore, Il Scanarello (2)
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 860-1.
(3) Finale de la sonate n° 16 en ré (Hob.XVI.14) par exemple.