FARNACE opera seria de d’
Antonio VIVALDILa première version de
Farnace (RV 711), dramma per musica sur un livret d’
Antonio Maria Lucchini, a été créée en 1727 au teatro Sant’ Angelo de Venise. Plusieurs autres versions ont suivi. Dans un ultime effort pour faire représenter son opéra à Ferrare en 1739, Vivaldi reprend en les modifiant profondément (8 airs remaniés, 8 airs nouveaux) les actes I et II mais l’acte III restera inachevé vu que le projet de représentation échoue. Suite à des travaux musicologiques, il a été possible de reconstituer ce troisième acte (1) en vue des représentations à l’Opéra National du Rhin durant mai et juin 2012. Un compte rendu de ce spectacle décrivant en particulier les circonstances de la composition de l'oeuvre figure dans odb-opera (2).
Synopsis. Avant la bataille contre les troupes romaines dirigées par Pompeo, Farnace, Roi du Pont, ordonne à son épouse Tamiri de tuer leur fils et de se tuer elle-même, en cas de défaite. Pompeo est victorieux et Tamiri, ne pouvant se résoudre à sacrifier son fils, le cache dans la pyramide, sépulcre des Rois du Pont . Bérénice, reine de Cappadoce, mère de Tamiri, qui déteste Farnace, s’allie à l’envahisseur romain dans le but de supprimer son gendre. Sélinda, sœur de Farnace, est courtisée par Aquilius, préfet romain et par Gilade, capitaine de Bérénice, elle espère ainsi secourir son frère. Le mausolée étant menacé de destruction par Bérénice, Tamiri implore sa mère de protéger l’enfant. Bérénice refuse et emmène l’enfant. Aquilius et Gilade plaident auprès de Bérénice la survie de l’enfant et ce dernier est confié à Pompéo. Selinda obtient de Gilade la promesse de tuer Berenice et convainc Aquilius d’assassiner Pompeo. Farnace masqué et Aquilius indépendamment tentent de tuer Pompeo mais leur entreprise échoue lamentablement. Farnace étant reconnu par Berenice, est enchainé et condamné à mort mais ensuite libéré par Gilade et Aquilius qui tentent de tuer Berenice. Pompeo sauve Berenice et est sauvé par Farnace. Enfin Berenice, lassée peut-être par tant de violence, jette l’éponge et pardonne son gendre. Pompeo fait alors preuve de clémence et accorde son pardon à tous.
Le Style. L’
aria da capo règne sans partage dans cette partition, cette forme est présente dans pratiquement tous les airs. Un court duetto termine l’acte II tandis qu’un ensemble conclut l’acte III. Malgré des emprunts au style napolitain à la mode en 1738 comme par exemple l’air de Selinda
Quel tuo ciglo languidetto qui est un menuet galant sur un rythme 3/8, la musique de
Farnace appartient essentiellement à l’
apogée du baroque avec de beaux passages polyphoniques et de magnifiques marches harmoniques des basses, notamment dans l’air de Gilade “
Nell intimo del petto”. Dans cette partition, Vivaldi recherche aussi la
couleur orchestrale comme le montre l’utilisation si subtile des deux cors dans le même air de Gilade cité plus haut: les deux cors jouant à l’unisson, le second continuant la note commencée par le premier. Dans le suave air de Gilade “
Scherza l’aura lusinghiera” de l’acte III, on remarque une très belle partie de théorbe qui se détache nettement et offre un magnifique contrepoint aux roucoulades du jeune officier.
Les sommets. L’opéra entier regorge de trouvailles. Ainsi l'acte II s'ouvre par une scène absolument ravissante:
Lascia di sospirar dans laquelle Selinda s'adresse alternativement à Gilade et Aquilio. Cette scène témoigne de possibles influences galantes et on se croirait plongé, un demi siècle plus tard, dans une comédie de
Vicent Martin i Soler!
Un des sommets de la partition se trouve à l’acte II scène 4 avec l’air de Gilade
Quell’usignolo che innamorato,
aria di paragone (comparaison, métaphore : Gilade se prend pour un rossignol amoureux) typique par ses chromatismes audacieux et ses vocalises étourdissantes.
Acte II scène 6. Le célébrissime
lamento de Farnace “
Gelido in ogni vena” , sommet tragique de la partition, est particulièrement révélateur des recherches harmoniques de Vivaldi. Pour illustrer les mots
Je sens couler le sang gelé dans mes veines, le compositeur utilise un extraordinaire accompagnement orchestral très dissonant qui n’est autre que le début de l’
Hiver, dernier mouvement des
Quatre Saisons, évoquant irrésistiblement un paysage figé par le gel.
On notera aussi, à la fin de l’acte II scène 13, le très curieux air de Berenice “
Amorosa e men irata”,
aria di furore qui, avec ses rythmes syncopés, évoque à mes oreilles le folklore balkanique!
Tous les protagonistes (sauf Aquilio) sont réunis dans la dramatique scène finale de l’acte III, seul ensemble vraiment conséquent de l’opéra. Le contrepoint très serré qui caractérise cette scène participe à l’agitation quasi frénétique des personnages.
En somme variété et inventivité sont les vocables qui s’appliquent le plus volontiers à ce chef-d’œuvre.
(1) Sophie Roughol, Chronique d’un désamour, Programme de Farnace, Opéra National du Rhin, 2012.
(2)
http://odb-opera.com/modules.php?name=Forums&file=viewtopic&t=11176