Héroïnes. Dimanche 10 juin. Eglise protestante Saint-Martin de Barr
Concert donné par Le Parlement de Musique sous la direction de Martin Gester
G.F. HAENDEL
Armida abbandonata, cantate pour soprano et orchestre HWV 105
Sonate en trio en sol mineur opus 2 n° 5
Lamento d’Alcina Ah mio cor!
Giuseppe HAYDN
Arianna a Naxos, cantate pour soprano et cembalo HobXXVI.b2
Symphonie n° 103 en mi bémol majeur
Les mythes n’ont cessé de passionner toutes les époques. Celui des amours impossibles d’Armida et de Rinaldo, racontée dans La Jerusalemme liberata de Torquato Tasse, ont enthousiasmé les librettistes et les compositeurs d’opéra des époques baroques, préclassiques et classiques qui produisirent de nombreux chefs d’oeuvres comme le Rinaldo de Haendel, la fascinante Armida abbandonata de Niccolo Jommelli (1770), et dont le moindre n’est pas la géniale Armida (1784), opéra probablement le plus parfait de J. Haydn. Arianna est encore plus troublante et son destin de femme amoureuse abandonnée par Thésée a fasciné les dramaturges. L’Ariadne auf Naxos de Georg Anton Benda (1775) connut un succès extraordinaire en son temps et plus près de nous Richard Strauss et Hugo von Hoffmanstahl en donnèrent une version élégante et sophistiquée.
Une coupe semblable est adoptée pour chanter les amours des deux héroïnes: trois airs entrecoupés de récitatifs accompagnés dans l’Armida abbandonata de Haendel (1707). Cette cantate est écrite pour voix de soprano, cordes et continuo, les airs sont de forme da capo la plus simple ABA’ dans la tradition baroque, mais on reste subjugué par la beauté de l’invention mélodique en particulier dans le célèbre Ah Crudele e pur t’en vai et dans la touchante sicilienne finale In tanti affani miei… Il n’y a plus de place ici pour les conventions de l’opéra seria, toute l’invention mélodique est au service de l’expression d’une passion sincère.
Quand Haydn compose Arianna a Naxos en 1789 ou plus probablement 1790, il a certes cessé depuis 1784 de composer des opéras italiens mais, en tant que maitre de chapelle à Eszterhàza, il occupe dans les faits le poste de Directeur Musical de l’opéra. Il doit dans ce cadre monter, réviser de fond en comble et diriger les opéras (essentiellement italiens) de ses collègues Paisiello, Cimarosa, Salieri, Sarti, Bianchi, Guglielmi, Caruso…(1). Il y a plusieurs représentations par semaine et ce travail est harrassant. La contrepartie c’est qu’il devient un des meilleur spécialiste de ce répertoire. L’influence de l’opéra italien et tout particulièrement de l’opéra seria est manifeste dans Arianna a Naxos. C’est une oeuvre très concentrée, au départ écrite pour voix et clavier mais manifestement pensée pour l’orchestre (nombreux traits typiquement violonistiques dans l’accompagnement), il n’y a pas de récitatif sec mais trois arias dont la première est précédée et suivie par un récitatif accompagné. L’air en si bémol majeur (Largo) Dove sei mio bel tesoro, suscita l’admiration de Rossini. Ariana est partagée entre l’inquiétude et l’espoir et ces états d’âme sont admirablement rendus par la musique. Suit un air en fa majeur (Larghetto) A che morir vorrei d’expression mélancolique et retenue. Mais la colère et le dépit éclatent violemment dans l’air final en fa mineur (Presto) Misera abbandonata, véritable aria di furore d’une extrême concision toute “haydnienne”. En quelques mesures de musique admirable tout est dit et la cantate se termine par un vrai cri de fureur Chi tanto amai s’invola crudel e infedel (Celui que j’aimai s’envole, cruel et déloyal). C’est une transcription pour orchestre à cordes qui est utilisée dans ce concert. Selon Martin Gester, directeur du Parlement de Musique, cette transcription d’auteur inconnu a été retrouvée dans l’Ospedale dei Mendicanti à Venise.
La symphonie n° 103 de Joseph Haydn est une des plus grandioses des douze Londoniennes (2), c’est une transcription pour un petit ensemble de musique de chambre effectuée par Salomon, impresario de Haydn, violoniste et compositeur renommé, qui nous a été présentée. Il ne manque aucune note dans cette transcription qui montre cette symphonie sous un jour nouveau et extrêmement séduisant. Bien sûr on n’aura pas de roulement de timbales mais un astucieux trémolo de la contrebasse. Du fait du petit nombre d’instruments les développements polyphoniques complexes des deux allegros sont d’une grande limpidité et le caractère balkanique de l’andante piu tosto allegretto con variazioni en ut mineur ressort avec force et c’est avec raison que Marc Vignal rapproche cet andante de certaines pages de Mahler. Notons ici que le traverso apporte un coloris chatoyant à la symphonie entière.
Ce programme était exécuté par les artistes du Parlement de musique sur instruments anciens avec un clavecín construit à Dresde en 1780 faisant office de continuo. Option évidemment idéale chez Haendel et parfaitement défendable pour Haydn. Tandis que le rôle du clavecín dans les symphonies fait actuellement l’objet d’un débat animé, la présence de cet instrument dans une cantate issue de l’opéra seria s’imposait évidemment. Notons que les instrumentistes jouent le violon posé sur la clavicule, sans mentonnière, sans coussin et avec des archets baroques. Tous pratiquent un vibrato discret, utilisé à la manière d’un ornement et non de manière systématique. Le résultat c’est une grande précision dans les attaques, une sonorité brillante et chaleureuse sans rien sacrifier à l’expression. La soliste Ivana Lazar, soprano, possède une voix douée d’une excellente projection, au timbre particulièrement agréable et pur. Sa ligne de chant épurée , son legato parfait, son phrasé très nuancé, ses vocalises d’une grande aisance étaient parfaits pour exprimer ou traduire les affects présents dans les deux cantates.
(1) De 1775 à 1790, un millier de représentations de 70 opéras différents d’une vingtaine d’auteurs d’après Marc Vignal.
(2) https://haydn.aforumfree.com/t332-symphonie-n103-roulement-de-timbales