Composée pour l'essentiel en 1795 pendant le deuxième séjour de Joseph Haydn en Angleterre, la Sonate n° 60 en ut majeur (Hob.XVI.50) possède trois mouvements très contrastés.
Le premier mouvement, Allegro, domine les deux autres par ses dimensions et sa puissance. Son écriture pianistique reflète les avancées techniques du pianoforte anglais. Ce dernier possède un registre plus étendu vers l'aigu que les instruments viennois, on y découvre aussi un usage nouveau de la pédale. La basse d'Alberti est utilisée d'une manière nouvelle, la note la plus grave est doublée à la tierce d'où une sonorité générale plus épaisse et massive.
Le thème de l'Allegro débute par une quarte descendante suivie par une tierce; il frappe par sa sobriété et même une certaine austérité. Ce thème sera énoncé quatre fois de suite, soit à la main droite, soit à la main gauche, avec des figurations de l'accompagnement toujours différentes ce qui fait que ce thème, nu au départ, sera progressivement habillé et apparaitra en perpétuel renouvellement avec une inventivité géniale. Un nouveau motif survient avant les barres de reprises, d'abord en sol majeur il donne lieu à des modulations très pathétiques et contraste avec la fixité tonale du thème principal. Le développement (50 mesures) consiste d'abord en des jeux contrapuntiques complexes sur le thème principal. Puis un épisode magnifique, inspiré de la suite modulante du deuxième sujet, donne lieu à une des pages les plus extraordinaires et intenses de Haydn, avec des harmonies et des modulations déchirantes anticipant le dernier Schubert.
Après ce mouvement massif et annonçant le romantisme allemand, le deuxième mouvement, Adagio, contraste par son caractère cantabile très inspiré, à mon humble avis, de l'opéra italien. Il s'agit d'une structure sonate sans développement. Le thème principal très ornementé a, comme on l'a dit, un caractère vocal prononcé. Lorsque ce thème est répété lors de la réexposition du morceau, il est nourri et agrémenté par de nouveaux ornements ce qui le rend encore plus expressif. Ce beau mouvement, à la passion contenue, apporte une détente relative au milieu des deux mouvements rapides.
Le troisième mouvement, Allegro molto, est une enigme. C'est le triomphe de la concision haydnienne. On peut le considérer comme un menuet (ou un scherzo) mais il échappe à toute analyse formelle. Une fois le thème énoncé, il est vêtu d'accords dissonants, repris dans différentes tonalités, parfois éloignées et souvent un point d'orgue met un terme à une phrase tronquée. Selon Marc Vignal, il appartient à l'auditeur de faire l'effort de terminer la phrase musicale déja engagée ou bien de revenir à la tonalité de départ, bel exemple d'audition musicale participative.
La sonate 60 en ut majeur est une des plus novatrices et aventureuses de Haydn, elle baigne dans un climat de force tranquille. Elle sera suivie par une oeuvre très différente, la 61ème sonate en ré majeur. Pessimiste et tourmentée, la 61ème sonate révéle une facette inhabituelle du "Papa Haydn".