Vous avez aimé la symphonie n° 68 en si bémol majeur! Vous adorerez la symphonie n° 66 également en si bémol. Elles se ressemblent beaucoup; toutes deux basées sur la séduction mélodique et l'élégance, elles sont également solidement architecturées. Le centre de gravité de la symphonie n° 68 était l'adagio si inventif et émouvant, ce point focal se déplace de deux crans dans la symphonie n° 66, c'est-à-dire dans le finale, à la fois prouesse technique mais également merveille d'humour. Il est possible que la symphonie n° 66 soit la dernière composée en 1775 par Joseph Haydn, après la n° 68 et les n° 67 en fa majeur et 69 en ut majeur Laudon (1).
Le premier mouvement Allegro con brio 4/4 avec ses nombreux gruppettos ironiques évoque irrésistiblement quelque musique de scène. Le thème initial (accord parfait de si bémol majeur) exposé par les violons ouvrirait volontiers la sinfonia ou la première scène d'un opéra bouffe. Le second thème et surtout la partie de ce dernier concluant l'exposition nous maintient dans l'ambiance de l'opéra et nous rappelle que Joseph Haydn venait d'achever, l'Incontro improviso, un dramma giocoso mélant harmonieusement des aspects bouffes et d'autres plus sérieux. Le développement est bâti d'abord sur le thème principal puis sur un fragment du second thème.
L'adagio en mi bémol majeur avec sourdines 3/4 commence aussi avec un gruppetto. Le thème initial très doux, réservé aux cordes, est répété quatre fois avec des variantes. Une réponse des vents au dessus des secondes mineures des violons est frappante par son caractère plus sombre. Un solo du violon en triolets staccato ponctué par quelques accords des autres cordes se termine par une cadence et aboutit aux barres de reprises. Dans la partie centrale éclate forte le minore d'autant plus dramatique qu'il contraste avec la douceur de la première partie, premier exemple, à ma connaissance, de ces intermèdes mineurs qui jalonneront plus tard les mouvements lents de plusieurs symphonies londoniennes. La dernière partie reproduit la première sans grands changements.
Un charmant menuet est suivi par un merveilleux trio dont le rythme sensuel évoque presque une valse.
Le point culminant de la symphonie est indubitablement le finale scherzando (2) e presto 2/4, un rondo sonate d'une grande originalité. Le refrain très dynamique qui évoque une scène du finale du premier acte de La vera Costanza "Che miro, Rosina...", est encadré par de doubles barres de reprises. Le premier couplet est un premier développement contrapuntique sur le refrain. Retour du refrain varié par des traits spirituels du basson. Le second couplet fait office de développement principal. Entièrement construit sur un motif qui n'est autre qu'une modification du refrain, il offre une éblouissante élaboration contrapuntique de ce thème. Nouveau retour du refrain encore une fois varié avec humour. Une coda très spirituelle entièrement basée sur le refrain donne un grand rôle aux vents et tout se termine comme cela avait commençé à la manière d'un finale d'opéra bouffe. Cette formule du rondo sonate, peut-être une invention de Joseph Haydn, offre de splendides possibilités à l'imagination sans aucune des redondance inhérentes à la structure sonate. Un point culminant sera atteint dans le finale de la symphonie n° 99 en mi bémol majeur.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1018-9
(2) Scherzando = en plaisantant