On ignore quelles furent les sources d'inspiration de
Joseph Haydn lorsqu'il composa son
Armida en 1783. Parmi les oeuvres enregistrées traitant le même sujet, l'Armide de Gluck (1778) est radicalement différente de l'Armida de Haydn et se meut dans un autre monde, celui de la tragédie lyrique. Par contre l'
Armida abbandonata de
Niccolo Jommelli (1770), livret de Francesco Saverio de Rogatis, présente des analogies avec l'opera seria de
Haydn qui en font un candidat possible sous réserve que
Haydn ait connu cette oeuvre ce qui est loin d'être évident vu que cette oeuvre ne faisait pas partie, à ma connaissance, du répertoire d'Eszterhazà (1).
Haydn aurait pu également connaître l'
Armida de Tommaso Traetta,
Azione teatrale en un acte, composée en 1761, l'
Armida de Pasquale Anfossi datant de 1770 et celle d'Antonio Sacchini datant de 1772.
Au plan de la structure,
Armida abbandonata est un opera seria classique. Il consiste en une suite de récitatifs secs et d'airs. Dans les moments cruciaux, les airs sont précédés de récitatifs accompagnés. Le premier acte est terminé par un duetto, le second acte par un récitatif accompagné. Le troisième acte est assez différent du reste de l'opéra avec ses airs très courts. De plus il s'enrichit d'un terzetto, d'un choeur d'hommes et d'interludes instrumentaux. Un quartetto termine l'oeuvre. Ce troisième acte montre que Jommelli n'ignorait pas les réformes entreprises une décade auparavant pas ses confrères Traetta et Gluck.
Des données concernant le mythe de Rinaldo et Armida sont disponibles (2). Le livret de l'
Armida abbandonata est différent de celui de l'
Armida de
Haydn dont l'auteur (Nunziato Porta?) n'est pas connu avec certitude. Un
résumé du livret utilisé par Jommelli, ponctué par les moments les plus palpitants de l'oeuvre,
a été effectué par JPS et peut être facilement consulté (3). En plus du couple Rinaldo et Armida, figurent de nombreux protagonistes notamment le couple Tancredi et Erminia, les croisés Ubaldo et Dano et Rimbaldo, amoureux d'Armida. Toutefois l'intrigue, au premier acte très compliquée, a tendance à se simplifier aux seconds et troisième acte en se recentrant sur le couple Armida Rinaldo. Le livret utilisé par
Haydn comporte peu de personnages et a le grand mérite de se focaliser sur les amours de Rinaldo et Armida et sur les états d'âme de Rinaldo déchiré entre son amour pour Armida et sa fidélité à la cause des croisés.
Armida abbandonata est un remarquable opéra seria possédant des airs magnifiques et des récitatifs accompagnés particulièrement expressifs. J'ai ici sélectionné les épisodes susceptibles d'avoir influencé
Joseph Haydn.
Au premier acte
-l'aria de "
da quel primero istante...", d'un charme extraordinaire, se grave instantanément dans la mémoire grâce à un irresistible motif orchestral qui pourrait servir de thème annonce pour la promotion de cet opéra. Cet air pratiquement "durchcomponiert" ne contient aucune redites et est totalement dépourvu de virtuosité vocale.
-le duetto qui termine le premier acte entre Rinaldo et Armida "
Ah Tornate.. (Reviens...). est précédé par un magnifique récitatif accompagné dans lequel Armida laisse éclater sa fureur. La première partie du duetto, basée sur la séduction mélodique, est énoncé successivement par Rinaldo puis Armida. Le mouvement s'accélère et les deux protagonistes chantent ensemble et rivalisent de vocalises, passage qui dut impressionner le jeune Mozart qui assista à une représentation de l'opéra à Naples en 1770. Retour de la première partie nettement variée avec des modulations nouvelles. Un passage mineur très dramatique débouche sur un magnifique allegro très véhément qui termine ce duo d'amour.
On trouve aussi des motifs voisins dans le duetto Rinaldo et Armida "
Cara, saro fedele..." qui termine le premier acte de l'
Armida de
Joseph Haydn. Comme chez Jommelli, le duetto de Haydn comporte de suberbes vocalises napolitaines. Haydn terminera de même le premier acte d'
Armida dans un climat exalté.
Au second acte
-l'aria de Rimbaldo, mezzo soprano "
Troppo di me pretendi..."Magnifique air très original. L'orchestre se singularise par d'étonnants traits des cordes staccato très agressifs ainsi que par des intervalles très larges, grands gestes dramatiques remarquables, très "
Sturm und Drang". Pas de vocalises, grande energie sur les mots "
quella strana crudeltà..."
-l'aria célèbre de Armida "
Odio, furor, dispetto" . Cet air se situe constamment dans un registre très aigu avec de redoutables coloratures. Orchestre et voix se maintiennent dans une ambiance quasi hystérique. Avec le magnifique récitatif accompagné qui suit
Ecco Allette e Megera, on se trouve au sommet émotionnel de l'opéra. A noter qu'un air sur le même texte est présent dans l'
Armida de
Haydn avec une puissance et une frénésie équivalentes.
Au troisième acte l'action se concentre sur Armida et Rinaldo. L'action se précipitant, on observe la multiplication de récitatifs secs et accompagnés tandis que les airs deviennent très courts et que quelques ensembles, notamment un terzetto et un choeur, donnent à cette conclusion un style différent de ce qui précède.
Haydn devait procéder de même dans le splendide troisième acte de son
Armida qui comporte de magnifiques interludes orchestraux, de nombreux récitatifs accompagnés et un court mais intense ensemble final. Citons:
-l'aria
Ah non ferir (Ne frappe pas...!) a sa contrepartie dans l'
Armida de
Haydn, peut-être le sommet de cette dernière partition. Armida prie Rinaldo de ne pas commettre l'irréparable et trouve dans cette supplique des accents bouleversants.
(1)
https://haydn.aforumfree.com/haydn-directeur-musical-de-l-opera-d-eszterhaza-f12/haydn-et-l-opera-italien-t97.htm(2)
http://odb-opera.com/modules.php?name=Content&pa=showpage&pid=229 (3)
http://www.ron3.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=3327&highlight=armida