Ayant réécouté pendant le week-end
La fedelta premiata de
Joseph Haydn, je voudrais apporter quelques compléments d'informations au
remarquable commentaire réalisé voici près de deux ans par Benoît.La Fedelta premiata fut crée en février 1781 à Eszterhazà et cette première coïncide à un mois près avec celle d'Idoménée de
Mozart à Munich. Le livret de
Gianbattista Lorenzi avait déjà servi à
Domenico Cimarosa sous son titre original l'
Infedeltà fedele (Naples, juillet 1779). L'opéra de Cimarosa, d'abord prévu pour être monté à Eszterhazà, est arrivé dans ce lieu en partition, mais Haydn, au lieu de le faire représenter, décide de mettre lui-même en musique le livret de Lorenzi (1). D'après une étude comparée récente, il apparait que Haydn se serait inspiré de la musique de Cimarosa (2). Faute d'enregistrement disponible de l'opéra de Cimarosa, il m'est impossible d'évaluer l'importance de l'influence du compositeur napolitain. Toutefois, l'
Italiana in Londra de quelques mois antérieure à l'
Infedeltà fedele peut donner une idée du
style de Cimarosa à cette époque de sa vie (3). On a vu que dans l'
Italiana in Londra, Cimarosa écrivit deux très longs finales d'actes, celui du premier acte durant plus de dix sept minutes. Haydn avait déjà dans
La vera costanza (1778) écrit des finales d'actes très importants (4).
Synopsis.
Melibeo, grand prêtre du culte de
Diane rappelle qu'une malédiction règne sur la population de Cumes. Chaque année un couple d'amoureux doit être donné en pâture à un monstre jusqu'au jour où un coeur pur se sacrifiera volontairement. Tel est le pivot de l'action dramatique.
Amaranta, femme vaniteuse et égoïste est courtisée par
Perruchetto, un noble volage et couard. Fillide (
Celia) aime et est aimée par
Filleno, berger courageux et fidèle. Ces amours gènent les trois protagonistes suivants: Melibeo, qui convoite Amaranta,
Lindoro, amoureux de Celia et
Nerina, amoureuse de Lindoro. Melibeo, avec la complicité plus ou moins active de Lindoro et Nerina, va désigner Perruchetto et Celia comme victimes données en sacrifice au monstre. Au moment où les victimes vêtues de blanc sont données en pâture au monstre,
Filleno s'offre en sacrifice. La prophétie s'est donc réalisée: Diane émue par le geste de Filleno lève la malediction, chasse Melibeo et désormais le peuple de Cumes pourra vivre en paix. Les unions de Celia et Fileno et d'Amaranta et Perruchetto sont célébrées dans la liesse. En fait la trame est beaucoup plus touffue mais le point qui m'a le plus intéréssé est le personnage de Melibeo qui détourne le culte de Diane pour réaliser ses objectifs personnels.
Style. L'opéra est intitulé
Dramma pastorale giocoso et ce titre décrit précisément l'oeuvre, qui comporte
quelques scènes typiquement bouffes et surtout de
grandes scènes dramatiques. C'est aussi une
oeuvre de plein air, mettant en scène des bergers et des bergères, des nymphes, des dryades, des satyres dans un cadre naturel, on y voit même un combat de taureaux! La
chasse, sous la protection de Diane est omniprésente, on assiste en particulier à une homérique
chasse au sanglier. On voit que Haydn, à l'occasion de la restauration du théatre d'Eszterhazà a voulu frapper fort et offrir un grand spectacle. Dans ce contexte, Haydn écrivit un opéra muni de récitatifs secco courts, d'arias nombreux, concentrés et très variés permettant une
caractérisation subtile et nuancée des personnages et surtout de finales d'actes étourdissants.
Hits. Il est difficile de dégager des hits dans un opéra qui en comporte tant. En plus de ceux
relevés si judicieusement par Benoît, j'ai beaucoup aimé:
-Celia au premier acte chante: "
Placidi ruscelletti", une description de la nature, métaphore pour désigner les sentiments qui l'agitent.
-"
Sappi que la bellezza...", La beauté est éphémère et le charme d'une femme s'évanouit avec l'âge, nous dit Melibeo d'un ton étonnament charmeur compte tenu de la perfidie du personnage.
-C'est un véritable morceau de bravoure que l'air "
Di questo audace ferro..." de l
'inénarrable Perruchetto qui, devant le sanglier mort étendu à ses pieds, se vante avec les mots "
Non v'é animale bestiale piu di me" (il n'y a pas d'animal plus féroce que moi) et la minute suivante est pris de panique lorsque l'animal frémit.
Les deux
finales des deux premiers actes sont grandioses, le premier dure près de 20 minutes et comporte 800 mesures. Robbins Landon et Marc Vignal insistent sur le fait que ces
finales sont découpés en
sections (pas moins de dix dans le cas du premier) et que des
changements de tonalité marquent ces sections. La première section du finale du premier acte est en si bémol majeur, la seconde en sol majeur, la troisième en mi bémol majeur, la quatrième en ut majeur, la cinquième en la bémol majeur etc... soit un intervalle de tierce mineure ou de tierce majeure d'une section à l'autre. Mozart utilisera ce procédé plus tard en 1790 dans les finales de Cosi fan tutte. Selon Marc Vignal les procédés mis en oeuvre par Haydn dans les opéras anticipent sur ses oeuvres futures. De telles modulations, rares encore en 1780 dans la musique instrumentale du maître, deviennent fréquentes à partir de 1784 dans les symphonies et les quatuors à cordes.
J'ai beaucoup de mal à désigner mon opéra de Haydn préféré: si
Armida est le plus homogène, le plus dramatique, le plus parfait,
Orfeo ed Euridice celui qui m'émeut le plus et m'arrache parfois des larmes,
La vera costanza le plus solidement architecturé dans ses deux premiers actes,
Orlando paladino le plus riche en musique et le plus foisonnant,
La fedelta premiata est indiscutablement le plus spectaculaire.(1) Introduction tirée de: Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988
(2) Friedrich Lippmann, Haydns "La fedelta premiata" und Cimarosa "l'infedelta fedele", Haydn-studien, 1982.
(3)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/l-italiana-in-londra-t266.htm(4)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/la-vera-costanza-l-autre-mariage-secret-t203.htm