La Canterina, Intermezzo in musica en deux actes de Joseph Haydn fut représenté à Eisenstadt pendant l'été 1766. L'auteur du livret de l'opéra est inconnu mais le livret est quasiment identique à celui d'un Intermezzo du même nom intercalé dans l'opéra de Nicola Piccinni, l'Origille, crée à Naples en 1760 (1). La Canterina est le troisième opéra italien de Haydn après La Marchesa Nespola et Acide (Acis et Galatée), tous deux de 1763.
Synopsis. Gasparina et sa mère Apollonia vivent chez le maitre de musique Don Pelagio. Don Pelagio qui est amoureux de Gasparina et propose de l'épouser, lui donne des leçons de musique gratuites. Don Ettore, fils d'un riche drapier, fait la cour à Gasparina qui attise son sentiment. Don Pelagio, surprenant leur manège, est mortifié. Jurant de se venger, il décide de renvoyer les deux femmes. Gasparina joue habilement le jeu du désespoir si bien que la colère de Don Pelagio fléchit. Gasparina décide alors de s'évanouir et Don Pelagio, affolé, tente de la ranimer avec l'aide de Don Ettore et Apollonia. Les deux femmes sont rétablies dans leurs droits avec en plus quelques bijoux d'indemnités et la scène se termine dans la joie et la réconciliation.
La musique de ce petit opéra (durée 50 minutes) est ravissante. AMHA, on y sent l'influence d'oeuvres contemporaines de Nicola Piccinni, Niccolo Jommelli, Johann Adolf Hasse...La musique colle admirablement à la prosodie italienne. J. Haydn connaissant bien l'italien, il l'avait appris à la dure école de Nicola Porpora au service duquel il fut pendant quelques mois entre 1752 et 1756 (1). Porpora le brutalisait et le traitait de "ciuccio", c'est-à-dire âne en napolitain. Trop occupé pour suivre ses nombreux élèves, lui, le "meilleur professeur de chant de tous les temps" (1), confia à Haydn le soin d'accompagner ses élèves chanteurs au clavecin. Haydn reconnut plus tard que grâce à Porpora il a appris à composer pour la voix.
Ne connaissant pas l'oeuvre homonyme de Piccinni, il m'est impossible de comparer les deux opéras. Il est toutefois certain que l'Origille et son intermezzo, la Canterina, était un opéra bouffe destiné avant tout à amuser le public napolitain (1). Par contre J. Haydn élargit la portée de l'opéra en écrivant une musique qui, dans une certaine mesure, contredit le texte. Il cherche en fait à augmenter la vraisemblance des personnages et leur épaisseur dramatique et du même coup à diminuer le caractère un peu mécanique de la comédie italienne.
Le meilleur exemple se trouve dans l'air de Gasparina du 2ème acte:"Non v'è chi mi aiuta...". C'est un Allegro di molto en ut mineur très "Sturm und Drang" dans lequel Gasparina clame son désespoir. Cet air est très émouvant et nous rend sympathique l'apprentie chanteuse rouée.
Malgré les apports exterieurs que nous avons signalés, le style personnel de Haydn transparait nettement dans de nombreux passages. En plus de l'air cité plus haut, le récitatif accompagné "Chi mai far deggio?" et l'aria qui suit "Io sposar l'empio tiranno..."(2) sont remarquables par leur caractère symphonique avec leurs superbes parties de cor. L'année suivante, Haydn entreprendra la composition d'une magnifique symphonie, la 35ème en si bémol majeur, qui présente des analogies remarquables avec certains passages de La Canterina.
Le quatuor qui termine le premier acte "Scellerata, mancatrice, traditrice..." est un des sommets de l'opéra, Haydn s'y montre incroyablement habile dans le maniement des voix, il exprime avec force le ressentiment de Don Pelagio et la confusion qui s'ensuit quand Gasparina et Apollonia réalisent qu'elles sont perdues.
Excellent enregistrement par le label Hungaroton (3).
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
(2) Ce récitatif correspond à une leçon de chant, amusant pastiche de l'opéra seria.
(3) La Cantarina, Ingrid Kertesi, Andrea Ulbrich, Antal Pataki, Joszef Mukk, Pàl Nemeth Director, Hungaroton Classic, 1997.
La référence (1) est la source principale de ce compte rendu. Les jugements de valeur sont personnels.