Le Trio n° 38 en ré majeur (HobXV.24) pour piano, violon et violonelle. fait partie d'une série de trois dédiés à la pianiste Rebecca Schröter et composés à Londres par Joseph Haydn vraisemblablement vers 1794-5 (1). Dans cette série le trio n° 39 en sol majeur est particulièrement célèbre à cause de son rondo tzigane final. Le trio n° 40 en fa dièze mineur est aussi connu à cause de de son adagio qui est une version pour trio du mouvement lent de la symphonie n° 102. Le trio en ré majeur est particulièrement bref (un peu plus de douze minutes dans la version du trio van Swieten). On se demande comment Haydn peut produire tant de musique sublime dans un cadre aussi restreint.
Le premier mouvement Allegro débute avec un beau thème en deux parties séparées par un point d'orgue, la première dans le ton du morceau et la deuxième en mi mineur. On arrive à la dominante (la majeur), matérialisée par deux accords massifs des trois instruments, on attend un second thème mais, surprise, c'est le premier qui revient dans la tonalité inattendue de fa majeur. Le thème reviendra encore au moins deux fois et sera chaque fois accompagné d'admirables modulations. Le développement est entièrement bâti sur le thème principal. L'élaboration thématique ne fait pas appel au contrepoint mais utilise toutes les ressources de l'harmonie car ce thème va faire l'objet des modulations les plus hardies. Ce qui est miraculeux, à l'audition de ce merveilleux mouvement, c'est l'impression d'un jaillissement continu de mélodies alors que dans ce morceau tout procède du thème initial.
Le second mouvement Andante en ré mineur comporte deux parties comme beaucoup de mouvements lents de sonates de Haydn. C'est une sorte de marche lente au caractère épique. Lorsque le thème principal est repris dans la deuxième partie, l'effet produit est saisissant du fait de l'écriture; le violoncelle double la basse du piano et la main droite du pianiste double à l'octave le violon. La sonorité de ce passage est fascinante.
L'Andante est enchainé au mouvement suivant Allegro ma dolce, un des plus extraordinaires parmi les finales des trios de Haydn. Ce dernier est basé sur un thème merveilleux traité selon un strict contrepoint à trois voix, mais un contrepoint flexueux essentiellement musical. Les lignes musicales se poursuivent, se croisent, se superposent. De savoureux chromatismes viennent corser l'harmonie. Un intermède central passionné et dramatique interrompt le flux mélodique du début mais ce dernier reprend et termine le trio pour notre plus grande délectation.
Ce trio possède un charme unique et personnellement je le place très haut dans ma liste de trios préférés.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.