Sujet: Sonate n°61 en ré majeur (HobXVI.51) Ven 24 Aoû - 22:45
Dans le corpus des sonates pour piano de J.Haydn où les chef-d'oeuvres abondent à toutes le époques, c'est cette sonate n° 61 en ré majeur (HobXVI.51) datant des années 1794-5 qui m'a le plus impressionné. Sa brièveté est extrême (moins de 6 minutes dans la version John McCabe tirée de l'intégrale des sonates de Haydn publie par le label London). Elle se compose de deux mouvements:
Le premier mouvement est un Andante que Marc Vignal a comparé à un impromptu avant la lettre (1). En effet cette comparaison s'impose peu après le début lorque la main droite du pianiste fait résonner un merveilleux thème cantabile prodigieusement schubertien en octaves parallèles. La structure de ce morceau est originale, il comporte trois parties introduites chacune par le thème initial, sorte de portique majestueux. Dans la première partie le beau thème cantabile, un second thème en sorte, chante éperdument; l'intermède central est une libre fantaisie très romantique qui tire sa substance de second thème. Quant à la troisième partie, elle reprend en partie la thématique initiale mais avec de profonds remaniements. Dans un tel mouvement la structure sonate est à peine reconnaissable et il semble que Joseph Haydn y expérimente de nouvelles formes.
Le second mouvement Presto très bref (2 minutes) est d'un seul tenant et ressemble au très beau Vivace Assai de la sonate en ré majeur N° 56 (Hob.XVI.42). Si l'andante précédent évoquait Schubert, ce Presto annonce Schumann selon Marc Vignal. Ce mouvement haletant, véritable course à l'abîme, comme certaines autres oeuvres de Haydn: terrible choeur final d'Orfeo ed Euridice (1791), finale du trio n° 37 en ré mineur (Hob.XV.23), formidable sinfonia ouverture des Saisons (1800) etc..., sont remarquables par leur concentration exceptionnelle. Il n'y a pas de respiration entre les phases musicales ce qui , à mon avis, rend cette musique difficile à mémoriser. Ces pages, par le pessimisme, bien éloigné de l'image convenue du bon papa Haydn, qu'elles véhiculent, me font penser au dernier Schumann, celui des Scènes de Faust (Première partie, 1852), du concerto pour violoncelle (1851) et de la bouleversante 3ème sonate pour piano et violon (1853).
Chez Haydn le pessimisme ne dure pas, la sonate suivante, 62ème et dernière en mi bémol majeur, est une oeuvre grandiose et rayonnante.
Sujet: Re: Sonate n°61 en ré majeur (HobXVI.51) Ven 8 Sep - 18:34
Étonnant de voir le manque de commentaires autour de cette sonate. Je la trouve particulièrement exceptionnelle, certainement une des plus belles de Haydn (voire ma favorite), et si elle n'est pas particulièrement virtuose elle est d'une grande modernité et extrêmement efficace. Sous des airs simples elle cache un travail avant-gardiste et d'une très grande finesse.
Les dernières sonates de Haydn sont très sous-estimées dans la littérature pianistique (Mozart lui étant largement préféré), pourtant je suis persuadé qu'elles ont pu avoir un certain impact historique. Ici Haydn préfigure totalement Beethoven (par exemple la sonate pastorale op.28) et Schubert, et je suis bien d'accord pour le côté Schumann du 2ème mouvement (avec des retards dissonants qui font penser à lui et à Beethoven). Je crois qu'en se privant d'interpréter Haydn on rate un chainon important dans l'évolution de l'écriture pour piano. Par ailleurs au sein même de la production de Haydn je trouve qu'on passe bien vite sur ses sonates pour piano, elles forment pourtant un corpus considérable qui montre une évolution et une inventivité constante culminant avec les derniers chef-d'oeuvres (qui n'attendaient au final que Beethoven pour reprendre le flambeau). Cela devrait faire partie intégrante des lettres de noblesse du compositeur, idem pour ses trios avec piano. Trop souvent on limite Haydn aux oratorios, symphonies et quatuors, c'est un grand tort. J'imagine qu'on se limite souvent à l'image d'un Haydn qui est un pianiste "moyen", absolument pas comparable à Mozart ou Beethoven, mais il faut bien voir que cela ne l'a pas empêché d'écrire des sonates d'une complexité redoutable (souvent plus difficiles que les sonates de Mozart). Jouer Haydn nécessite d'ailleurs un travail très pointu, il est difficile de le faire sonner correctement au piano, les sonates sont très tordues, très changeantes, très expressives, le tout peut facilement virer au casse-tête (c'est bien moins naturel à interpréter que Mozart dont les sonates sont souvent pensées comme des Divertissements ou des pièces opératiques). En somme passé le préjugé sur Haydn qui peut empêcher de s'y intéresser et de chercher de prime abord il faut ensuite se heurter à des partitions parfois assez complexes à comprendre, à déchiffrer, à faire sonner. Ce n'est pas le cas de la sonate en ré majeur cela dit, une oeuvre accessible qui devrait être largement interprétée et choyée par les pianistes !
Une interprétation par Brendel, grand maître des sonates de Haydn :
Je me lasse jamais d'écouter cette sonate, un tube qu'on peut passer en boucle. Au final le reproche que je pourrais faire est qu'elle est presque trop courte ... la concision d'Haydn apporte souvent beaucoup à sa musique mais dans ce cas-ci je n'aurais pas été contre doubler la durée de la sonate.
Je me demande dans quelle mesure Beethoven a pu avoir accès aux sonates de Haydn (s'il y a eu accès) ? L'avis d'un expert sur le sujet serait très intéressant.
Sujet: Re: Sonate n°61 en ré majeur (HobXVI.51) Ven 8 Sep - 21:25
Euclide-Orphée a écrit:
Je me demande dans quelle mesure Beethoven a pu avoir accès aux sonates de Haydn (s'il y a eu accès) ? L'avis d'un expert sur le sujet serait très intéressant.
Probablement Marc Vignal a des idées sur la question. Je ne sais pas s'il est facilement accessible.
En tous cas, comme les dernières sonates de Haydn ont été composées en 1794-5 à Londres, Beethoven n'a pu en prendre connaissance qu'après le retour de Haydn à Vienne. Il me semble que les leçons de Haydn à Beethoven devaient se faire en partie au pianoforte et que ces dernières sonates pouvaient être un matériau particulièrement intéressant et didactique. Toutefois la sonate n° 61 en ré majeur me semble assez éloignée du Beethoven classique. Par sa forme, par sa concision, elle s'apparente plus aux impromptus ou ballades que pouvaient composer les Schubert, Schumann et Chopin qu'aux sonates du "jeune Beethoven". Cela dit, Beethoven s'est également formé au contact des sonates de Clementi. Ces dernières poursuivent des buts qui me semblent plus proches de ceux de Beethoven. Les nombreuses sonates de Clementi écrites dans le mode mineur (en particulier la sonate en sol mineur opus 37 n° 2 de 1795) possèdent un dramatisme souvent échevelé qui me semble proche de celui qui préside dans la sonate Pathétique en do mineur, la sonate Clair de Lune en do dièze mineur et aussi la sonate n° 1 en fa mineur dont le dernier mouvement est très caractéristique..
Il me semble Euclide-Orphée que tu as initié un sujet passionnant ayant trait à la question initialement posée dans les Généralités: la suprématie de Mozart et Haydn est-elle justifiée. Il est évidemment parfaitement à sa place dans le sujet sonates. Peut-être pourras-tu le reprendre dans le sujet généralités quand tu le souhaiteras et on pourra élargir le débat.