Il existe un dossier complet concernant
Il Burbero di buon Cuore (Le Bourru au bon coeur), Dramma giocoso de
Vicente Martin y Soler sur un livret de
Lorenzo da Ponte (1). Ce dossier traite du contexte historique, des conditions ayant présidé à l'élaboration du livret, des interprètes lors de la création au Burgtheater de Vienne le 4 janvier 1786 et de la musique de l'opéra. Il contient aussi un compte rendu extrêmement détaillé et argumenté de la représentation moderne de l'opéra au Teatro Real de Madrid sous la conduite de Christophe Rousset. Je me bornerai ici à donner quelques opinions personnelles sur la musique de
Martin y Soler.
Il Burbero di Buon Cuore inaugure la collaboration de Lorenzo da Ponte avec Martin y Soler qui sera suivie quelques mois plus tard par
Una Cosa Rara et par
L'Arbore di Diana, une année après, en 1787. Dans le même temps Da Ponte met en chantier trois opéras en collaboration avec Wolfgang Mozart: Les Noces de Figaro (1786), Don Giovanni (1787), Cosi fan Tutte (1790) et un opéra avec Antonio Salieri, Axur, Re d'Ormus (1788).
Il Burbero di Buon Cuore ne fut pas représenté à Eszterhazà, Joseph Haydn lui préférant l'Arbore di Diana.
Synopsis. Angelica, nièce de Ferramondo (le Bourru) aime en cachette Valerio et est aimée de lui mais est trop timide pour avouer son amour à son oncle. Madame Lucilla, épouse de Giocondo, neveu de Ferramondo, est une femme de coeur mais trop dépensière, elle ne réalise pas que son attitude pose problème à la famille. Giocondo effrayé par sa situation financière envisage de mettre sa soeur Angelica au couvent, faute de dot pour un mariage éventuel. Ferramondo apprend la chose de sa gouvernante Marina et s'oppose fermement à cette idée. Pour couper court à toute discussion il décide de marier sa nièce à Dorval son partenaire aux échecs, un homme de valeur à ses yeux. Dorval comprenant que Angelica aime un autre, renonce avec élégance à l'épouser au grand dam de Ferramondo. Madame Lucilla réalise avec desespoir que sa conduite mène son ménage à la ruine; apprenant que Giocondo pourrait la quitter, dans un moment de détresse, elle se tire un coup de pistolet qui heureusement n'était pas chargé. Ferramondo, ému, pardonne à Giocondo et Lucilla et écoutant son bon coeur consent au mariage d'Angelica et Valerio.
Les personnages de cette comédie bourgeoise sont bien caractérisés, l'intrigue est plausible dans le contexte social de l'époque. Il existe un autre personnage, Castagna, valet de Ferramondo qui n'intervient pas directement dans l'intrigue mais qui par sa complicité avec Ferramondo apporte une touche comique supplémentaire.
Le Style. Il est nécessaire de confronter I
l Burbero avec la production opératique contemporaine pour le juger équitablement. Au début de l'année 1786, Domenico Cimarosa avait à son actif son remarquable opera buffa
Il Marito Disperato (1785); Giovanni Paisiello de son côté venait de triompher à Vienne avec
Il Re Teodoro in Venezia (1784) (3), un drame héroï-comique; Joseph Haydn avait clos sa production opératique à Eszterhazà avec un magnifique opera seria
Armida (1784); Antonio Salieri avait juste créé le 12 octobre 1785 son excellente
Grotta di Trofonio sur un livret de l'abbé Casti. Par contre le premier des grands opéras viennois de Mozart, Les Noces de Figaro (mai 1786) était encore à venir. Tous ces opéras témoignent de la très rapide évolution de ce genre musical en l'espace d'une demi-décennie (2). Dans ce contexte, à l'écoute d'
il Burbero di buon Cuore on peut remarquer que la musique de Martin y Soler est moins hardie au plan harmonique que celle de Salieri, moins polyphonique que celle de Cimarosa et Paisiello, l'orchestration, très habile, est toutefois moins subtile que celle de Salieri mais peut-être plus riche que celle de Cimarosa ou Paisiello. L'harmonie est très simple, les modulations peu nombreuses, l'écriture des ensembles le plus souvent homophone. En résumé la musique de
Martin i Soler est très agréable, toujours élégante, l'orchestre accompagne les chanteurs de façon efficace avec un rôle important ds clarinettes qui donnent une couleur très séduisante et les protagonistes remarquablement caractérisés grâce à des airs nombreux, généralement courts. Une couleur locale hispanisante, moins marquée que dans una Cosa Rara, est toutefois détectable et donne une originalité certaine aux opéras de Martin i Soler.
Les sommets. Quelques morceaux se détachent de l'ensemble.
Au premier acte
L'aria de la gouvernante Marina, "
Guardiam Madamina da sera a matina" possède, à mon avis, une couleur espagnole très marquée. L'air très amusant fustige les dépenses eccessives de Madame Lucilla.
L'aria de Ferramondo, basso buffo, "
Pian pianino veddiam un po..." est un chef-d'oeuvre d'opéra bouffe, il décrit la partie d'échecs que Ferramondo aurait du gagner s'il avait bien joué. La répétition à toute vitesse du déroulement de la partie d'échecs est désopilante.
L'air de Giocondo, tenore, "
Veniam sul fiore amore..."est remarquable par l'usage des instruments à vents: flûtes, hautbois, bassons et cors, qui colorent très agréablement la voix; son amour sincère pour son épouse Lucilla donne de lui une image bien plus positive que celle d'un frère voulant envoyer sa soeur au couvent.
Le terzetto Marina, Angelica et Lucilla "
Perder dovro il mio ben..."est particulièrement inspiré. Angelica, outrée, déballe et disperse à tous vents les dispendieux achats de Lucilla.
Le finale du premier acte démarre sur les chapeaux de roues avec un duo Ferramondo Dorval "
Compatite, o caro amico i debbi miei...", se poursuit avec une aria très émouvante d'Angelica "Infelice ad ogni istante..." et se termine avec une scène finale étourdissante réunissant tous les protagonistes; avec un tempo
prestissimo, et le débit ultra rapide des personnages, on se trouve en plein opéra bouffe.
Au second acte
Le Terzetto Dorval, Angelica, Ferramondo "
Parlero io v'affanate" est particulièrement amusant. Angelica fait comprendre avec tact à Dorval qu'elle en aime un autre. Dorval, beau joueur, lui manifeste affectueusement son amitié tandis que Ferramondo tapi derrière un paravent se méprend et croit à une effusion amoureuse.
La grande scène dramatique d'Angelica, comportant un récitatif accompagné "
O cielo abbiam Speranza..." très seria suivi d'un air "Che risolvo in tal cimento...", est peut-être le sommet émotionnel de l'opéra. Il s'agit d'un air à deux vitesses, une première partie lente centrée sur la beauté mélodique et une seconde partie très rapide accompagnée par des clarinettes dans leur registre aigu. Cet air montre, au delà de son apparente timidité, le caractère volontaire d'Angelica et sa détermination.
L'air de Giocondo "
Cedete a queste lagrime...", seul air dans le mode mineur de l'opéra, très "Sturm und Drang"!
L'opéra se termine avec une scène finale très joyeuse, sorte de vaudeville dont le refrain a, à mon avis, une discrète couleur locale espagnole.
(1)
http://odb-opera.com/modules.php?name=Forums&file=viewtopic&p=131122(2) Pour s'en convaincre il suffit de comparer
Il Marito disperato de Cimarosa composé en 1785 avec
l'Italiana in Londra, dramma giocoso datant de 1779 du même Cimarosa.
(3)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/il-re-teodoro-in-venezia-de-paisiello-t138.htm