Le Trio n° 23 en mi bémol majeur (HobXV.10) est le dernier de la série de six trios pous piano, violon et violoncelle composés par Joseph Haydn entre 1784 et 1785 et publiés par l'éditeur Forster. Alors que les cinq oeuvres précédentes, bien que remarquables, sont, à mon humble avis, représentatives d'un genre musical qui se cherche encore, le trio n° 23 est un chef-oeuvre totalement abouti.
D'emblée, le premier mouvement Allegro moderato marque sa différence avec les premiers mouvements des trios précédents. Le thème principal frappe par sa noblesse, la plénitude de sa sonorité. Quelques mesures plus loin le thème fait l'objet de canons entre le violon, la main droite du pianiste d'une part et les basses d'autre part, chaque fois avec une harmonisation nouvelle, passages d'une merveilleuse harmonie. Le second thème à la dominante consiste en arabesques du piano interrompues par un motif ascendant en croches du violon. Le développement débute par la formule qui concluait l'exposition mais très vite c'est le premier thème qui reprend le dessus et fait l'objet de nouvelles imitations canoniques d'expression intense. Une nouvelle page s'ouvre ensuite, sorte de fantaisie constituée par des arpèges du piano passant par de splendides modulations et accompagnés d'un dessin très expressif du violon. Ce passage s'achève par un point d'orgue et c'est de nouveau le premier thème qui revient au violon au dessus d'un trille maintenu pendant cinq mesures par le piano. La réexposition est notablement écourtée mais le second thème donne lieu à une extension modulée très dramatique, seul changement notable par rapport à l'exposition.
Le Presto final est une des créations les plus originales de Haydn. C'est un mouvement perpétuel de forme indéterminée, ni sonate, ni rondo, un jaillissement continu de fantaisie débridée et d'invention inépuisable à partir d'un matériel thématique réduit à un thème unique. Ce tour de force est réalisé avec une élégance souriante. La coda introduit un motif nouveau d'un grand lyrisme rappelant le premier mouvement et donne ainsi à l'oeuvre une unité très satisfaisante pour l'esprit. Il y a, à mon avis, une parenté de forme et de fond entre ce mouvement et le finale du quintette en ré majeur pour deux altos KV 593 de Mozart composé en 1790. Mozart alterne le thème sous sa forme normale et sous sa forme renversée d'une manière très similaire à celle de Haydn dans le présent finale.
Fantaisie, rigueur et unité caractérisent ce trio, quintessence du style de Haydn. Mi bémol majeur lui réussit bien, trois ans plus tard il composera un nouveau trio en mi bémol majeur.