La liste de mes dix symphonies préférées varie continuellement en fonction des écoutes successives et de l'humeur du moment, toutefois la symphonie n° 77 en si bémol y figure toujours. Elle représente pour moi la perfection, alliant l'inspiration la plus élevée à la technique la plus aboutie.
Elle fait partie d'un groupe de trois comportant également les symphonies n° 76 en mi bémol et n° 78 en ut mineur, composées en 1782 et contemporaines de l'opéra Orlando Paladino. Aucune de ces symphonies ne comporte d'introduction lente.
Le premier mouvement de la symphonie, Vivace C barré, débute avec un merveilleux thème bondissant avec élégance dont on pressent qu'il se prêtera à mille combinaisons contrapuntiques. Le deuxième thème au grand charme mélodique est bien détaché du premier et crée un effet de contraste ce qui, à mon humble avis, est assez rare chez Haydn. Le développement est d'abord une merveille de contrepoint: dans une première partie, le premier thème donne lieu à des imitations entre le premier violon et les hautbois, puis on assiste à un magistral canon à trois voix entre violons, altis et basses. C'est maintenant au tour du second thème d'intervenir et là l'élaboration n'est plus contrapuntique mais harmonique car ce second thème, grâce à de splendides modulations, va passer par différentes couleurs et émotions: d'enjoué, il devient inquiet, puis mystérieux. La rentrée est d'abord pareille à l'exposition mais l'arrivée du second thème donne lieu à un nouveau développement dans lequel les vents collaborent activement.
Le second mouvement, Andante sostenuto, a une forme particulière, proche du thème varié. Le thème unique du morceau est une des plus belles créations de Haydn, alliant charme mélodique et inquiétude latente voire mélancolie. Dans la suite du morceau, le thème reparait sans cesse, subtilement modifié, par des modulations nouvelles, un habillage dans lequel les vents interviennent discrètement mais efficacement, ou des inflexions mineures qui le rendent poignant. Marc Vignal qualifie ce mouvement du vocable "schubertien" (1).
Le troisième mouvement, menuetto, dissipe la mélancolie du mouvement lent; par son caractère populaire, il fait penser plutôt à une danse allemande. Le trio qui suit est un laëndler de la plus grande élégance.
Le quatrième mouvement, Finale, Allegro spiritoso, par ses dimensions équilibre parfaitement le premier mouvement. C'est une vigoureuse structure sonate qui, à l'écoute, à un caractère de Rondo. Une première partie comprend l'énoncé du thème puis une suite basée sur le même thème qui évoque un couplet de Rondo. Après les barres de mesure, la reprise de la première partie donne l'illusion de la répétition d'un refrain de rondo. Le développement génial basé entièrement sur le thème principal consiste en jeux contrapuntiques d'une densité et d'une vigueur dignes des ultimes symphonies. Au cours de la rentrée le thème est exposé in extenso mais la suite, toute différente de l'exposition, évoque une fois de plus un couplet de Rondo. Dans ce morceau exceptionnel, Haydn nous montre sa capacité à soumettre les formes à son projet musical; il n'y a rien de stéréotypé chez lui mais une invention continue et dans ce morceau tout particulièrement joie et dynamisme.