A l'heure où les interprétations sur instruments d'époque, par des musiciens rompus au jeu baroque et pénétrés de son esprit, fleurissent un peu partout, il est peut-être intéressant d'écouter la version de l'opus 76 n° 2 en ré mineur Les Quintes de Joseph Haydn du quatuor Hongrois datant de 1954. Cette formation dirigée par Zoltan Szekely avait signé des merveilles notamment une version d'anthologie du quinzième quatuor en sol majeur opus 161 de Franz Schubert.
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Sam 26 Nov - 10:38
Benoît a effectué en début de sujet une magistrale synthèse des six quatuors de l'opus 76 dont je recommande vivement la lecture. La discussion qui a suivi a mis en évidence quelques interprétations superlatives.
Dix années ont passé et il serait opportun de reprendre cette discussion. Dans ce but et selon mon habitude déplorable, je vais procéder à une analyse de chacun des quatuors à cordes de l'opus 76 qui, en compagnie du texte de Benoît, pourra éventuellement servir de base à une nouvelle discussion sur les interprétations nouvelles qui fleurissent maintenant.
Avec l'opus 76, on se trouve au coeur de la pensée et l'inspiration haydnienne. En l'absence d'un texte pour sous-tendre la musique comme c'était le cas dans les opéras, les oratorios, les messes et la version chorale des 7 Paroles du Christ sur la Croix, on se trouve en face de musique pure, la plus belle, la plus profonde, la plus exigeante que Haydn ait jamais confiée à quatre instruments à cordes.
Joachim
Messages : 664 Points : 814 Date d'inscription : 20/08/2007 Age : 78 Localisation : Nord
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Dim 27 Nov - 22:46
Ton habitude déplorable ? Que ne faut-il pas entendre !!! Alors que tes analyses valent largement celles qu'on trouve dans des livres spécialisés !
Continue comme ça, avec ces magnifiques quatuors op 76, continue aussi avec les derniers op 77 et 103, ce dernier m'émeut particulièrement, tu sais pourquoi.
Napo
Messages : 16 Points : 18 Date d'inscription : 15/10/2016
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Lun 28 Nov - 0:57
Joachim a écrit:
Ton habitude déplorable ? Que ne faut-il pas entendre !!! Alors que tes analyses valent largement celles qu'on trouve dans des livres spécialisés !
Continue comme ça, avec ces magnifiques quatuors op 76, continue aussi avec les derniers op 77 et 103, ce dernier m'émeut particulièrement, tu sais pourquoi.
Je pensais exactement la même chose, Joachim. Les analyses de Piero sont d'une telle richesse et d'une telle qualité qu'elles me servent aujourd'hui de guide à chaque fois que j'écoute une nouvelle symphonie, quatuor, trio ect... de Haydn.
Objectivement, mes analyses musicales sont à celles d'un musicologue ce qu'un musicien amateur est à un professionnel et je suis bien placé pour le savoir.
Vous pouvez leur faire confiance toutefois et c'est leur principale qualité.
Ce n'est qu'assez tardivement que j'ai fait connaissance avec ce premier quatuor de l'opus 76. Il est moins joué que les autres, notamment le n° 2 en ré mineur dit Les Quintes, le n° 3 en do majeur dit l'Empereur, le n° 4 en si bémol majeur dit Lever du Soleil et le n° 5 en ré majeur. Quand je l'entendis pour la première fois, je réalisai que c'était peut-être le plus extraordinaire (avec le n° 6 en mi bémol majeur). En tous cas on peut dire que ce quatuor est une synthèse des six avec à la fois un scherzo beethovénien, un adagio d'une profondeur incroyable et un mouvement final que je n'hésite pas à placer au dessus de tous ceux des quatuors à cordes de Haydn.
Allegro con spirito 2/2, structure sonate. Avec esprit nous dit Haydn. Rude tâche pour l'exécutant tant il est difficile d'être spirituel. Mais heureusement Haydn l'est pour deux et ça aide beaucoup ! On a parlé plus haut des trois derniers mouvements mais pas du premier. Les trois derniers mouvements sont pétris d'originalité, le premier se prépare tout simplement à dynamiter la structure sonate. Après une introduction consistant en trois accords vigoureusement sabrés, comme dans l'opus 71 et 74, le premier thème magnifique, inoubliable, jaillit du ventre du violoncelle, il coule de source avec une force tranquille et passe le relai à l'alto, toujours en solo. Puis c'est au tour du second violon de s'emparer du thème qui cette fois est accompagné par un contre-chant du violoncelle. Ce contre-chant s'apparente à un renversement du thème principal que l'on perçoit en filigrane. Ces jeux contrapuntiques se poursuivent jusqu'à la mesure 58 où retentit un unisson impressionnant des quatre instruments. Cet unisson est remarquable par les passages brutaux du mode majeur au mode mineur comme le fera Franz Schubert dans le finale de son quatuotr à cordes n° 15 en sol majeur D 887 (1). Peu avant les barres de mesures, apparaît un thème nouveau en ré majeur possédant un grand charme et beaucoup d'esprit, issu de toute évidence du thème principal. On arrive au développement qui commence par un énoncé du thème initial à l'alto et accompagné par un nouveau contrechant en croches au second violon qui semble-t-il annonce une fugue. Mais ce fugato s'interrompt à peine énoncé, le style devient homophone avec des arpèges modulants au premier violon accompagnés par les autres instruments à la manière d'une fantaisie et on arrive de façon subtile à la réexposition. Cette dernière est loin d'être une répétition de l'exposition, comme c'est le cas souvent chez Mozart, mais est entièrement refondue avec des passages polyphoniques encore plus élaborés associant le thème principal, et les deux contre-chants. Finalement l'essentiel de l'élaboration thématique a lieu dans l'exposition et la réexposition dans cet allegro tandis que la partie centrale (le développement) n'est plus le centre de gravité de l'oeuvre comme c'était le cas dans les œuvres antérieures. On peut finalement considérer ce mouvement comme une structure tripartite dans laquelle les trois parties de poids sensiblement équivalents consistent en variations très libres sur un seul thème.
Adagio sostenuto, do majeur 2/4. Rondo. Le terme de rondo qui évoque une danse légère ne rend pas justice à la profondeur inouie de cet adagio. Le refrain est exposé quatre fois, trois fois à la tonique do, une fois à la dominante sol et il y a quatre couplets. Le refrain est une admirable mélodie en valeurs longues, richement harmonisée de nature hymnique. Une sensation d'immobilité, de stase temporelle que nous avions notée dans l'opus 74 n°3 est perceptible également ici. A chacun de ses exposés le refrain est harmonisé de façon subtilement différente mais toujours aussi bouleversante. Les couplets se ressemblent aussi beaucoup; en valeurs courtes, ils contrastent pas leur dynamisme avec le caractère statique du refrain. Ils consistent d'abord en un échange mystérieux entre un motif chromatique en doubles croches au violoncelle et une gamme en triples croches spicatto au premier violon alors que les deux autres instruments accompagnent de batteries de doubles croches. Ce dialogue intense est suivi par des triples croches syncopées au premier violon de plus en plus expressives et de plus en plus aigues, se terminant par des octaves syncopés du premuer violon dont l'effet est prodigieux. Chaque couplet se distingue cependant par des modulations nouvelles encore plus dramatiques ou alors mystérieuses qui évoquent irrésistiblement l'art de Franz Schubert. A la fin du quatrième couplet le premier violon atteint le do suraigu. Une coda très émouvante dans laquelle le motif chromatique s'enfonce pianissimo dans les profondeurs du violoncelle met un terme à ce sublime mouvement. De nombreux commentateurs ont évoqué à propos de ce mouvements Beethoven, celui des derniers quatuors à cordes en particulier. Je ne ressens pas de telles analogies. La concision extrême de Haydn est étrangère à Beethoven et ses suiveurs qui ont besoin d'espace et de temps pour s'exprimer.
Menuetto. Presto ¾. La valeur de base est la noire et l'unité de temps est le blanche pointée, on est en présence d'un véritable scherzo qui cette fois évoque bien Beethoven. On note que les deux parties se terminent par des croches martelées et répétées fortissimo qui ressemblent beaucoup à celles qui parcourent le scherzo du quatuor n° 15 en sol majeur D 887 de Schubert ! Le trio, dans la même tonalité que le menuetto est plus classique. C'est un charmant Laendler chanté tout le long par le premier violon tandis que les autres instruments accompagnent en pizzicato. Ce délicieux trio constitue la seule détente dans ce quatuor particulièrement tendu et intense.
Finale. Allegro ma non troppo, sol mineur, 2/2. Structure sonate. Nous voici arrivés au finale le plus génial de tous les quatuors de Haydn. La tonalité de sol mineur surprend évidemment, c'est celle du précédent quatuor opus 74 n° 3 Le Cavalier. Chez Haydn, le dernier mouvement est généralement le plus léger et le plus optimiste. Il termine d'ailleurs souvent ses œuvres composées dans le mode mineur par un mouvement dans le mode majeur. C'est exactement le contraire ici car ce mouvement est le plus dramatique des quatre et même un des plus dramatiques de toute sa production. Je ne lui trouve d'équivalent que dans le finale de la sonate pour pianoforte en si mineur HobXVI.32 ou encore celui de la symphonie n° 44 en mi mineur. Il débute par un unisson furieux des quatre instruments, initié par un triolet et terminé par des trilles. On a déjà évoqué l'importance de ces unissons et des trilles qui ponctuent certains mouvements chez le dernier Haydn. Le triolet qui ouvre le thème lui donne un élan irrésistible. Le thème principal est repris par l'alto avec un contre-chant des deux violons. Ensuite de manière obstinée, ce thème sera repris par chaque instrument ou sera échangé entre eux. De nouveaux accompagnements en triolets de croches ajoutent à l'agitation générale. Cette dernière se calme avant les barres de reprises pour laisser la place à un thème nouveau syncopé en valeurs longues, serti de dissonances étranges, dont on pourra apprécier l'allure balkanique. Lors du développement très long, on assiste à un combat furieux entre l'instrument porteur du thème et les autres protagonistes. Tout s'arrête pour laisser place à un passage très mystérieux pianissimo où Haydn procède à des modulations enharmoniques extraordinaires (on passe de ré bémol mineur à la majeur) (2). Le combat reprend de plus belle et on arrive au point culminant du développement (et du quatuor tout entier) où le triolet initiant le thème est répété à l'unisson dans un ostinato sauvage et frénétique qui anticipe étrangement ceux qui figureront dans les mouvements terminaux des quatuors n° 14 D 810 et 15 D 887 de Schubert ainsi que l'allegro final du quatuor n° 14 en do dièze mineur de Beethoven. Lors de la réexposition, la tension s'apaise avec un retour à la tonalité homonyme majeure que Marc Vignal a commenté de manière très pénétrante (3). Beethoven terminera son quatuor n° 11 en fa mineur de manière très similaire.
(1) http://piero1809.blogspot.fr/2016/01/le-quatuor-cordes-n-15-en-sol-majeur-d.html (2) La tonalité de ré bémol mineur comporte 8 bémols à la clé, celle de la majeur comporte trois dièzes. Le ré bémol du violoncelle devient un do#. Un do dièze est-il équivalent à un ré bémol? Cela est vrai sur le clavier de nos pianos, instruments à tempérament égal, mais n'est plus vrai avec des instruments à cordes frottées. Dans ce cas, un comma, c'est-à-dire environ 5,5 Hz séparent le ré bémol d'un do dièze. Un violoniste peut entendre un tel intervalle, il lui suffit de bouger légèrement les doigts de sa main gauche, mais il faut une oreille exceptionnelle .Dans le cas présent, le violoncelle, après avoir joué un ré bémol, va en fait chercher le do# un octave plus bas, subtilité supplémentaire ! On peut lire également: https://fr.wikipedia.org/wiki/Enharmonie (3) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 1346-8.
Dernière édition par Piero1809 le Sam 10 Déc - 9:36, édité 2 fois
Au premier abord, la sonorité des cordes en boyau surprend un peu mais on s'y habitue rapidement et on peut profiter d'une très belle interprétation. La sonorité du violoncelle et celles de l'alto sont presqu'idéales, avec beaucoup de musicalité et de plénitude. Le phrasé est très harmonieux. Les violons sont excellents et le premier violon grimpe dans les hauteurs sans trembler, exercice souvent très difficile avec des instruments anciens munis de cordes en boyau. Le mouvement final est pris dans un tempo giusto tout fait convaincant et les quatre instrumentistes rendent justice à ce mouvement exceptionnel, à tous points de vue, même chez Haydn qui nous a habitué à l'excellence.
Si vous écoutez une autre interprétation ne manquez pas de me faire part de vos impressions!
Dernière édition par Piero1809 le Sam 17 Déc - 10:31, édité 2 fois
Napo
Messages : 16 Points : 18 Date d'inscription : 15/10/2016
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Sam 10 Déc - 2:54
Encore une fois, un immense bravo pour cette magistrale analyse de ce splendide (le mot est faible) quatuor 1 op.76 de Haydn, que j'ai réécouté pour l'occasion. Vivement votre analyse des quintes !
Benoît
Messages : 267 Points : 230 Date d'inscription : 21/08/2007 Age : 60 Localisation : Basse-Normandie
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Sam 10 Déc - 13:21
La pénétrance magistrale des analyses de Piero est une EVIDENCE comme le soleil qui éclaire chaque jour notre planète
Il n' y a pas tant que cela d' interprétations de cet opus 76 ; pour réécouter ce N° 1, j' en ai ressorti 2 versions :
- d' abord, celle des TATRAI qui m' a nourri dès le départ ( il y a fort longtemps déjà...) pour l' écoute de ces quatuors ( avant les Amadeus); sonorité plutôt rugueuse, guère de reprises, un Empereur en haut des cimes; c' est " fort " ; on peut la retrouver ici:
- enfin celle des BERG, absolument enthousiasmante, d' une beauté sonore inouïe ; on peut la retrouver ici:
Que du bonheur;la force sidérante de sa construction est remarquablement mise en valeur par Piero en des termes techniques qui laisseront sans doute le néophyte au bord du chemin mais pas besoin d' être un féru de musicologie pour apprécier ce joyau de la musique de chambre, de l' Art tout court, il suffit de se laisser emporter par cette musique sur une 20aine de minutes même s' il est difficile d' exprimer, après, avec des mots, tout le ressenti à l' écoute de ce quatuor qui a tout : le charme, la fantaisie, l' élévation de l' esprit, la profondeur de l' émotion, l' élégance.
Napo
Messages : 16 Points : 18 Date d'inscription : 15/10/2016
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Sam 10 Déc - 13:43
J'ai personnellement la version des Mosaïques chez moi, avec une superbe prise de son.
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Sam 10 Déc - 14:25
Merci beaucoup Napo et Benoît pour vos commentaires ainsi que vous références discographiques précieuses.
Concernant mes textes, il faut dire que H.C. Robbins Landon et Marc Vignal ont fait de remarquables analyses musicologiques de l'opus 76. Ils sont de toute évidence la référence. Je me suis efforcé toutefois de donner un point de vue personnel et original, inspiré avant tout de la lecture de la partition, qui souvent rejoint les conclusions de ces prestigieux auteurs, ce qui est pour moi un objet de satisfaction.
La connaissance des contemporains de Haydn ayant bien progressé, il est aussi passionnant d'entendre Haydn à l'aune de la production de ces derniers. Notre compositeur préféré ne souffre pas d'éventuelles comparaisons, bien au contraire!
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mar 20 Déc - 17:31
Quatuor en ré mineur opus 76 n° 2, Les Quintes, HobIII.76
Après un quatuor en sol majeur opus 76 n° 1, innovant dans tous les domaines, le quatuor en ré mineur opus 76 n° 2 est plus classique sur le fond et la forme. Son fantastique premier mouvement est cependant une des créations les plus abouties de Haydn tandis que les trois autres mouvements permettent à l'auditeur de souffler un peu en attendant de nouvelles émotions fortes.
Allegro, 4/4, structure sonate. Il doit son surnom à son thème constitué de deux quintes successives. Haydn va alors réaliser un tour de force : construire une vaste structure sonate avec seulement deux quintes. Ces dernières seront répétées tout le long du morceau sans provoquer chez l'auditeur le moindre sentiment d'ennui. Au contraire ce dernier aura l'impression à chaque retour du thème que quelque chose de nouveau et d'inattendu se produit et en tirera un sensation de plénitude. J'aime comparer ce morceau au premier mouvement de la symphonie n° 88 en sol majeur écrite plus de dix ans auparavant. Ce premier mouvement comporte les trois parties habituelles: exposition, développement, réexposition, chose tout à fait normale dans une structure sonate et se termine par une longue coda. Comme nous l'avons constaté dans le mouvement liminaire du quatuor précédent, la notion de développement devient plus floue. En effet tout est développement dans ce morceau puisque l'exposition et la réexposition contiennent déjà leur propre développement. Ajoutons à cela un contrechant du motif des quintes qui apparaît dans les trois sections et on arrive à se demander si, à la structure sonate classique, n'est pas en train de se substituer une forme nouvelle, consistant en variations perpétuelles sur le motif initial, les quintes en l'occurence. J'ai noté quelques passages extraordinaires. Dans le développement, on entend mesure 72 un étonnant canon, à deux temps d'intervalle, entre le premier violon et les basses sur le motif des quintes répété quatre fois. A un temps d'intervalle par rapport au premier violon, s'intercalent les quintes du second violon, produisant de profuses diaprures moirées et des dissonances étranges du fait des retards produits (1). A la fin de la réexposition, quatre quintes successives jouées par le violoncelle, s'enfonçent dans de mystérieuses profondeurs tandis que les trois autres instruments escaladent les hauteurs. L'effet est saisissant. Enfin la coda, très différente de ce qui précède (le motif de quintes a disparu) mais extrêmement dramatique, est basée sur les doubles croches frénétiques qui suivent le contrechant des quintes et le mouvement se termine fortissimo par une suite d'accords ascendants en doubles cordes.
Andante o piu tosto allegretto. 6/8, ré majeur. Après un mouvement aussi intense, une détente s'imposait. Ce mouvement serein; écrit dans un tempo "allant ou plutôt allegretto", est un compromis entre la forme Lied et la variation. Le thème, joliment harmonisé, est en deux parties, chacune entourée de barres de reprises. L'intermède central est de tonalité indéterminée, il débute en ré mineur, s'oriente en fa majeur, module en si bémol, puis sol mineur pour terminer en ré majeur, tonalité initiale du mouvement. On peut aussi le considérer comme une variation mineure sur le thème initial. L'épisode suivant est cette fois une variation très ornementée, entièrement en triples croches sur le thème initial, confiée au premier violon qui se termne par une cadence. Le mouvement s'achève piano par une délicate coda.
Menuetto Allegro 3/4. Canon à trois mesures d'intervalle entre les deux dessus à l'octave et les deux basses à l'octave également. Les menuets canoniques sont fréquents dans l'oeuvre antérieure de Haydn mais le mouvement auquel ce menuet me fait le plus penser est le menuetto in canone de la sérénade en do mineur K 388 de Wolfgang Mozart. Si le menuetto en ré mineur est classique, par contre le trio qui suit en ré majeur anticipe résolument le scherzo beethovénien avec ses noires staccato répétées obstinément d'abord piano, crescendo et fortissimo aux trois instruments les plus graves tandis que le premier violon s'envole vers les hauteurs. Cette impressionnante dynamique se répète avec plus d'audace encore dans le deuxième partie du trio, le piétinement des basses se fait plus sauvage encore et le violon grimpe fortissimo vers un ré suraigu (ré 6) triomphant.
Finale Vivace assai 2/4, structure sonate. Le thème initial au caractère magyar ou tzigane est entouré de barres de reprises, l'exposé du thème se termine par deux points d'orgue qui encouragent le premier violon à se livrer à une improvisation, intéressante possibilité vu le caractère hongrois du mouvement. Trois autres thèmes bien individualisés vont suivre, tous les trois à la tonalité du relatif majeur, c'est-à-dire fa majeur. La présence de quatre thèmes est rare dans un finale de Haydn. Il n'y a pas de barres de reprises entre l'exposition et le développement et de ce fait ce mouvement acquiert un caractère de rondo. Le développement est principalement basé sur le thème n° 2. La réexposition se déroule classiquement avec un un exposé du thème tzigane, ensuite l'armature change avec deux dièzes à la clé, on est donc en ré majeur, tonalité qui sera maintenue jusqu'à la fin. Aucun nuage ne vient ternir ce final robuste et joyeux.
(1). Les structures canoniques sont fréquents dans les sonates contemporaines de Clementi. Dans ses trois quatuors Prussiens K 575, 589 et 590 (1789-90), Mozart avait expérimenté des formules canoniques complexes avec les deux dessus jouant un canon classique sur le thème initial tandis que les deux basses entonnaient un autre canon sur le même thème mais inversé.
Dernière édition par Piero1809 le Dim 22 Jan - 11:11, édité 6 fois
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mer 21 Déc - 11:52
Après une excellente interprétation du quatuor opus 76 n°1, le quatuor Kuijlken m'a un peu déçu dans le n° 2 en ré mineur Les Quintes.
Ca démarrait pourtant bien avec un premier mouvement joué au tempo giusto. Certes, la sonorité très agréable des cordes en boyau nu ne peut concurrencer celle, bien plus brillante des cordes en acier des instruments des quatuors historiques mais on peut être assuré que ce que l'on entend avec le quatuor Kuijken, est infiniment plus proche de ce que Joseph Haydn entendait quand il écoutait ses oeuvres jouées par Salomon au premier violon que tout ce qu'on entend actuellement sur instruments modernes et avec un vibrato tout à fait anachronique (1).
Tout se gâte avec le second mouvement. Haydn a donné toutes les indications avec un luxe de détails: andante o piu tosto allegretto. Pourquoi jouer ce mouvement quasi adagio? Pourquoi ne pas écouter Haydn quand il nous parle avec tant de clarté? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Résultat ce mouvement se traine et on s'ennuie.
Excellent menuet et trio pris au tempo giusto. Le Vivace final par contre manque un peu de punch et de vivacité mais reste quand même attirant avec un bon phrasé et une remarquable intonation.
(1) Je rappelle que le vibrato systématique pratiqué par les musiciens sortant des conservatoires réputés, n'existait pas du temps de Giuseppe Haydn. Leopold Mozart s'en est explique dans son traité de violon. Le vibrato est un ornement qu'on utilise exceptionnellement au même titre qu'un mordant, tremblement ou trille.
Dernière édition par Piero1809 le Jeu 22 Déc - 10:06, édité 1 fois
Benoît
Messages : 267 Points : 230 Date d'inscription : 21/08/2007 Age : 60 Localisation : Basse-Normandie
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mer 21 Déc - 12:45
Une version superlative , du moins dans mes souvenirs, car c' est sans doute par celle là que j' ai fais connaissance de cette œuvre , il y a bien longtemps ... est celle des Italiano
Sinon , un petit aparté qui n' engage que moi : ça m' agace toujours un peu quand on applique l' adjectif " beethovenien" à une œuvre d' un autre compositeur antérieur au " maître de Bonn " , sous- entendu que ce " caractère " serait " une plus value " comme si Beethoven était au-dessus des autres( on dit cela souvent du 20ème concerto pour piano K466 de Mozart ) ; je ne ressens néanmoins pas cet aspect péjoratif dans la bouche de Piero mais j' ai lu tellement de choses sur ce sujet où Beethoven serait l' accomplissement ultime de la musique classique viennoise.
Haydn et son style ont suffisamment de personnalité et de caractère en soi...
Napo
Messages : 16 Points : 18 Date d'inscription : 15/10/2016
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mer 21 Déc - 14:52
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Benoit. Je pense que l'utilisation de l'adjectif beethovénien, tout comme les adjectifs mozartien et haydnien (Certaines oeuvres de Beethoven sont selon moi haydniennes, telle que la 8e symphonie, la 4e symphonie et les quatuors op.18) peut être tout à fait légitime. Dans le cas du quatuor op.76 numéro 1, l'utilisation du terme beethovénien quand au menuet qui est véritable scherzo (et on considère Beethoven comme étant celui qui a réellement remplacé le menuet par le scherzo), me semble parfaitement vraie. Mais que Benoit se rassure, je considère Haydn, Mozart et Beethoven comme étant trois artistes et compositeurs au talent égal
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mer 21 Déc - 16:02
Je suis d'accord avec Benoît et Napo. En fait je me suis mal exprimé et je vais corriger. Au lieu de dire beethovénien qui peut être compris comme un jugement de valeur, je vais dire:"....anticipe résolument le scherzo beethovénien..., affirmation factuelle.
Petite digression, peut-être H.S.. De Beethoven, on dit souvent qu'il peut être mozartien..., c'est vraiment le cas dans son quintette pour pianoforte, hautbois, clarinette, cor et basson opus 16, mais j'ai rarement entendu employer, à son sujet, le qualificatif haydnien...Les musicologues pourtant sont d'accord pour souligner la dette du plus jeune vis à vis de son ainé de deux générations! Pourtant je ne trouve pas que les quatuors de l'opus 18 soient "haydniens". Le n° 4 en do mineur ne doit rien à Haydn, Mozart, ou personne....Par contre le n° 5 en la majeur suit très exactement le plan du quatuor à cordes en la majeur K 464 de Mozart.
Comme quoi, chacun de nous a un ressenti qui lui est propre!
Quatuor en do majeur opus 76 n° 3, l'Empereur, HobIII.77
Le quatuor en do majeur opus 76 n° 3 tient une place particulière dans cette série de six, comportant des œuvres originales, voire révolutionnaires. Il est à la fois le plus développé, le plua classique, le plus extraverti et riche en superbes mélodies. A cause de son célèbre mouvement lent, dont le thème est celui du Volkslied, Gott erhalte Franz den Kaiser HobXXVIa.43, composé en 1797 en même temps que l'opus 76, ce quatuor est le plus souvent joué de la série. La complexité de l'écriture atteint des sommets ainsi que la difficulté de l'exécution qui exige des virtuoses à chaque pupitre.
Allegro, 4/4, structure sonate. Tout le mouvement est bâti sur un thème composé de quatre motifs dont le premier (motif 1) va être utilisé constamment. Dès la mesure 4, ce motif sera contrepointé par une gamme en rythmes pointés. Cette alliance motif 1, contrechant va reparaître dans les combinaisons les plus variées, les contrastes dynamiques les plus violents et les tonalités les plus éloignées ( par exemple, mesure 32, le motif 1 reparait pianissimo dans la tonalité éloignée de mi bémol majeur dans un contexte de sol majeur). Un second thème à la dominante apparaît mesure 23, on constate toutefois qu'il s'agit toujours du même motif 1, habillé de façon nouvelle ce qui crée l'illusion d'un second thème. Au cours de l'exposition on entend de nouveau le motif 2 du thème initial qui va donner lieu par deux fois à une suite très brillante comportant des intervalles de un à deux octaves au premier violon et au violoncelleI. La sonorité de ce passage est éclatante. Le développement débute avec le motif 1 à l'alto puis au violoncelle contrepointé par le même contrechant que dans l'exposition au premier violon. Débute ensuite un long passage en mi majeur où le motif 1 puis le contrechant au rythme pointé sont longuement exposés tandis que violoncelle et alto scandent en quintes et à contre temps, une vigoureuse basse de musette de caractère très rustique qui n'est pas sans rappeller maints passages du finale de la symphonie n° 82 l'Ours. La réexposition au début est voisine de la première partie mais bientôt apparaissent d'importants changements, et notamment un nouveau développement sur le motif 1 du premier thème réduit à deux notes seulement, passage suivi par un passage encore plus étrange en blanches mystérieuses et ce mouvement se termine tandis que le premier violon escalade les hauteurs. Ici encore la distinction tripartite formelle exposition, développement, réexposition,, a une signification moindre dans ce mouvement car tout est développement ici et Joseph Haydn a de plus en plus tendance à brouiller les lignes qui séparent les trois parties de la structure sonate.
Poco adagio cantabile, sol majeur, 2/2, Thème varié. Le thème est comme on l'a dit quasiment identique à celui du Gott erhalte, composé par Haydn la même année. Il est en deux parties chacune répétée une fois. Dans toutes les variations, le thème est énoncé sans aucun changement à la manière d'un cantus firmus. La première variation est confiée aux deux violons, le thème au second violon tandis que le premier accompagne avec une délicate broderie entièrement en doubles croches et sempre piano. Dans la variation 2, le thème est au violoncelle, les trois autres instruments jouent des contrechants indépendants, il en résulte une indicible harmonie et une sonorité dont Harry Halbreich a loué la modernité (1). C'est l'alto qui joue le thème dans la variation 3, les autres instruments et notamment le premier violon et le violoncelle jouent des parties canoniques par mouvements contraires de plus en plus chromatiques et tendues, génératrices de dissonances furtives et de modulations troublantes. C'est maintenant le premier violon qui joue le thème dans la dernière variation. La tonalité est maintenant le relatif mineur soit mi mineur. Le premier violon et les autres instruments évoluent dans l'extrême aigu. Seul le qualificatif sublime est approprié pour décrire la spiritualité, la splendeur, l'harmonie d'une telle musique. Fin pianissimo dans le recueillement.
Menuetto Allegro ¾. Retour sur terre avec le menuetto de vastes dimensions mais toutefois relativement classique. Le trio en la mineur est plus original, son thème possède un caractère élégiaque et une grande beauté mélodique, il prend en outre des accents schubertiens notamment dans la deuxième partie du trio quand le thème est repris en la majeur.
Finale, Presto, do mineur, 2/2, structure sonate. C'est un finale en apothéose qui aurait pu couronner la série entière si Haydn avait placé en fin de liste ce quatuor. Comme dans le quatuor en sol majeur n° 1 de l'opus 76, le dernier mouvement adopte le mode mineur et plus précisément la tonalité homonyme mineure, c'est-à-dire do mineur .Cette tonalité de do mineur provoque un choc de même que les trois accords très violents et arrachés par les quatre instrumentistes qui ouvrent le mouvement auxquels fait suite le thème principal énoncé piano. Ce thème principal prend par la suite un caractère de choral et donne lieu à des canons qui accentuent son caractère recueilli, rappellant certains passages des sept messes que Haydn composait entre 1796 et 1802. Par la suite les violents accords réapparaissent plusieurs fois accompagnés par un nouveau motif en triolets. A la fin de l'exposition, les trois instruments les plus aigus sabrent furieusement les accords tandis que le violoncelle déroule ses triolets de croches dans un passage d'une virtuosité transcendante. Dans le long développement contrapuntique qui suit, le thème principal et les triolets sont combinés dans un fugato très tendu qui aboutit à un unisson et enfin aux accords encore plus déchainés du début. C'est la réexposition et, surprise, le thème principal est subitement exposé pianissimo et en valeurs longues (rondes pour l'accompagnement) mais ce n'est qu'un court répit avant de nouveaux combats encore plus furieux. Soudain l'armature change, les trois bémols disparaissent et on arrive à la tonalité homonyme majeure c'est à dire do majeur, tonalité principale du quatuor. La situation est très voisine de celle de la fin du quatuor n° 1 en sol majeur mais l'impression produite est différent car ici, contrairement au finale du quatuor n° 1 où on assistait à une détente spectaculaire, le passage au mode majeur ne se traduit pas ici par un changement sensible d'atmosphère et le quatuor se termine avec les accords du début dans un déchainement de puissance. Par ses dimensions, sa puissance et sa sonorité éclatante, ce mouvement final (ainsi que le quatuor tout entier) ouvre toutes grandes les portes du romantisme.
(1) Harry Halbreich, notice de l'enregistrement du quatuor Danois, label Valois, septembre 1964. (2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 1350-1.
Dernière édition par Piero1809 le Ven 10 Fév - 11:19, édité 2 fois
Exécution remarquable du quatuor opus 76 n° 3 l'Empereur par le quatuor Kuijkens.
J'ai adoré. Tous les mouvements sont pris au tempo giusto et notamment le poco adagio qui ne traine pas comme c'est parfois le cas. Les instruments d'époque donnent beaucoup de vie et de présence, on ressent en soi les vibrations des cordes en boyau qui donnent au phrasé tout son caractère.
Le sommet est le quatrième mouvement. Je ne l'ai jamais entendu avec tant de puissance et de tension. Les quatre musiciens rendent justice au caractère de cette musique tellement hardie qu'elle nous plonge d'emblée dans le romantisme. Les accords sabrés par les seize cordes donnent le frisson. Bravo!
Qu'en pensez-vous? Les versions de ce quatuor sont innombrables et il faut absolument distinguer les versions sur instruments d'époque d'avec les versions sur instruments modernes. Ce sont des esthétiques très différentes et je ne fais pas ici de jugement de valeur en faveur de l'une ou de l'autre. Oui je sais, les Amadeus et autres immenses quatuors du passé jouaient sur des violons prestigieux datant du 18ème siècle et même plus anciens, mais ce n'étaient pas des instruments d'époque car ils étaient équipés de cordes en acier, de chevalets modernes et ont été passablement trafiqués au cours des âges. Par contre un violon baroque fabriqué aujourd'hui par un luthier spécialisé, dans les règles de l'art, dans une optique historiquement informée et équipé de cordes en boyau pourra avoir un magnifique son baroque!
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Mer 11 Jan - 11:40
Quatuor en si bémol majeur opus 76 n° 4 Lever du Soleil HobIII.78
Ce quatuor à cordes tient une place particulière dans la série de l'opus 76. Joseph Haydn continue de bousculer les formes classiques et privilégie aussi la beauté mélodique.
Allegro con spirito, 4/4, structure sonate. Une fois de plus, Haydn malmène la forme sonate dans cet allegro. On rappelle ici que la structure sonate se compose classiquement de trois parties. Les idées principales du mouvement sont présentées dans l'exposition. Dans le développement, les idées ou les motifs de l'exposition, donnent lieu à un travail à la fois harmonique et contrapuntique où toutes leurs facettes seront exploitées. La réexposition consiste en une version plus ou moins variée de l'exposition. Ce schéma trouve son apogée dans des structures sonates comme celles du quatrième mouvement de la symphonie en do majeur n° 82, l'Ours ou bien de l'allegro, deuxième mouvement du quatuor en fa mineur opus 55 n° 2 Le Rasoir, etc... où le développement est particulièrement élaboré. Dans le présent premier mouvement, la division en trois sections subsiste mais plus rien ne les distingue au plan du contenu. Dans les trois cas on observe un premier thème, longue phrase musicale lyrique, contrastant très vivement avec un long passage en doubles croches conquérantes au caractère essentiellement rythmique que l'on peut assimiler à un deuxième groupe de thèmes. Des différences sensibles existent dans les diverses présentations du premier thème, différences concernant le phrasé, l'agogique, les tonalités, notamment dans la réexposition où ce premier thème est considérablement développé et élaboré. A la structire sonate classique se superpose ainsi un nouveau plan consistant en variations de grande ampleur sur deux groupes de thèmes. Le thème principal joué par le premier violon, est un des plus fascinants de tout Haydn. A l'oreille il donne l'impression d'un tempo lent et cela tient aux quatre rondes tenues par le second violon, l'alto et le violoncelle. Le caractère ascendant du thème conjugué à l'immobilité de l'accompagnement justifie ce surnom Lever du Soleil, aussi approprié que le surnom l'Alouette attribué à l'opus 64 n° 6. Haydn est un créateur d'images, épiques et grandioses dans La Création ou les Saisons, ces images sont plus discrètes mais tout aussi saisissantes dans le présent quatuor à cordes. Surprise, là où on attend un deuxième thème, le grand thème lyrique du début reparait en fa majeur dans le registre aigu de la tessiture du violoncelle, on assiste à un renversement de ce thème qui s'enfonce maintenant dans les profondeurs de l'instrument, passage éminemment mystérieux et génial. Dans le développement la forme ascendante du thème est utilisée dans la tonalité de ré mineur, et le caractère de ce dernier est changé par des chromatismes inquiétants. Une nouvelle mouture du thème dans la réexposition combine la version descendante du thème ainsi que d'audacieux chromatismes. La sonorité qui en résulte m'évoque certains passages du quatuor à cordes n° 14 de Beethoven en do # mineur. C'est une dernière version apaisée du thème initial qui figure dans la coda et le dernier mot appartient aux doubles croches du thème rythmique, joué fortissimo et plus extraverti que jamais. Un accord arraché par onze cordes sur les seize des quatre instruments, dont trois au seul violoncelle, termine ce mouvement
Adagio, mi bémol majeur, ¾. La forme utilisée dans ce mouvement n'est pas aisée à déterminer. On assiste à quatre exposés d'un thème grave et solennel. Je n'aime pas utiliser le qualificatif sublime qui, galvaudé, ne veut plus rien dire. Mais ici ce terme s'impose. Voici un nouvel exemple de ces mouvements lents de Haydn où le temps semble s'arrêter. L'exemple précédent était l'adagio du quatuor opus 76 n° 1 mais ici l'impression est différente. A la sérénité quasi religieuse de ce dernier succède ici une couleur plus sombre et plus inquiète. Chaque exposé du thème correspond à un approfondissement : le deuxième exposé en mi bémol mineur est particulièrement poignant, le troisième exposé en canon donne lieu à une effusion passionnée. Enfin le dernier exposé se signale par une étrange modulation d'une tristesse infinie, révélatrice peut-être de l'état d'esprit de Joseph Haydn en 1797 ou à d'autres périodes de sa vie (1).
Menuetto, Allegro ¾. Le menuetto, relativement classique, contraste avec un trio aventureux ! Ce dernier est en si bémol majeur comme le menuet, il débute par une pédale de musette aux basses, un si bémol à l'octave auquel se superpose un thème étrange, totalement asymétrique, à la rythmique complexe, joué par les deux violons octaviés. La tonalité de ce thème est imprécise, on commence en si bémol majeur et on termine en si bémol mineur. Après les barres de reprise, le thème revient agrémenté par un magnifique contrechant à l'alto qui exalte sa profonde originalité. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus, de l'étrangeté des idées ou du soin apporté à leur mise en œuvre (profusion d'indications dynamiques).
Finale, Allegro, ma non troppo, 2/2, Rondo. Comme souvent chez Haydn, la forme rondo adopte un caractère particulier proche du thème varié. On observe cette formule dans des œuvres aussi anciennes que le finale de la symphonie n° 52 en si bémol majeur datant de 1773. Ici le refrain et les couplets sont encadrés par des barres de reprises. Le refrain a un caractère populaire marqué et m'évoque une chanson anglaise. Le premier couplet est en fait un petit développement sur le refrain suivi par un nouvel exposé de ce dernier. Un vaste couplet en si bémol mineur suit, il est en deux parties, encadrées par des barres de reprises et peut aussi être considéré comme un développement sur le thème du refrain ou bien comme la variation mineure d'un thème varié. Le thème de ce couplet est presqu'identique à celui du refrain, il débute en si bémol mineur mais module rapidement en ré bémol majeur. La deuxième partie de ce couplet démarre en fa mineur d'une manière dramatique et aboutit à une reprise de la première partie du couplet. Le retour du refrain est amené avec beaucoup de grâce, il est suivi par un épisode symétrique du début du morceau. On arrive maintenant à un piu allegro où le refrain est fragmenté en petits motifs de quatre croches puis de trois, partagés par les quatre instruments avec une coordination d'une précision millimétrée. Une fois de plus on pense aux derniers quatuors de Beethoven. Le piu presto final est une dernière variation sur le thème du refrain dont l'énergie interne est totalement libérée. Un unisson fortissimo met un point final à ce mouvement.
A mon humble avis, ce quatuor à cordes merveilleux tient dans la série de l'opus 76, la même place que le quatuor en mi bémol majeur K 428 dans la série des quatuors de Mozart dédiés à Haydn. On retrouve dans les deux cas un premier mouvement mystérieux, un mouvement lent quasi métaphysique et deux mouvements terminaux plus légers. Cette comparaison ne veut pas dire que je mets sur le même plan deux compositions distantes de plus de quinze années dont l'une est l'oeuvre d'un jeune homme testant sa puissance créatrice et l'autre le couronnement d'une vie de recherche et d'expérience (2) !
(1) Joseph Haydn était en droit de se poser quelques questions à cette époque. A la richesse de sa vie sociale, il pouvait également opposer sa solitude au plan familial. (2) Expérience, terme employé par Marc Vignal qui cite Rosemary Hughes, auteur de la locution Songs of Experience (chants d'expérience) à propos des quatuors de l'opus 76. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p. 1345-60.
Dernière édition par Piero1809 le Ven 10 Fév - 11:24, édité 5 fois
Interprétation qualitative du quatuor à cordes en si bémol majeur opus 76 n° 4 par le quatuor Kuijken.
La technique est impeccable et les instruments d'époque font le reste. Plus besoin de vibrato pour transmettre de l'émotion surtout quand ce vibrato devenu systématique ne veut plus rien dire. Le musicien baroque ou classique utilise son archet pour exprimer ses états d'âme : maîtrise du phrasé, temps forts et faibles en alternance sur les tirés et poussés respectivement, variations dynamiques à l'intérieur d'un coup d'archet, un trille ça ou là quand il le faut (en plus de ceux indiqués avec la plus grande précision par le compositeur), etc...
Certes le résultat est souvent moins brillant ou éclatant que celui obtenu avec les cordes en acier (1) mais tellement plus proche de ce qu'entendait Haydn!
(1) Quand on mit un violon entre mes mains, il était équipé de cordes en boyau car les cordes en acier n'existaient pas, du boyau de chat me disait-on! En fait il s'agissait (et il s'agit toujours) de boyau de mouton.
J'ai vu quelque part le surnom Grand largo solennel pour ce quatuor mais il ne me semble pas que ce surnom soit entré dans les habitudes. J'avais dit au début de cette étude que Haydn s'apprêtait à dynamiter la forme sonate. C'est chose faite dans le premier mouvement de ce quatuor.
Allegretto, 6/8, forme indéterminée. Chez Haydn, la structure sonate s'impose dans les premiers mouvements de la plupart de ses œuvres. On peut toutefois constater, dans les premiers mouvements de trois des quatre premiers quatuors de l'opus 76 (les n° 1, 3 et 4), une évolution de la structure sonate. Les contours de cette dernière apparaissent de plus en plus flous au fur et à msesure qu'on progresse dans la série. Cette forme devient même méconnaissable dans le n° 5. Bien sûr, le long intermède mineur qui apparaît dès la mesure 30 et jusqu'à la mesure 60, pourrait être considéré à la rigueur comme un développement faisant suite à une courte exposition de 30 mesures. Si on considère les 60 mesures restantes comme la réexposition plus la coda, ce plan validerait une structure sonate profondément modifiée. En fait Haydn reprend dans ce mouvement très exactement le plan du mouvement final du quatuor n° 4 en si bémol majeur précédent qui s'apparentait déjà plus à un rondo ou un thème varié qu'à une structure sonate. Parlant de Claude Debussy, un commentateur de l'époque disait : Cette musique ne vivra pas car elle n'a pas de forme. La postérité s'est empressée de contredire cette affirmation ! Qu'importe la forme (rondo, sonate, variation....) quand la fantaisie débridée, l'invention de tous les instants, l'esprit étincelant, l'humour irrésistible sont au rendez-vous !
Le premier mouvement du quatuor n° 5 de l'opus 76 s'ouvre avec un thème au rythme de Sicilienne très chantant. Le thème est répété avec des nouveaux ornements et broderies et cette répétition aboutit à un point d'intérrogation. Une réponse suit et une troisième répétition du thème achève cette première partie. Le premier intermède débute en ré mineur avec le thème au violoncelle tandis qu'un contrechant apparaît au premier violon. On pense à un début de fugato mais tout s'arrête et un divertissement en si bémol majeur constitué de gammes aériennes en imitations entre les deux violons au dessus de légères batteries en doubles et triples croches de l'alto et du violoncelle, prend le relai. Un double canon du thème principal et des gammes en notes piquées mettent fin à cet intermède. Dans la section suivante, le thème initial, cette fois dans le ton principal, encore plus varié et ornementé qu'auparavant, est exposé de nouveau et on arrive à une nouvelle section marquée Allegro dans laquelle le thème plus son contrechant donnent lieu cette fois à un fugato plein d'esprit. Le mouvement se termine avec le divertissement plus aérien et spirituel que jamais tout en doubles croches piquées legerissimo . Toutes ces sections sont limitées par des barres sans reprises, entrainant la plus grande fluidité dans le discours musical. Ce mouvement témoigne d'un art parvenu à son sommet.
Largo, cantabile et mesto (largo, chantant et triste), fa dièze majeur, structure sonate, 2/2. Le contraste est total entre un premier mouvement léger comme l'air et ce largo d'une profondeur inouie. Avec six dièzes à la clé, la tonalité de fa # majeur est exceptionnelle dans une œuvre pour instruments à cordes à cause de la difficulté d'exécution de la musique. L'impossibilité d'utiliser les cordes à vide et la fréquence des demi-positions entrainent en effet des problèmes de justesse. L'adagio du trio pour pianoforte, violon et violoncelle HobXV.24 de 1795 était également en fa # majeur. Cette tonalité est également celle du mouvement initial de la symphonie n° 10 composée en 1910 par Gustav Mahler., seul mouvement achevé par le compositeur sur les cinq prévus. Ce magnifique largo de cent mesures est construit autour d'un thème admirable de neuf mesures d'un souffle exceptionnel. La présence de plusieurs rythmes pointés (croche pointée-double croche) lui confère beaucoup de tension. La pulsation choisie par Haydn, dans laquelle la blanche est l'unité de mesure, amplifie l'impression de lenteur du tempo et la solennité de ce thème. Ce thème va ensuite parcourir tout le mouvement soit dans sa forme initiale, soit sous diverses formes réduites pouvant aller aux deux notes du rythme pointé noté ci-dessus. Au milieu du morceau s'ouvre un développement : le thème est repris en mi majeur par le premier violon dans les hauteurs. Les modulations qui suivent sont presque tristanesques, notamment la descente chromatique jouée par le second violon, l'alto et le violoncelle à l'octave accompagnant le premier violon. L'émotion est à son comble quand l'alto reprend le thème en sol majeur et surtout quand le violoncelle, dans son registre le plus grave et dans la tonalité mystérieuse de do # mineur, fait passer ce thème à travers les modulations les plus déchirantes. Chose exceptionnelle, la réexposition ne manifeste que peu de changements par rapport à l'exposition. Il n'y a pas de broderies et ornements nouveaux comme c'est souvent le cas dans les mouvements lents de Haydn. Probablement Haydn a trouvé le déroulé musical tellement parfait qu'il ne pouvait ni ajouter ni retrancher une seule note. Ce sublime mouvement strictement monothématique s'achève pianissimo dans la tristesse comme il avait commencé.
Menuetto, Allegro en ré majeur. Retour sur terre avec le menuet et son trio. C'est devenu une habitude dans l'opus 76 car les mouvements lents sont tellement beaux et évoluent dans des sphères tellement hautes que n'importe quel mouvement situé après eux, paraîtra prosaïque. Le trio en ré mineur consiste en un beau solo du violoncelle accompagné par les amusants grupettos du premier violon.
Finale, Presto en ré majeur, 2/4. Structure sonate. Il s'ouvre par un court portique au caractère purement rythmique. Le thème principal jaillit ensuite au premier violon soutenu par les batteries du second violon et de l'alto. Ce thème qui se meut agilement dans un intervalle restreint d'une quinte, est ensuite énoncé par le violoncelle. Il va circuler comme le sang dans les veines à travers tout le morceau, soit sous sa forme initiale soit sous forme de son renversement. Il n'y a pas de second thème mais une version ascendante et conquérante du thème initial. La virtuosité requise par les quatre instrumentistes est ébouriffante du fait de l'extrême vélocité de la musique. De plus le premier violon est obligé d'atteindre le mi 6, note la plus aigue qu'un violoniste d'exception est capable d'atteindre sans offense à la justesse. Pas de barres de reprises qui pourraient arrêter le fluide qui donne la vie à ce mouvement. Le développement débute avec le thème en si bémol majeur, tonalité éloignée du ré majeur initial.. La forme initiale du thème et sa forme inversée s'affrontent ensuite. C'est ensuite un motif de quatre doubles croches du thème qui font l'objet de belles modulations. La réexposition est très modifiée, en effet le portique d'essence rythmique qui avait ouvert le mouvemen fait l'objet d'un développement imprévu tandis que les quatre doubles croches du thème dont nous avons souligné l'énergie interne, s'articulent avec le thème principal. On note toutefois que cette réexposition est amputée d'une partie assez importante de l'exposition, procédé utilisé souvent par Haydn dans ses œuvres de jeunesse. Ensuite il n'y a plus de grands changements jusqu'à la fin. Par ses rythmes incisifs, la motricité de son thème et ses nombreux ostinatos, ce presto final possède un côté balkanique qui n'aurait pas déplu à un Bela Bartok, dans l'hypothèse où le grand compositeur hongrois aurait connu ce quatuor de Haydn, hypothèse probable vu l'intérêt très vif que Bartok, auteur de six magnifiques quatuors, vouait à ce genre musical.
Dans son analyse de ce quatuor, Marc Vignal a cité en toutes lettres quelques réflexions de Fanny, soeur de Felix Mendelssohn et du violoniste, Joseph Joachim, sur ce quatuor qui témoignent de leur admiration pour l'oeuvre (1). Le musicologue Harry Halbreich a analysé avec beaucoup de pénétration et de profondeur ce quatuor à cordes (2).
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p. 1354-5. (2) Harry Halbreich, Notice pour l'enregistrement du quatuor Danois, Valois mai 1967.
Dernière édition par Piero1809 le Sam 11 Fév - 19:08, édité 6 fois
Interprétation sobre et rigoureuse du quatuor à cordes en ré majeur opus 76 n° 5 par le quatuor Kuijken.
On rappelle que ce quatuor jouant sur instruments anciens équipés de cordes en boyau nu, le son produit par les quatre instrumentistes, est forcément moins brillant que celui d'instruments modernes montés avec des cordes en acier, mais évidemment plus conforme à ce que Haydn entendait.
Le premier mouvement, Allegretto, est joué avec la fantaisie et la légèreté requise. Le premier violon est très à l'aise avec cette partition très virtuose. Le grand largo solennel est joué avec toute la noblesse requise et dans un tempo pas trop lent. Le trio du menuet pourrait être plus mystérieux et inquiétant. Je trouve que le violoncelliste manque un peu de conviction dans son solo. Excellent presto final très musclé, dynamique avec toujours la pointe d'humour qui est la marque de Joseph Haydn dans toutes ses oeuvres.
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Jeu 16 Fév - 10:10
Quatuor en mi bémol majeur opus 76, n° 6, HobIII.80
Le dernier de la série est le plus révolutionnaire des six. C'est visiblement une œuvre expérimentale et chaque mouvement se distingue par sa nouveauté aux plans de la forme et du fond.
Allegretto, 2/4, thème et variations. La première partie du thème comporte 8 mesures, elle commence par un si bémol et se termine par la même note tout en évoluant prudemment dans un ambitus d'une sixte. La deuxième partie du thème est plus animée avec de nombreux rythmes pointés. Comme c'est souvent le cas chez Joseph Haydn, le thème reste immuable dans toutes les variarions à la manière d'un cantus firmus. Ce caractère suffit d'emblée à différencier Haydn de Mozart dans ce genre de la variation. En effet, Mozart procède différemment en modifiant constamment le thème jusqu'à le rendre méconnaissable dans ses variations les plus élaborées (trio à cordes en mi bémol majeur, K 563 par exemple). Dans la première variation, le thème passe au second violon tandis que le premier violon joue un accompagnement syncopé. Le thème passe au violoncelle dans la deuxième variation, triomphe des rythmes pointés aux trois autres instruments. La troisième variation commence par un canon entre le premier violon d'une part, l'alto et le violoncelle à la tierce d'autre part.. Les belles figurations souvent syncopées du premier violon en agiles doubles croches sont remarquables. Changement de tempo, on arrive à un allegro, partie la plus excitante du mouvement. Le thème se transforme en sujet de fugue au second violon tandis qu'à l'alto apparaît un contre-sujet très dynamique, composé des trois croches fatidiques que Haydn utilise dans plusieurs œuvres en mi bémol majeur (sonate n° 59, symphonie n° 99) modulant à la sous-dominante. Le contrepoint se maintient pendant quarante mesures particulièrement jubilatoires mais on retourne aux variations précédentes notamment aux rythmes pointés de la deuxième variation. On ne peut qu'admirer l'élégance des gruppetos qui ornent la phrase conclusive de ce mouvement qui débutant piano se termine fortissimo.
Fantasia, Adagio, si majeur. Le terme de fantasia a été utilisé aussi par Haydn pour le largo de la symphonie en ré majeur n° 86. Ce terme est employé par Wilhelm Friedemann Bach, dans ses trois duos pour deux altos, dernier écho du style phantasticus des maitres d'Allemagne du nord, Buxtehude et consorts. La forme de ce mouvement lent est difficile à cerner et on se contentera de la dénomination de fantasia qui recouvre toutes les possibilités ! Personellement je vois ce mouvement comme un prélude consistant en une étude harmonique sur les changements de ton suivi d'une fugue où s'épanouit un travail contrapuntique des plus complexes. Haydn n'indique aucune altération à la clé ce qui lui permettra par la suite la plus grande liberté dans les modulations, toutefois la tonalité de si majeur est affirmée dès le début. On a beaucoup glosé sur l'audace harmonique de ce prélude, parlant même d'acte de décès de la tonalité classique et citant le 2ème quatuor en fa# mineur d'Arnold Schönberg où un 4ème mouvement atonal fait suite à trois mouvements encore tonaux. Tout cela est, de mon point de vue, très éxagéré. Le thème en si majeur est admirablement harmonisé et l'effet sonore obtenu est vraiment splendide. Ce thème est répété pianissimo et module au relatif mineur, sol# mineur. Une transition jouée pianissimo par le premier violon seul, consiste en gammes qui introduisent un retour du thème à la sous-dominante, mi majeur, puis, après un crescendo, à deux accords fortissimo en sol majeur. Les gammes passent maintenant au violoncelle solo pianissimo et le thème reparraît cette fois en si bémol majeur. On arrive alors à une superbe et troublante modulation vers do bémol majeur puis on revient à si majeur par enharmonie. Une nouvelle transition conduite au ton de sol # mineur puis à trois points d'orgue et le retour par enharmonie du thème dans sa forme initiale mais en la bémol majeur. Toutes ces modulations sont réalisées avec le plus grand art. Comme d'autre part la mélodie est le plus souvent diatonique, aucune sensation de dureté n'est ressentie (1). Pour la dernière fois les gammes au violoncelle aboutissent à des barres sans reprise et au retour du thème dans la tonalité initiale de si majeur, cette fois, affichée avec une armature de cinq dièzes. Le thème légèrement modifié devient sujet de fugue à quatre voix : le second violon démarre, le premier violon entonne ensuite le sujet en fa# majeur, puis le violoncelle en si majeur et enfin l'alto en fa# majeur. Le fugato se hisse ensuite dans les hauteurs , moment privilégié, presque religieux avec des sonorités qu'on retrouvera dans la fugue qui ouvre le quatuor n° 14 en do# mineur de Beethoven. La coda en quelques mesures d'une densité exceptionnelle résume l'essence du morceau. Le thème est repris piano puis pianissimo, chaque fois avec une incursion vers sol dièse mineur et une dissonance frappante (le la# de l'alto frotte âprement avec le la bécarre du second violon). Ces altérations d'une tristesse infinie rappellent la coda de l'adagio du quatuor opus 76 n° 4. Fin murmurée par le violoncelle. Ce sublime mouvement lent serait-il le plus extraordinaire de tous ceux de l'opus 76?
Menuetto, Presto, 3/4. Nous voici arrivé au menuetto le plus audacieux (avec celui du quatuor n° 1) de ceux de la série de l'opus 76. C'est un véritable scherzo. Le thème conquiert les hauteurs grâce à d'impressionnants sauts d'octave et d'intervalles plus périlleuxs encore.. A la fin de la deuxième partie, des gammes en mouvements contraires terminent fortissimo. Le trio Alternativo est encore plus hardi. Le thème est une simple gamme descendante au violoncelle. Cette gamme sera ensuite répétée par les autres instruments avec chaque fois une harmonisation différente. La même séquence se reproduit avec la même gamme devenue ascendante, puis de nouveau avec la gamme descendante mais avec de nouveaux contrechants et de nouvelles modulations. Ce schéma se reproduira six fois en tout avec une invention et une fantaisie extraordinaires. Ainsi, grâce à la science et l'inspiration de Haydn, une simple gamme est capable d'engendrer un plaisir musical merveilleux.
Finale, allegro spirituoso, ¾, structure sonate, avec esprit nous dit l'auteur. C'est un des mouvements les plus impressionnants de Haydh, d'un seul tenant, bâti sur un seul thème, bancal, anguleux, au rythme implacable qui se maintient sans le moindre repos. Il a tout pour décontenancer l'auditeur qui ne dispose d'aucun repère rythmique et qui ne sait pas si la pulsation est 6/8 ou bien ¾. Quand le thème est repris en canon par les deux instruments les plus graves à l'octave d'une part et les deux instruments les plus aigus, à l'octave également d'autre part, le désarroi (ou le délice) de l'auditeur est à son comble! Ce mouvement me fait penser au premier mouvement de la symphonie n° 28 en la majeur de 1765, composée plus de trente ans auparavent, aussi déchainé, abrupt que ce mouvement de quatuor et avec la même ambiguité rythmique. De nombreux auteurs et notamment Marc Vignal ont pointé du doigt l'extrême audace rythmique des vingt premières mesures du développement (2,3) où le thème est au violoncelle au dessous de sauvages accords à contre-temps des trois instruments les plus aigus, tandis que le premier violon se lance dans une improvisation qui part dans tous les sens avec des mesures irrégulières à quatre, trois, deux, quatre, trois, deux, quatre, quatre, quatre, six, sept temps. Le développement, si on peut l'appeler ainsi, s'arrête bientôt et la réexposition arrive inopinément avec un trait de génie du violoncelle qui reprend le thème inversé, en mouvements contraires. Cette réexposition, avec ses contre-temps, ses déhanchements, ses contrepoints plus agressifs que jamais, met un point final au quatuor le plus étrange et le plus visionnaire de Joseph Haydn...
(1) Personellement je trouve bien plus audacieuses les modulations de l'andante du quatuor opus 54 n° 1 en sol majeur où Haydn nous emmène dans des contrées bien plus mystérieuses. (2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 1256 et sequentes. (3) Harry Halbreich, Notice pour l'enregistrement du quatuor Danois, Valois mai 1967. Ce beau texte de Harry Halbreich m'avait impressionné lors de la parution du microsillon. J'ai tenté de m'abstraire de ce texte en livrant mon sentiment personnel.
Dernière édition par Piero1809 le Sam 18 Fév - 18:51, édité 2 fois
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Ven 17 Fév - 11:47
Ce quatuor à cordes en mi bémol majeur opus 76 n° 6, plus austère, plus intellectuel que les cinq autres de l'opus 76, est particulièrement difficile à exécuter, non pas tellement à cause des difficultés techniques (ce quatuor est moins virtuose que les précédents) mais en raison du contraste existant entre l'abstraction des mouvements rapides, et l'hyper émotion émanant de la fantasia.
Il convient très bien au quatuor Kuijken. Les instruments d'époque apportent un plus indéniable. Les tempos sont justes, l'intonation parfaite. La fantasia ne déçoit pas, et reste entre les archets de ce quatuor, un mouvement d'exception chez Haydn et dans toute la musique. Le mouvement le plus réussi est l'allegro spirituoso final, vraiment éblouissant, particulièrement disruptif, terme utilisé avec beaucoup d'à propos par Marc Vignal.
Sujet: Re: LES QUATUORS OPUS 76 Jeu 30 Aoû - 11:21
Benoît a écrit:
Ecrits en 1797, les 6 quatuors op. 76 de Haydn ( Hob.III :75 à 80) forment l’ une des plus prestigieuses séries de quatuors du maître.Ils sont contemporains de la Création. Le dédicataire est le comte Joseph Erdödy « chambellan et Conseiller Intime Actuel d’ Etat de S. Maj. L’ Empereur et Roy »(la comtesse Marie Erdödy, à qui Beethoven dédia en 1809 ses 2 trios op. 70,était l’ épouse du comte Peter, de la branche aînée).
Rosemary Hughes les définit comme autant de « chants d’ expérience ».Ces ouvrages concentrent l’ expérience de toute une vie, mais comme toujours,découvrent de nouveaux horizons.Comme l’ écrit Landon, on décèle dans cet opus « une assurance aussi considérable que la modestie personnelle de Haydn ».
En général, l’ attention est attirée par l’ existence de mouvements lents d’ une profondeur inouïe, et évoluant à une allure confinant parfois à l’ immobilité,qu’ on ne retrouvera que dans les derniers quatuors de Beethoven, qui en 1799 au moment de la parution de ces chefs-d’ œuvre, travaillait à son opus 18........
Merci encore Benoit pour ce remarquable article qui a ouvert ce fil consacré à l'opus 76 et dont je cite seulement le début.