Le Pescatrici (Les Pêcheuses), dramma giocoso sur un livret adapté de
Carlo Goldoni, fut crée à Eszterhazà par
Joseph Haydn en 1770. Le livret de Goldoni avait été précédemment utilisé par
Ferdinando Bertoni (L
e Pescatrici 1752), par
Niccolo Piccinni (
La Pescatrice, 1766) et un peu plus tard par
Florian Gasmann (1771). Le manuscrit original et son unique copie connurent diverses tribulations de sorte qu'à l'heure actuelle près d'un tiers de l'oeuvre est perdue (1).
H.C. Robbins Landon entreprit de completer l'oeuvre en procédant à une reconstruction. Pour cela il compléta les morceaux incomplets et remplaça les morceaux manquants par des compositions de son cru. Sous cette forme l'oeuvre est exécutable de nos jours.
Un hommage unanime a été rendu au travail de Landon dont le goût, la justesse de ton et la discrétion sont indiscutables.A l'écoute des parties composées par Landon, j'éprouve un sentiment de malaise car ces parties sont trop facilement reconnaissables: elles évoquent plus souvent
Vincenzo Bellini ou
Gaetano Donizetti que
Giuseppe Haydn. Je me pose la question suivante: est-il possible à un musicologue du 20ème siècle, aussi talentueux soit-il, de faire abstraction de sa culture, son vécu, sa connaissance de deux siècles de musiques postérieures à Haydn, afin de coller totalement à son modèle et d'être crédible dans une pareille entreprise? Il me semble que non et j'aurais préféré une des deux solutions suivantes:
-compléter avec des
airs d'insertion provenant de musiciens contemporains ayant traité le
même sujet sur le
même livret, pratiquement à la
même époque: Ferdinando Bertoni, Nicolo Piccinni par exemple, pratique utilisée couramment à l'époque de Haydn et par ce dernier lui-même, dans les opéras de ses contemporains qu'il dirigeait ainsi que dans sa
Vera Costanza (2);
-composer les airs et ensembles manquants à partir de
musiques contemporaines de Haydn lui-même. Il est clair que les trios avec baryton offrent une réserve colossale de musique superbe capable d'exprimer tous les sentiments et à laquelle on pourrait ainsi rendre justice. Fabio Maestri a procédé de la sorte dans la reconstruction des parties manquantes de
Lo Speziale en utilisant le materiel thématique de la sinfonia ouvrant l'opéra (3).
Toutefois ne boudons pas notre plaisir car grâce à Landon, nous pouvons découvrir un très bel opéra, jalon essentiel de l'évolution de Haydn dans l'opéra italien.
Argument. Frisellino et Burlotto, deux pêcheurs, sont respectivement fiancés à Lesbina et Nerina ou du moins croient l'être, de plus Frisellino est le frère de Nerina et Burlotto, le frère de Lesbina. Un bateau débarque un beau jour avec Lindoro, Prince de Sorrente, à son bord. Ce dernier vient chercher l'héritière d'un trône lointain qui a disparu suite à la prise du pouvoir par un tyran. Lesbina et Nerina se découvrant des origines princières cherchent à s'attirer les bonnes grâces de Lindoro, elles sont encouragées dans un premier temps par leurs amants respectifs qui espèrent recevoir une récompense en découvrant l'héritière du trône mais qui sont bientôt agacés par l'ardeur des deux jeunes pêcheuses dans leur entreprise de séduction. Eurilda est la fille de Mastriccio, elle a été adoptée dans des circonstances mystérieuses. Mastriccioce sait qu'Eurilda est la princesse recherchée mais ne le dit pas de peur d'exciter les jalousies. Grâce à un stratagème, Lindoro découvre qu'Eurilda est bien celle qu'il cherche. Pendant qu'Eurilda prend la mer avec Lindoro et Mastriccio, les deux amants se déguisent en princes pour ridiculiser leurs belles.
Ce scénario conventionnel est le prétexte à de nombreuses situations franchement comiques et quelques une plus dramatiques. Le quatuor Frisellino Burlotto Lesbina et Nerina pourrait presque évoquer
Cosi fan Tutte composé par Wolfgang Mozart en 1789. Le point le plus intéressant réside dans le contraste entre la vie laborieuse et modeste des pêcheurs et pêcheuses (tous les protagonistes sauf Lindoro) et la vie rêvée de la Princesse élue. "Viva la Nobiltà!" chantent les protagonistes à la fin du 3ème acte.
Le Style. Si les protagonistes du quatuor des amants sont essentiellement comiques, Lindoro et Eurilla sont des personnages sérieux c'est pourquoi
Le Pescatrici relève indiscutablement de la catégorie du Dramma Giocoso et annonce les opéras plus tardifs de Haydn comme
La Vera Costanza par exemple. La musique très variée, comporte des airs toujours brefs, des ensembles et des choeurs très nombreux.
Les sommets.
La mer du sud de l'Italie (l'action est supposée se passer près de Tarente) est évoquée constamment à travers les nombreux
choeurs de la partition. Parmi ces derniers le choeur des pêcheurs: "
Tira, tira, viene, viene..." qui ouvre le premier acte et le choeur "
Nume che al mare" du début du troisième acte sont particulièrement remarquables par leur chaleur méditerranéenne.
Les
airs appartiennent le plus souvent au
style bouffe italien avec deux parties, une première partie dans un tempo modéré et le seconde dans un tempo plus allant généralement 6/8 donnant l'occasion aux chanteuses ou chanteurs de débiter des paroles ou des onomatopées à toute vitesse.
-au premier acte, l'air charmant de Nerina "
So far la semplicetta" au caractère
populaire contraste avec l'air de Eurilda "
Voglio goder contenta" beaucoup plus
aristocratique comme il sied à une future princesse.
-au premier acte, l'air de Burlotto, ténor,
Tra tuoni, lampi, fulmini, air particulièrement dynamique présente des analogies marquées avec les airs correspondants des opéras de Bertoni et Gassmann (4);
-au second acte, l'air pour voix de basse de Mastriccio avec ses triolets agiles: "
Son vecchio, son furbo" est irrésistible.
Les
finales d'actes sont particulièrement réussis. Très brefs, ils n'en contiennent pas moins les plus belles pages de la partition:
-au premier acte, le magnifique sextuor en mi bémol majeur: "
Bell'ombra gradita", qui déroule sa mélodie sensuelle accompagnée par les cors anglais;
-au second acte le jubilatoire septuor final: "
Burlottino, mio carino...".
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 900-2.
(2) Scène du comte Errico au début de l'acte II de
La Vera Costanza: Le Récitatif accompagné "
Ah, non m'inganno, è Orfeo.." et l'air "
Or che torna il vago Aprile.." sont des emprunts à
la Vera Costanza de
Pasquale Anfossi.
(3)
https://haydn.aforumfree.com/operas-f15/lo-speziale-hobxxviii3-t341.htm(4) Rebecca Green, Representing the Aristocracy in Haydn and his world, Edited by Elaine Sisman, Princeton University Press,1997